Intervention de Julien Denormandie

Réunion du 11 octobre 2017 à 14h30
Éloge funèbre de nicole bricq sénatrice de seine-et-marne

Julien Denormandie, secrétaire d'État auprès du ministre de la cohésion des territoires :

Monsieur le président du Sénat, mesdames, messieurs les sénateurs, cher Jean-Paul, cher Renaud, c’est avec beaucoup d’émotion que je viens vous parler, cet après-midi, au nom de l’ensemble du Gouvernement, d’une grande dame qui nous a quittés subitement un samedi d’août, Nicole Bricq.

J’ai eu la chance de bien connaître Nicole Bricq, pour avoir travaillé avec elle lorsqu’elle était ministre du commerce extérieur, puis quand elle fit le choix de rejoindre le mouvement En Marche, avec un certain nombre d’entre vous.

Cette grande dame, que je respectais tant, avait une voix et un visage singuliers.

Son visage était le symbole même de la franchise que vous lui connaissiez. Il exprimait toujours ce qu’elle pensait. Rien qu’en la regardant, il était assez facile de savoir si le dossier qu’elle avait à traiter lui convenait, si la journée était difficile ou si elle était parvenue à lever les obstacles. Son humeur n’était jamais voilée, jamais feinte.

Elle était directe. Elle allait droit au but. Elle pouvait raccrocher au téléphone avant même de dire au revoir, parce que l’essentiel avait été dit.

Son franc-parler rompait avec les habitudes et les pratiques convenues. C’était le cas ici, bien sûr, dans cette assemblée qu’elle respectait tant, mais elle ne réservait pas cette franchise au Sénat : elle avait l’habitude de dire tout haut ce que tout le monde pensait tout bas, aussi bien dans les enceintes officielles, les comités plus restreints que dans les réunions avec les militants ou avec ses collaborateurs. Il lui arrivait d’être dure, parfois très dure, mais cette exigence, elle se l’imposait aussi à elle-même.

De quoi, pendant tout son parcours, n’a cessé de nous parler cette grande dame qu’était Nicole Bricq ? De quoi nous parle-t-elle encore ? L’audace, c’est le premier mot qui me vient à l’esprit quand il s’agit de parler de Nicole Bricq.

L’audace d’une carrière politique qui la voit, dès les années quatre-vingt, devenir première secrétaire de la fédération de Paris au sein du parti socialiste.

L’audace, pour une femme de gauche, de faire campagne sur une terre de droite et de se faire élire députée, en 1997, dans la sixième circonscription de la Seine-et-Marne.

L’audace de porter le projet européen alors même que l’idée européenne devenait plus souvent synonyme de discorde et de défiance que d’élan et de confiance. Ce projet européen était profondément ancré en elle, et elle nous le rappelait souvent.

L’audace, encore, de devenir la première femme rapporteure générale du budget au Sénat. Nicole Bricq était une énorme travailleuse. Aucun sujet, si technique soit-il, ne la rebutait. Si cela paraissait compliqué, difficile, ardu, elle se disait : « j’y vais », et elle y allait avec une énergie, une générosité qui entraînaient tout le monde derrière elle. Sa compétence économique était considérable, alors même qu’elle était autodidacte. Elle ne se ménageait jamais. Elle n’a pas compté les kilomètres lorsqu’elle était ministre du commerce extérieur.

L’audace, enfin, de rejoindre le mouvement En Marche dès sa création. À l’époque, nous n’étions que quelques-uns à avoir ce désir fou : lutter contre le sentiment que rien n’était possible, que tout avait été tenté et qu’il était presque déjà trop tard.

C’est aussi ce moment de notre histoire collective que nous raconte le parcours de Nicole Bricq.

Dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix, le parti socialiste, où elle occupe ses premières responsabilités, s’adapte aux réalités de l’économie de marché. C’est une social-démocratie qui ne dit pas son nom, qui renvoie, par certains aspects, à d’autres évolutions du socialisme en Europe.

Nicole Bricq débute au CERES de Jean-Pierre Chevènement, à la gauche du parti socialiste. Elle se rapproche plus tard de Dominique Strauss-Kahn, à travers « Socialisme et démocratie », dans le but de renforcer le courant réformiste du PS.

Cette volonté réformiste l’amène à rejoindre l’aventure d’En Marche, parce qu’elle voyait que ce mouvement proposait un juste équilibre entre la liberté et la protection.

La protection sans liberté est stérile ; la liberté sans protection est intenable. Nous en sommes arrivés à ce constat après des parcours bien différents. Mais un point commun nous rassemblait au premier jour, comme il nous rassemble encore aujourd’hui, une volonté, qui ne nous a jamais lâchés, qui est toujours présente et que nous cherchons à mettre en œuvre maintenant que nous sommes parvenus aux responsabilités : faire bouger les choses en France et porter le projet européen.

Cette passion pour le monde qui vient, Nicole Bricq en était l’incarnation. Oui, elle était, avec passion, une femme d’avenir.

Très tôt, elle a été convaincue de la réalité du réchauffement climatique, de son impact, de la nécessité d’engager le combat pour préserver notre environnement et celui de nos enfants.

Ce en quoi elle croyait, elle y croyait parce qu’elle avait discuté, échangé, réfléchi. À une époque où se manifeste si souvent le goût pour le raccourci ou pour la caricature, elle nous rappelle que l’écoute, suivie de la délibération, est un art précieux, qui fonde nos modes de vie et nos choix collectifs.

Cette force, Nicole Bricq l’a également manifestée lors de son passage au ministère de l’environnement, en 2012. Elle voulait protéger, au large de la Guyane, la faune marine et l’environnement. Elle a été jusqu’à dénoncer le code minier.

Ce beau souci de l’avenir n’allait pas sans une grande liberté, liberté d’esprit et liberté d’engagement.

On le voit, il y avait à la fois, chez Nicole Bricq, son engagement et la façon dont elle s’engageait, des convictions et un style. Ce visage et cette voix doivent continuer à nous inspirer.

L’un des plus grands héritages que nous laisse cette grande dame est que le futur de la France est dans l’Europe et dans le monde, que nous ne serons pas nous-mêmes si nous sommes enfermés, frileux ou inquiets, que nous serons infidèles à notre histoire si nous perdons de vue le désir de changer les choses.

Nicole Bricq, vous le savez, était également une femme cultivée, éprise de musique classique et de poésie.

À ce propos, je pense, au moment de conclure, à un vers du grand poète Paul Éluard : « Un cœur n’est juste que s’il bat au rythme des autres cœurs. »

C’était Nicole Bricq. Elle a su nous donner le rythme, nous bousculer, nous éclairer. C’est dire combien elle nous manquera.

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