Intervention de Didier Migaud

Commission des affaires sociales — Réunion du 10 octobre 2017 à 18h00
Audition de M. Didier Migaud premier président de la cour des comptes sur le rapport sur l'application de la loi de financement de la sécurité sociale

Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes :

Je suis heureux de vous présenter notre rapport 2017 sur la sécurité sociale. Ce rapport est établi, comme chaque année, dans le cadre de la mission d'assistance de la Cour au Parlement et au Gouvernement. Il est destiné à accompagner le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2018, qui sera déposé demain sur le bureau de votre assemblée.

J'ai auprès de moi, pour vous présenter le travail de la Cour, Antoine Durrleman, président de la sixième chambre chargée de sa préparation, Henri Paul, président de chambre et rapporteur général de la Cour, Jean-Pierre Viola, conseiller maître, rapporteur général de ce rapport et Delphine Rouilleault, rapporteure générale adjointe. De nombreux autres rapporteurs ont contribué à ce rapport.

Dans le prolongement de son audit général des finances publiques de juin dernier, comme de ses précédents rapports annuels sur la sécurité sociale, la Cour s'est attachée à approfondir l'analyse de la trajectoire financière de la sécurité sociale à l'horizon 2020 et de ses déterminants.

De cette analyse, la Cour a tiré quatre constats principaux.

Tout d'abord, la Cour constate que la réduction du déficit de la sécurité sociale et le reflux de la dette sociale se sont poursuivis en 2016, ce qui témoigne d'efforts certains de maîtrise des dépenses. Toutefois - et c'est le deuxième constat - la situation financière de la sécurité sociale n'est pas encore assainie. Ensuite, le caractère incomplet et fragile du redressement financier appelle à engager ou à amplifier des réformes structurelles qui, lorsqu'elles sont mises en oeuvre, ont des résultats importants. Enfin, pour accélérer le retour à l'équilibre, il convient d'exploiter beaucoup plus activement les marges importantes d'efficience que recèlent les dépenses de santé prises en charge par l'assurance maladie. Cette année, la Cour illustre ces marges dans deux domaines : le médicament et les soins médicaux.

De ces observations découle en définitive un message central et essentiel : si les progrès que relève la Cour sont très lents et encore inaboutis, et si la persistance des déficits depuis 2002 fragilise cet instrument majeur de solidarité entre assurés sociaux et entre générations qu'est la sécurité sociale, cette situation n'a rien d'inéluctable.

Revenir plus rapidement à l'équilibre financier, éteindre totalement la dette sociale, éviter par la suite de retomber dans la spirale des déficits et de l'endettement est non seulement indispensable, mais est, selon nous, possible.

J'en viens au premier constat de la Cour. En 2016, le déficit de la sécurité sociale a poursuivi le mouvement de baisse progressive engagé depuis 2010, année où il avait atteint le niveau historiquement élevé de près de 30 milliards, dans le contexte de la crise économique.

Ainsi, le déficit agrégé de l'ensemble des régimes obligatoires de sécurité sociale et du Fonds de solidarité vieillesse (FSV) s'est établi en 2016 à 7 milliards, contre 10,3 milliards en 2015. Le déficit du régime général seul et du FSV, qui constitue l'essentiel des enjeux financiers, a été ramené pour sa part à 7,8 milliards, contre 10,8 milliards en 2015.

La Cour relève à cet égard cinq évolutions positives. En premier lieu, le déficit est revenu, pour la première fois, à un niveau inférieur à celui de l'avant-crise financière. Ensuite, pour la première fois également, la baisse du déficit a été pour l'essentiel de nature structurelle, indépendante de la conjoncture économique : le déficit structurel s'est réduit de 0,1 point de PIB. Par ailleurs, contrairement aux autres années, la réduction du déficit a été obtenue sans mesures d'augmentation nette des recettes. Pour la première fois encore, toutes les branches et le FSV ont vu leur solde s'améliorer simultanément. Enfin, grâce à la réduction des déficits, la dette sociale a confirmé le mouvement de reflux engagé en 2015 : elle a baissé de 5,3 milliards pour atteindre 151,1 milliards fin 2016.

La Cour met donc en lumière les progrès enregistrés en 2016, qui s'inscrivent dans une trajectoire de retour progressif à l'équilibre. Toutefois, un chemin important reste encore à parcourir pour assainir la situation financière de la sécurité sociale. Son déficit reste en effet très élevé. Il se réduit moins fortement qu'affiché et est de plus en plus concentré sur l'assurance maladie et l'assurance vieillesse. C'est le deuxième constat formulé par la Cour.

En ce qui concerne l'année 2016 tout d'abord, la Cour a établi quatre observations moins favorables que celles que j'évoquais à l'instant. Tout d'abord, le déficit a été minoré par un produit exceptionnel de contribution sociale généralisée (CSG) de 740 millions, dépourvu de base juridique, qui n'aurait pas dû être inscrit en recette de la branche maladie. Corrigé de cette écriture comptable, le déficit atteint en réalité 8,5 milliards, soit une diminution de 2,3 milliards qui est finalement du même ordre qu'en 2015. Ensuite, le déficit conserve toujours une importante composante structurelle. Ainsi, il aurait fallu environ 4 milliards de mesures supplémentaires de redressement pour parvenir en 2016 à l'équilibre structurel. En troisième lieu, comme c'est le cas depuis 2014, la réduction du déficit repose pour partie sur des recettes exceptionnelles, non reconductibles. Enfin, si le montant total de la dette sociale se réduit, une partie de celle-ci n'a pas été transférée à la Cades (Caisse d'amortissement de la dette sociale) pour en assurer le remboursement, mais demeure portée par l'Acoss (Agence centrale des organismes de sécurité sociale). La répétition des déficits annuels conduit à faire grossir cette composante de la dette, qui est exposée à la remontée des taux d'intérêt à court terme et dont le remboursement n'est pas organisé.

Plus particulièrement, le retour de la sécurité sociale à l'équilibre se heurte aux déficits persistants de l'assurance maladie et de l'assurance vieillesse. En effet, la réduction du déficit de l'assurance maladie, corrigé du produit exceptionnel de CSG que j'évoquais à l'instant, se révèle très limitée, le déficit s'établissant à 5,5 milliards en 2016 contre 5,8 milliards en 2015.

Le déficit de l'assurance maladie représente désormais les deux-tiers du déficit total de la sécurité sociale. Il y a deux ans, c'était moins de la moitié.

En 2016, la branche vieillesse du régime général est certes pour la première fois à l'équilibre depuis 2004. Mais le FSV, qui finance une partie de ses dépenses, a toujours un lourd déficit. De ce fait, les retraites de base des salariés du secteur privé connaissent encore un important déséquilibre global, soit 2,8 milliards en 2016 après 4,2 milliards en 2015.

Pour ce qui concerne 2017, le déficit de la sécurité sociale va continuer à se réduire, mais moins fortement que ne le prévoyait la loi de financement pour 2017. La loi de financement pour 2017 prévoyait un déficit du régime général et du FSV de 4,1 milliards. La commission des comptes de la sécurité sociale avait revu à la hausse cette estimation à 5,5 milliards en juillet dernier. Compte tenu d'une progression des recettes plus forte qu'attendu, du fait d'une croissance plus rapide de la masse salariale, la commission des comptes réunie le 28 septembre dernier a ramené l'estimation du déficit à 4,4 milliards.

Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 présenté le même jour rehausse néanmoins à 5,2 milliards la prévision de déficit pour 2017. Cette révision est due à une modification du périmètre des recettes. En effet, le projet de loi supprime une mesure de financement dont la Cour avait souligné la complexité : la création d'une contribution supplémentaire à la contribution sociale de solidarité des sociétés, partiellement acquittée sous forme d'acompte versé en fin d'année. En outre, il met fin à une incertitude, également relevée par la Cour : le crédit d'impôt de taxe sur les salaires au bénéfice des associations et organismes à but non lucratif ne sera finalement pas compensé par l'État à la sécurité sociale.

En tout état de cause, malgré d'importants transferts de recettes en provenance de la branche vieillesse (1,7 milliard), le déficit de l'assurance maladie, qui pourrait atteindre 4,1 milliards, continuera de constituer en 2017 l'essentiel du déficit de la sécurité sociale. La dynamique des dépenses reste en effet forte. La loi de financement pour 2017 a relevé à 2,1 % le taux de progression de l'Ondam (Objectif national des dépenses d'assurance maladie). Le projet de loi de financement pour 2018 porte en définitive la progression de l'Ondam à 2,2 % pour 2017 et la fixe à 2,3 % pour les années 2018 à 2021. Ces évolutions marquent une rupture sensible par rapport à la période récente au cours de laquelle le taux d'augmentation de l'Ondam avait continûment diminué (+ 1,75 % en 2016).

En outre, la progression réelle des dépenses en 2016 et en 2017 est pour partie masquée par les biais de plus en plus marqués qui affectent la sincérité de l'Ondam. Les cas de figure sont nombreux. Certaines dépenses sont ainsi rattachées à l'année suivante : c'est le cas d'une partie des dépenses des établissements de santé relatives aux molécules sous ou post autorisation temporaire d'utilisation (ATU), pour un montant de 180 millions en 2016. D'autres sont sorties de manière injustifiée du périmètre de l'Ondam : en 2017, une partie des dépenses de médicaments est ainsi reportée sur un nouveau fonds de l'innovation pharmaceutique, à hauteur de 220 millions. En outre, les diminutions de charges liées à des contractions de dépenses avec des recettes sont prises en compte en tant qu'économies alors qu'elles n'ont aucun effet sur le déficit de l'assurance maladie, puisque ses produits baissent aussi : c'est le cas de la part des cotisations des praticiens et auxiliaires médicaux conventionnés prise en charge par l'assurance maladie, pour 270 millions en 2017. Enfin, certaines dépenses sont reportées sur d'autres financeurs publics, pour 410 millions en 2017, ce qui ne réduit en rien le déficit des administrations publiques dans leur ensemble. Ainsi en est-il du transfert à divers organismes hospitaliers de la contribution de l'assurance-maladie au Fonds de modernisation des établissements de santé publics et privés. C'est une part croissante des dépenses qui échappe ainsi à l'Ondam. En définitive, quand on neutralise les effets de ces divers procédés, ce n'est pas de 1,8 % que l'ONDAM a progressé en 2016, mais de 2,2 %. Pour 2017, son augmentation prévisionnelle n'est pas de 2,1 %, comme affiché par la loi de financement pour 2017, ni même de 2,2 % comme réestimé par celle pour 2018, mais de 2,4 %. Dès lors, même si l'objectif a été respecté en 2016, pour la septième année consécutive, ce résultat a de moins en moins de portée.

La Cour ne peut qu'appeler à mettre fin aux pratiques qui affectent ainsi la sincérité de l'Ondam. En particulier, toutes les dépenses de médicaments devraient être prises en compte dans l'objectif, alors qu'une partie d'entre elles en a été sortie par la création du fonds de financement de l'innovation pharmaceutique. De plus, ce fonds a été doté par un simple jeu d'écritures comptables, sans que lui soient apportées de véritables ressources.

En ce qui concerne les années à venir, le projet de loi de financement pour 2018 prévoit un retour à l'équilibre de la sécurité sociale en 2019. Notre rapport souligne que cette prévision de retour à l'équilibre est fragile. Selon les prévisions du projet de loi de financement pour 2018, le déficit de l'assurance maladie devrait se contracter fortement en 2018, puis faire place à des excédents croissants à partir de 2019. Cette amélioration serait cependant due avant tout à une forte croissance des recettes, sous l'effet notamment de la hausse des droits de consommation sur le tabac et de la CSG. Ce que montre la Cour, c'est qu'il serait dangereux de faire reposer sur une embellie de la conjoncture le rétablissement pérenne de l'équilibre des comptes. Les dépenses d'assurance maladie augmentent en effet à un rythme rapide et leur progression risque de s'accélérer, possiblement au-delà des 2,3 % prévus pour l'Ondam entre 2018 et 2021. Ce risque découle non seulement des augmentations tarifaires accordées aux professionnels libéraux de santé (médecins, pharmaciens, chirurgiens-dentistes...) et des augmentations salariales dans la fonction publique hospitalière, mais aussi d'un défaut persistant de maîtrise des dépenses de soins de ville. En effet, les dépenses de dispositifs médicaux, de transports, d'indemnités journalières et d'actes de spécialistes et d'auxiliaires médicaux augmentent à des rythmes de moins en moins soutenables. Le seul poste de dépenses maîtrisé aujourd'hui est celui des médicaments.

L'évolution des dépenses de retraites est un autre facteur de risque. Le Conseil d'orientation des retraites, dans son rapport de juillet dernier, indique que l'augmentation des dépenses va s'accélérer à partir de 2018 et qu'en raison d'évolutions démographiques et économiques moins favorables, la situation des régimes de retraite va se dégrader beaucoup plus rapidement et plus profondément qu'il ne l'avait estimé l'année dernière. Ces nouvelles projections attestent du bien-fondé de la prudence à laquelle la Cour avait appelé dans son rapport de l'an dernier. Elle avait estimé que les perspectives financières du système de retraite qui avaient alors été rendues publiques étaient entachées de biais d'optimisme.

Dans son rapport, la Cour relève au surplus que la loi de financement pour 2017 a masqué la dégradation du solde de l'assurance vieillesse des salariés du secteur privé à partir de 2018. En effet, les prévisions établies dans l'annexe B de la loi, qui décrit l'évolution des agrégats de dépenses, de recettes et de soldes du régime général, de l'ensemble des régimes obligatoires de base et du FSV pour la période 2017-2020, ont intégré des transferts de recettes des trois autres branches de la sécurité sociale (maladie, accidents du travail - maladies professionnelles et famille). D'un montant de 3 milliards d'ici à 2020, ces transferts modifiaient très sensiblement les soldes prévisionnels des branches par rapport à leur évolution spontanée. Pourtant, aucun élément d'information n'avait été transmis à leur sujet au Parlement dans l'annexe B. À l'évidence, il y avait là un défaut manifeste d'information du Parlement. De manière générale, les transferts incessants de recettes entre branches et avec le FSV que prévoient les projets de loi de financement, année après année, nuisent fortement à la clarté de la situation financière de la sécurité sociale et de ses branches.

À cet égard, l'observation de la Cour sur les prévisions de solde par branche contenues dans l'annexe B a eu un effet rapide et je m'en réjouis : d'après les informations qui nous ont été communiquées, dans le projet de loi de financement pour 2018, les prévisions de solde sont bien présentées à périmètres constants de recettes et de dépenses. Pour l'assurance vieillesse, FSV compris, elles font ainsi apparaître des déficits prévisionnels qui dépassent 3 milliards pour chacune des années 2018 à 2021.

Des économies supplémentaires sur les dépenses d'assurance vieillesse et d'assurance maladie apparaissent ainsi nécessaires pour garantir le retour durable à l'équilibre de la sécurité sociale à l'échéance de 2019, réduire au maximum l'accumulation de déficits laissés à l'Acoss et faciliter ainsi le remboursement de la dette sociale correspondante.

Revenir plus rapidement à l'équilibre financier de la sécurité sociale, mais aussi éteindre la totalité de la dette sociale d'ici à 2024, date à laquelle est prévue l'extinction de la Cades, sont des objectifs essentiels. En 2016, le paiement des intérêts et le remboursement des emprunts contractés pour financer les dépenses sociales des années passées ont nécessité pas moins de 15 milliards. La Cour appelle ainsi les pouvoirs publics à fixer sans attendre une trajectoire de remboursement de la dette sociale aujourd'hui laissée à l'Acoss, en l'accompagnant de l'attribution des ressources nécessaires à la Cades.

Le caractère incomplet et fragile du redressement financier de la sécurité sociale appelle à engager ou à amplifier des réformes qui, lorsqu'elles sont mises en oeuvre, produisent des résultats importants. C'est le troisième des quatre constats du rapport.

On entend souvent dire que la France se réforme peu, dans le domaine de la sécurité sociale comme dans les autres. Cette assertion n'est pas exacte. Des réformes importantes et difficiles ont été faites. Elles obtiennent des résultats. Si j'ose dire, les efforts paient.

Dans son rapport de l'année dernière, la Cour avait ainsi souligné que les retraites de base et complémentaires des salariés du secteur privé avaient été réformées à plusieurs reprises depuis 1993 et que ces réformes avaient permis d'améliorer très nettement leurs perspectives financières, même si de nouveaux ajustements étaient à anticiper. Ces nouveaux ajustements seront d'autant moins douloureux qu'ils auront été engagés sans attendre et que la gestion des retraites sera assurée avec toute la rigueur requise.

À cet égard, l'analyse par la Cour des conditions de versement des pensions aux assurés résidant à l'étranger (6,5 milliards en 2015) montre que les actions de contrôle mises en oeuvre sont nettement insuffisantes au regard des risques de fraude : certaines situations sont tout à fait aberrantes.

Afin de réduire ces risques, la Cour recommande de développer les échanges informatisés de données avec les régimes des pays représentant les principaux enjeux, de mutualiser les certificats d'existence entre les régimes de retraite et de développer des contrôles sur place, ciblés notamment sur les assurés les plus âgés.

Après les retraites, la Cour dresse cette année un premier bilan d'ensemble d'une autre série de réformes de grande ampleur, celles des soutiens fiscaux et sociaux aux familles pour près de 60 milliards en 2015, engagées entre 2012 et 2015. Il s'agit de la baisse en deux étapes de l'avantage fiscal du quotient familial ; de la modulation des allocations familiales en fonction des revenus ; de la sélectivité accrue de la prestation d'accueil du jeune enfant et des fortes revalorisations de l'allocation de rentrée scolaire, du complément familial pour les familles nombreuses et de l'allocation de soutien familiale pour les familles monoparentales. À partir d'études pour la plupart inédites, la Cour éclaire de manière détaillée les effets des réformes sur la situation des familles en fonction de leur revenu et de leur configuration. Conformément aux objectifs poursuivis par les pouvoirs publics, des transferts massifs sont intervenus dans le sens d'une redistribution nettement accrue entre familles aux deux extrémités de la distribution des revenus.

Notre système de prestations familiales a ainsi connu une mutation historique, qui le rapproche de celui de la plupart de nos voisins : la quasi-totalité des prestations est désormais placée sous condition de ressources ; les aides fiscales et sociales aux familles n'ont plus un caractère globalement croissant avec les revenus ; la fameuse « courbe en U », qui reflétait l'augmentation des aides avec celle du revenu, principalement par le jeu du quotient familial, est désormais aplanie, sans être pour autant parfaitement linéaire. Mais notre politique familiale n'est pas exempte de limites, voire de contradictions, même après les réformes. La Cour a procédé à une mise en perspective internationale des aides aux familles qui montre que d'autres pays, au prix de choix plus affirmés, obtiennent parfois de meilleurs résultats en matière de réduction de la pauvreté ou de conciliation entre vie familiale et vie professionnelle. À cet égard, l'objectif de création de 275 000 nouvelles solutions de garde entre 2013 et 2017 sera loin d'être atteint. La garde des enfants en bas âge à l'extérieur du cadre familial, en crèche ou par une assistante maternelle, connaît des disparités territoriales et sociales majeures. Plus généralement, les comparaisons internationales auxquelles a procédé la Cour mettent en lumière des questions essentielles pour les objectifs et les outils de notre propre politique familiale. Faut-il mettre l'accent sur les prestations monétaires ou sur les solutions d'accueil pour permettre à un plus grand nombre de mères de travailler ? Faut-il privilégier l'universalité des prestations ou les cibler plus fortement ? Faut-il continuer à apporter un soutien croissant en fonction du nombre d'enfants ou mieux prendre en compte des charges liées à la venue d'un premier enfant ? Faut-il maintenir une dualité de la gestion des aides sociales et fiscales aux familles, assurées respectivement par une branche de la sécurité sociale et par le budget de l'État, singularité que nous ne partageons qu'avec la Belgique ?

La Cour appelle ainsi à mieux mettre en perspective les enjeux de la politique familiale, à établir plus clairement ses priorités et à mieux articuler en conséquence ses outils.

Les réformes structurelles intervenues dans les domaines des retraites et de la famille contrastent très fortement avec la forme d'attentisme qui prévaut trop souvent en matière d'assurance maladie, qui est en déficit continu depuis 25 ans, soit une génération entière.

Bien entendu, l'enjeu financier n'est pas un objectif en soi. Si la Cour réitère ses avertissements, c'est bien parce que la persistance des déficits, qui alimentent la dette sociale dans les conditions coûteuses et alors même que d'importantes marges d'efficience existent, risque de remettre en question l'efficacité des politiques publiques que porte la sécurité sociale et, à terme, le dispositif essentiel de solidarité qu'elle constitue.

Voilà pourquoi il s'agit d'un enjeu fondamental, bien au-delà de toute considération étroitement comptable. Or, l'assurance maladie peine à remplir sa mission première, qui est d'assurer l'égal accès de tous aux meilleurs soins, en intégrant en permanence tous les apports, souvent très coûteux, du progrès médical. La protection qu'elle assure tend à s'éroder, comme la Cour l'a montré l'année dernière en analysant l'évolution générale des modalités de prise en charge des dépenses de santé et les difficultés importantes qui en résultent dans certains domaines, comme les soins bucco-dentaires. C'est pourquoi il convient d'exploiter beaucoup plus activement les importantes marges d'efficience que recèlent les dépenses de santé prises en charge par l'assurance maladie. C'est le quatrième et dernier constat sur lequel je souhaite revenir.

L'exemple du médicament, qui fait l'objet d'une partie du rapport, montre qu'il n'y a pas de fatalité à la dérive des dépenses quand une action cohérente, résolue et continue est conduite, et même si des gisements importants d'économies restent à mobiliser. La Cour met en effet en évidence l'importance des progrès intervenus dans la politique du médicament par rapport à la situation qu'elle avait constatée dans une précédente enquête en 2011.

La loi a complété ou précisé le cadre juridique de la fixation du prix des médicaments. Les ministres adressent à l'instance interministérielle qui négocie les prix avec les entreprises - le Comité économique des produits de santé (Ceps) - des lettres d'orientation qui fixent des objectifs de plus en plus exigeants. Une clause de sauvegarde plafonnant la dépense totale de médicaments et une contribution spécifique aux médicaments très onéreux de traitement de l'hépatite C ont été instaurées afin d'encadrer l'évolution des dépenses. Fait suffisamment rare pour être souligné, les dépenses de médicaments en ville remboursables par l'assurance maladie, à la dynamique très vive et constante jusqu'en 2010, sont orientées à la baisse. En 2015, elles ont retrouvé leur niveau de 2008 (29,8 milliards).

Mais, avec l'arrivée sur le marché de nouveaux traitements dont les prix demandés pourraient être très élevés, comme pour le cancer, l'assurance maladie est confrontée à un défi de soutenabilité de la dépense de médicaments. Par ailleurs, même réduit par des remises, le prix de nombreux médicaments reste imparfaitement corrélé à leur apport thérapeutique réel. Des considérations de nature industrielle peuvent interférer et conduire parfois à des prix anormalement élevés. Des progrès importants restent nécessaires pour rééquilibrer la position de négociation des pouvoirs publics face à des entreprises pharmaceutiques mondialisées et pour gérer plus activement le stock des prix de médicaments anciens.

La Cour recommande ainsi de renforcer les moyens humains et matériels de l'instance qui négocie les prix, qui sont très insuffisants, de réviser des dispositions conventionnelles par trop favorables aux entreprises pharmaceutiques comme la garantie de prix européen, de développer l'évaluation médico-économique, encore trop rare, et enfin de rendre systématiques les révisions de prix et la transformation des remises en des baisses de prix passé un certain délai.

Aborder la question du prix des médicaments suppose de prendre la mesure d'une de ses composantes, le coût de leur distribution, qui n'est pas suivi par les pouvoirs publics. Pourtant, en 2015, ce coût a représenté le tiers de la dépense totale de médicaments dispensés par les pharmacies, soit 8,3 milliards, dont 7,4 milliards ont été perçus par les pharmacies elles-mêmes. En plus de leur rémunération réglementée de 5,4 milliards, ces dernières ont en effet bénéficié de 2 milliards de rémunérations supplémentaires, dont 1,5 milliard provenant d'avantages commerciaux accordés par les entreprises pharmaceutiques et 500 millions d'une partie de la marge réglementée de la distribution en gros. Le coût de distribution des génériques est particulièrement considérable : la moitié des dépenses de génériques sert en effet à rémunérer les pharmacies qui les dispensent. Cette situation contribue à placer les prix des génériques à un niveau nettement plus élevé que chez nos voisins. J'ai déjà eu l'occasion d'aborder cette question.

Dans une large mesure, le niveau du coût de distribution des médicaments est corrélé à la densité de pharmacies par habitant, pour laquelle la France est en deuxième position en Europe occidentale, après l'Espagne. Chaque pharmacie dessert ainsi en moyenne près de 3 000 habitants, contre 4 000 en Allemagne et 4 500 au Royaume-Uni.

En définitive, la Cour recommande une refonte des modes de rémunération des pharmacies afin de réduire les coûts de distribution, en les désensibilisant complètement au nombre comme au prix des boîtes vendues et en révisant les marges très élevées consenties pour la distribution des génériques. Elle propose aussi de favoriser la rationalisation du réseau officinal, notamment en encourageant le développement de modes de distribution alternatifs pour les médicaments à prescription médicale facultative : ventes sur internet et dans d'autres réseaux de distribution.

Bien entendu, ces évolutions devraient s'inscrire dans un respect strict et rigoureusement contrôlé par l'Ordre des pharmaciens des règles déontologiques qui s'appliquent à la profession de pharmacien.

Par ailleurs, un maillage territorial étroit des pharmacies doit être préservé afin d'assurer un accès de proximité au médicament, en ciblant des aides sur celles, 400 à 500 environ, dont l'existence pourrait être menacée alors qu'elles jouent un rôle essentiel.

Autre domaine sur lequel la Cour s'est penchée cette année : l'organisation des soins. Dans ce domaine, la recherche de l'efficience est un objectif majeur qui doit être partagé par tous. L'assurance maladie ne saurait s'exonérer de l'effort demandé à l'ensemble des acteurs. En effet, si la Cour a noté les actions qui visent à faire revenir à l'équilibre financier les établissements sanitaires et sociaux dont l'assurance maladie assure la gestion, elle souligne que ces actions sont encore insuffisantes.

De fait, les questions de fond sont esquivées, notamment celle, centrale, du bien-fondé même de la gestion d'établissements de soins par l'assurance maladie, qui est sans synergies véritables avec sa mission de gestion du risque maladie. La Cour recommande donc d'aligner sur le droit commun les modalités de financement de ces établissements et d'engager la transformation du cadre de leur gestion pour favoriser, à terme, leur autonomie.

Plus généralement, la Cour rappelle que, loin de s'opposer entre eux, les objectifs de renforcement de la qualité et de l'accessibilité des soins et de maîtrise des dépenses sont en réalité convergents. Les exemples des soins de spécialité, des activités chirurgicales et de la télémédecine le mettent clairement en évidence. Tout d'abord, l'organisation de la médecine de spécialité - 16 milliards de dépenses de santé en 2015 - présente un paradoxe apparent : les médecins spécialistes sont de plus en plus nombreux mais les inégalités d'accès aux soins se creusent et favorisent le report de la demande de soins sur les urgences hospitalières.

Ces inégalités sont d'une part territoriales, entre les zones urbaines sur-dotées et les zones péri-urbaines et rurales sous-dotées, entre certains départements, et dans un même département entre certaines communes, qui se trouvent désertées par certaines spécialités ; d'autre part, ces inégalités sont financières, en raison de la croissance forte et continue sur le long terme des dépassements d'honoraires pratiqués par les spécialistes de secteur 2, de plus en plus nombreux. À l'inverse, les spécialistes de secteur 1 à honoraires conventionnels sont de plus en plus minoritaires dans certaines disciplines et dans les zones urbaines sur-dotées.

L'assurance maladie a développé tardivement des incitations financières à la modération des tarifs, qui ont favorisé un léger repli du taux moyen de dépassement d'honoraires des spécialistes de secteur 2. Mais, dans le même temps, les possibilités d'accès au secteur 2 ont été élargies pour les spécialistes de secteur 1. En définitive, l'assurance maladie ne dépense pas moins de dix euros en incitations financières pour éviter un euro supplémentaire de dépassement des honoraires conventionnels ! C'est ce que constate la Cour, en toute rigueur, en comparant l'évolution des dépassements des spécialistes de secteur 2 adhérents au contrat d'accès aux soins (CAS) à ceux des non-adhérents et en appliquant au montant de leurs dépassements de 2012 le taux d'augmentation des dépassements des non-adhérents entre 2013 et 2015. En 2015, 18 millions de dépassements ont ainsi été évités au regard de 183 millions d'incitations financières.

Il faut aussi avoir conscience que les incitations financières de l'assurance maladie ne sont pas le seul facteur explicatif du repli du taux moyen de dépassement des spécialistes de secteur 2. Ce repli a en effet débuté en 2012, avant qu'elles n'entrent en vigueur, en raison d'une conjoncture économique dégradée, du plafonnement croissant de la prise en charge des dépassements par les complémentaires santé - à la suite notamment de la réforme des « contrats responsables » de 2014 - et de l'augmentation du nombre de titulaires de la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C) et de l'aide au paiement d'une complémentaire santé (ACS), auxquels les médecins ne peuvent appliquer de dépassements, sauf exception. Dans ce contexte, la Cour recommande de mettre en oeuvre des instruments de régulation plus contraignants. Elle préconise la révision des nomenclatures des actes médicaux, qui sont obsolètes et déconnectées des coûts ; le déploiement de forfaits de rémunération des soins médicaux pour les patients affectés par des maladies chroniques, remédiant ainsi aux effets inflationnistes du paiement à l'acte ; la mise en place d'un conventionnement sélectif des médecins spécialistes. Ainsi, dans les zones sur-dotées, seuls des spécialistes de secteur 1 devraient pouvoir s'installer afin d'y recréer une offre de soins financièrement abordable.

L'organisation des soins chirurgicaux - 5,9 millions d'interventions et près de 16 milliards de dépenses d'assurance maladie en 2015 -, quant à elle, se modernise : les surcapacités de chirurgie conventionnelle se réduisent et la chirurgie ambulatoire se développe, même si les objectifs fixés dans ce domaine par les pouvoirs publics à l'horizon 2018 ne seront pas atteints.

Mais la permanence d'une offre de soins éclatée entre un grand nombre d'établissements publics et privés pratiquant une gamme étendue d'opérations est, selon de nombreuses études, de nature à nuire à la qualité et la sécurité des soins, quand elle repose sur des équipes opératoires insuffisamment étoffées ou stables, ou lorsque ces équipes pratiquent peu d'opérations. On constate que 29 établissements comportent des services de chirurgie qui ont enregistré moins de 750 séjours en 2015.

La Cour recommande ainsi de concentrer plus fortement l'offre de soins chirurgicaux en fixant des seuils d'activité par site géographique d'établissement, et à terme par chirurgien, et en les faisant appliquer rigoureusement. De fait, moins de 6 % des actes chirurgicaux sont aujourd'hui encadrés par des seuils d'autorisation par établissement, et leur respect n'est pas toujours assuré. La Cour propose aussi d'organiser, dans le cadre des nouveaux groupements hospitaliers de territoire, une prise en charge chirurgicale graduée des patients selon la complexité des interventions que requiert leur état. En outre, l'outil tarifaire serait à mobiliser beaucoup plus activement pour assurer la pertinence des interventions chirurgicales et le développement de la chirurgie ambulatoire.

À cet égard, je voudrais attirer votre attention sur l'article 46 du projet de loi de financement. Il prévoit la suppression du mécanisme de dégressivité tarifaire, qui visait, depuis 2014, à inciter les établissements de santé à modérer le volume de certaines de leurs activités chirurgicales afin d'améliorer la pertinence des soins. Si ce dispositif présente des limites, la Cour estime qu'il concourt utilement à réguler l'activité des hôpitaux. C'est pourquoi elle appelle à le réformer pour en améliorer l'efficacité, suivant plusieurs pistes d'évolution présentées dans le rapport.

Enfin, comme le montrent les exemples étrangers, la télémédecine peut apporter une contribution majeure à l'accessibilité, la qualité et l'efficience des soins. Pourtant, sa place demeure plus que marginale en France. Elle pâtit du manque de cohérence et de continuité de l'action des pouvoirs publics, qui multiplient les expérimentations sans financement stable ni évaluation, tandis que l'assurance maladie avance de son côté, de manière autonome. Pour que la télémédecine se développe, des préalables juridiques et techniques restent à lever. Après l'échec coûteux du dossier médical personnel, il faut désormais réussir la généralisation du dossier médical partagé. Des modalités de rémunération innovantes, s'éloignant de la rémunération à l'acte de chaque intervenant, sont à mettre en place.

C'est à la condition d'une stratégie forte et cohérente que notre système de santé pourra bénéficier des possibilités d'amélioration de la prise en charge des patients que recèlent les différentes formes de télémédecine, notamment la télésurveillance des patients affectés par des maladies chroniques. Celle-ci pourrait dégager, selon certaines études, jusqu'à 2,5 milliards d'économies.

En conclusion, le retour à l'équilibre de la sécurité sociale est non seulement indispensable, mais il est possible. Les déficits ne sont en rien une fatalité. Encore faut-il que le mode de pilotage financier de la sécurité sociale soit à même d'éviter la spirale des déficits et de la dette.

Depuis 2011, la sécurité sociale revient progressivement à l'équilibre, mais c'est au prix de 37 milliards de hausses de prélèvements obligatoires et d'importants transferts de l'État : au-delà de la seule compensation des allègements généraux de charges, ce dernier a apporté à la sécurité sociale près de 4 milliards de ressources, alors même que son propre déficit se creusait. La période de croissance économique relativement forte, avant 2009, n'a pas été mise à profit pour remettre la sécurité sociale à l'équilibre. Celle-ci est entrée dans la crise avec de lourds déficits. Les 220 milliards de déficits accumulés entre 2002 et 2016 ont ainsi une origine essentiellement structurelle, indépendante de la conjoncture économique.

Afin d'éviter de reproduire à l'avenir une trajectoire de ce type, c'est un nouveau cadre de responsabilité qu'il importe de définir pour créer les conditions d'un équilibre pérenne, proscrire la formation de nouveaux déficits structurels et la résurgence d'un endettement social dont l'extinction reste pour partie à organiser.

La Cour propose les modalités de ce nouveau cadre de responsabilité, à partir d'une analyse rétrospective des déterminants du déficit persistant de la sécurité sociale depuis 2002, des limites des outils utilisés pour son redressement et des difficultés qui demeurent. Elle recommande ainsi d'articuler précisément les lois de financement de la sécurité sociale, les lois de finances et les lois de programmation des finances publiques, en organisant en particulier une discussion commune du volet « recettes » des lois financières afin de mieux éclairer le Parlement. Elle préconise également de rendre plus transparents les transferts entre branches et entre l'État et la sécurité sociale. Enfin, elle appelle à interdire le financement de déficits structurels dans le cadre de la gestion courante de la trésorerie de la sécurité sociale par l'Acoss et de mettre en place des mécanismes de lissage conjoncturel des recettes, en les alimentant quand la conjoncture est favorable et en utilisant les sommes ainsi mises en réserve quand elle se détériore.

La situation de l'assurance maladie et celle des retraites appellent des mesures rapides de redressement qui passent par l'engagement ou l'amplification de réformes structurelles. Ces réformes, si difficiles soient-elles parfois, obtiennent des résultats probants. Mais il faut, dans le même temps, aller au-delà de l'objectif du seul retour à l'équilibre pour reconstruire une cohérence d'ensemble du pilotage de la sécurité sociale qui mette sous une contrainte partagée l'ensemble des acteurs.

Certes, les déficits vont encore reculer en 2017 et, selon les prévisions, en 2018. Mais de telles améliorations ont déjà été constatées dans le passé sans être durables car l'effort s'est trop vite relâché. Faire des choix clairs, s'attaquer méthodiquement et avec ténacité par des réformes structurelles aux sources d'inefficacité et d'inefficience et poursuivre ces actions avec détermination dans la durée sont autant de leviers pour préserver le haut degré de protection sociale de notre pays. C'est dans ces perspectives que s'inscrivent les constats, les analyses et les recommandations de la Cour, étant entendu que le dernier mot vous revient, chers parlementaires.

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