Nicole Bricq nous a quittés alors que, toujours déterminée et infatigable, elle avait siégé parmi nous quelques jours plus tôt, jusqu’au terme de la session extraordinaire.
C’était une femme de caractère, au sens le plus élevé du terme, dont la compétence était unanimement reconnue sur toutes les travées de notre assemblée.
Nicole Bricq a voué sa vie entière à son engagement politique en faveur des valeurs auxquelles elle croyait, exerçant des responsabilités publiques de haut niveau, au sein du parti socialiste, comme élue locale, comme parlementaire et comme ministre.
Née à La Rochefoucauld, cette fille d’agriculteurs quitta sa Charente natale pour faire des études de droit à Bordeaux, où elle obtint une maîtrise de droit privé.
Alors qu’elle n’avait que 21 ans, elle ressentit la nécessité d’un engagement politique et, en 1972, adhéra au parti socialiste pour défendre les idées qui lui tenaient à cœur.
Son frère, Lucien Vayssière, parle d’elle en ces termes : « Nicole a toujours aimé la politique. C’était une vocation. » Sa détermination sans faille était, à ses yeux, le fruit d’une éducation familiale où trois valeurs primaient : le travail, la responsabilité, l’austérité.
Au sein du parti socialiste, Nicole Bricq gravit successivement tous les échelons. Elle fut première secrétaire fédérale, membre du comité directeur, membre du conseil national, secrétaire nationale chargée de la consommation, déléguée nationale chargée de la fiscalité locale et membre des équipes de campagne pour l’élection présidentielle de Lionel Jospin et de François Hollande.
L’engagement militant de Nicole Bricq déboucha logiquement, en 1986, sur un premier mandat électif, celui de conseillère régionale d’Île-de-France, mandat qui devait être suivi de beaucoup d’autres.
Son engagement politique la conduisit aussi à devenir, en 1988, conseillère technique chargée des relations avec le Parlement et les élus au cabinet de notre ancien collègue Jean-Pierre Chevènement, alors ministre de la défense, puis conseillère technique pour les relations avec le Parlement au cabinet de Ségolène Royal au ministère de l’environnement, en 1992.
C’est forte de cette première expérience du monde parlementaire que Nicole Bricq fit son entrée à l’Assemblée nationale, en 1997, comme députée de Seine-et-Marne. Elle siégea d'abord à la commission de la production et des échanges, puis à la commission des finances, où elle fut notamment membre de la mission d’évaluation et de contrôle sur la dépense publique.
Elle commença alors à se forger une solide compétence en matière de finances publiques et fut notamment l’auteur, en 1998, d’un rapport d’information sur la fiscalité environnementale, suggérant une réforme de la fiscalité au service de l’environnement et un renforcement de l’application du principe « pollueur-payeur ».
Après avoir rejoint le conseil municipal de Meaux, en 2001, Nicole Bricq fut élue sénatrice de Seine-et-Marne, en 2004. Réélue en 2011, elle siégea sans interruption dans notre assemblée jusqu’à sa nomination au Gouvernement en 2012.
Dans le cadre de son mandat sénatorial, elle s’affirma comme une spécialiste incontournable des questions budgétaires et l’une des personnalités les plus éminentes de notre commission des finances, dont elle fut vice-présidente de 2008 à 2011.
J’ai la conviction que c’est au Sénat, lorsqu’elle devint rapporteure générale du budget – un poste, nous le savons tous, essentiel –, que sa vie politique a connu une forme de tournant. C’est à ce moment précis que ses collègues, quel que soit leur groupe, prirent conscience de sa rigueur et de ses compétences, qui lui permirent d’occuper de hautes fonctions ministérielles.
Dans un rapport préalable au débat sur les prélèvements obligatoires, elle dressa ainsi, à l’automne 2011, un bilan critique de la politique menée dans ce domaine depuis 2007, assorti de pistes et de propositions pour le quinquennat à venir, notamment la suppression de « niches fiscales » et une réforme des modalités de calcul des principaux impôts destinée à accroître leur rendement tout en favorisant – elle y tenait –une plus grande justice fiscale.
C’est le 16 mai 2012, à l’issue de l’élection présidentielle, que Nicole Bricq fut appelée à exercer des responsabilités gouvernementales.
D’abord ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie dans le premier gouvernement de Jean-Marc Ayrault, elle prit des positions conformes à ses convictions en faveur de la protection de l’environnement, souhaitant l’introduction d’une plus grande transparence dans l’attribution des gisements miniers et annonçant la suspension des permis de forages exploratoires d’hydrocarbures au large de la Guyane.
Nicole Bricq fut ensuite, de juin 2012 à mars 2014, ministre du commerce extérieur dans le second gouvernement Ayrault, fonctions qu’elle exerça avec la force de conviction qui la caractérisait.
Au printemps 2014, Nicole Bricq revint au Sénat où, siégeant à nouveau à la commission des finances, puis à la commission des affaires sociales, elle s’investit pleinement dans l’exercice de son mandat parlementaire, en particulier à l’occasion de l’examen du projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, présenté par un ministre du nom d’Emmanuel Macron… Comme toujours libre et déterminée dans ses engagements, elle fut parmi les premiers parlementaires à soutenir celui-ci lors de sa campagne présidentielle de 2016-2017, et parmi les premiers sénateurs à rejoindre le nouveau groupe La République en marche au sein de notre assemblée.
Le 2 août dernier, Nicole Bricq était encore présente dans cet hémicycle pour participer à nos débats sur les ordonnances relatives notamment au dialogue social.
Elle décrivit alors, dans ce qui devait être son ultime intervention parmi nous, le rôle essentiel du parlementaire participant à une commission mixte paritaire, dans des termes que je voudrais rappeler et que nous pourrions, je crois, tous reprendre à notre compte : « S’il est un moment privilégié dans la vie d’un parlementaire, c’est bien quand il participe à une commission mixte paritaire […]. En effet, on dispose, pour une fois, d’une entière liberté, on est mis en face de sa responsabilité. Nous savons qu’il n’y a pas de mandat impératif pour un parlementaire. Il faut choisir la voie la meilleure pour arriver à un compromis positif. » Tout est dit, me semble-t-il, sur le bicamérisme !
Tout au long de ce riche parcours politique, Nicole Bricq s’était imposée, dans chacune de ses fonctions successives, par son travail acharné et ses compétences.
À l’occasion d’un entretien donné à La République de Seine-et-Marne, en 2006, elle témoignait en ces termes des handicaps qu’elle avait dû, à ses yeux, surmonter : « J’étais une provinciale, sans réseaux, sans amitiés d’écoles et de pouvoir, je ne venais pas d’un milieu élevé. » Elle ajoutait : « Pour une femme, la politique est un dur combat, violent même et qui peut faire peur. Il faut avoir une cuirasse. Si je n’avais pas eu la politique chevillée au corps, l’opiniâtreté, je n’aurais pas réussi. » Forte personnalité au caractère bien trempé, elle se plaisait à observer que « d’un homme on dit qu’il a du caractère, d’une femme qu’elle a mauvais caractère. J’ai le mien. »