… et celle de nos partenaires.
Oui, l’Europe est le déterminant majeur d’une politique globale. Pour que la France fasse entendre sa voix, il nous faut un cap clair ; le Président l’a fixé, et vous avez entendu, mesdames, messieurs les sénateurs, ses nombreuses propositions pour l’Europe.
Celles-ci s’articulent – je veux le souligner devant vous – autour de deux horizons temporels : l’échéance de 2019, d’abord, date à laquelle seront organisées les prochaines élections européennes – il faut nous y préparer, et cela nous donne le temps de convaincre nos partenaires –, celle de 2024 ensuite, qui sera l’horizon de la nouvelle Commission résultant de ces élections – nous devons avoir pour objectif de lui proposer un mandat ambitieux, porté par la volonté de refonder l’Europe. L’ensemble du Gouvernement est mobilisé derrière le Président de la République au service de ces objectifs.
Mais pour préparer au mieux ces rendez-vous, il nous faut aussi une conscience lucide de la situation dans laquelle se trouve l’Europe aujourd’hui. En la matière, et alors que la défiance s’est installée dans une partie des peuples européens, rien ne serait pire que le déni de réalité.
L’Europe est aujourd’hui perçue comme trop lointaine, trop technocratique. Incapable de rendre intelligibles ses décisions comme ses instruments de légitimité démocratique, elle suscite une forme d’indifférence résignée, dont a encore témoigné le faible taux de participation aux dernières élections européennes.
Pour autant, nos concitoyens n’ignorent pas l’Europe. En vérité, elle est revenue au centre de l’attention, mais trop souvent d’une manière négative. Avec les crises qui ont frappé le continent ces dix dernières années, elle a été tantôt pointée du doigt en cas d’échec, tantôt laissée dans l’ombre lorsqu’elle apportait des solutions. Je ne crois pas que nous ayons assez dit ce que l’Union européenne rendait possible et ce qu’elle apportait concrètement à nos concitoyens.
En outre, depuis quinze ans, des forces centrifuges traversent le continent. Elles ont atteint leur paroxysme avec la décision du Royaume-Uni de quitter l’Union européenne, il y a un peu plus d’un an. C’est la décision souveraine du peuple britannique, et nous la respectons, même si elle représente une mauvaise nouvelle pour l’Europe.
Depuis le 19 juin, la négociation est enclenchée, sous la conduite de Michel Barnier, qui a reçu un mandat clair des 27 États membres et de la Commission européenne, sur la base des orientations arrêtées à l’unanimité par le Conseil européen en mai et juin derniers.
Je vous rappelle les principes qui fondent la position des 27 : garanties réciproques pour les citoyens directement concernés par le Brexit ; respect par le Royaume-Uni de ses obligations administratives, financières et juridiques souscrites en qualité d’État membre ; prise en compte de la spécificité de la frontière irlandaise. S’y ajoute, sur le marché intérieur, le rappel du caractère indivisible des quatre libertés de circulation, des capitaux, des biens, des services et des personnes.
Je tiens également à préciser, mais vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, qu’aucune négociation, ni sur les conditions du retrait ni sur les contours de l’accord futur, ne saurait être menée à titre bilatéral – il importe de le rappeler.
Dans cette crise, l’Union européenne fait la preuve de son unité et de sa cohésion. Il ne s’agit pas, pour autant, d’adopter une approche punitive à l’égard du Royaume-Uni, lequel restera, après son retrait, un partenaire et un allié essentiel de la France, tout particulièrement dans le domaine de la défense, en vertu des accords de Lancaster House, qui sont toujours en vigueur et dont l’application est garantie dans le cadre de notre relation bilatérale.
Mais, par ailleurs, nous ne devons avoir aucune naïveté dans la négociation en cours : chacun défend ses intérêts. Notre intérêt collectif est de mettre fin dès que possible à l’incertitude que fait planer le Brexit, et de le faire en deux temps : d’abord en négociant les conditions du retrait et, seulement ensuite, en instaurant le cadre juridique de nos futures relations.
Pour l’heure, après les premières sessions de négociations, force est de constater que le compte n’y est pas, s’agissant des différents principes que j’ai rappelés et qui conditionnent pour nous un retrait acceptable du Royaume-Uni. Le discours de Theresa May à Florence, voilà quelques jours, a certes donné des signaux d’ouverture ; la quatrième session a permis quelques progrès, mais ceux-ci restent insuffisants. La cinquième session est en cours. Mais le prochain Conseil européen, qui se tiendra dans quelques jours, ne pourra sans doute pas décider d’ouvrir les discussions de la deuxième phase avec le Royaume-Uni.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le vote britannique, hier, la défiance, ces derniers temps, d’un nombre important de nos concitoyens et, aujourd’hui même, la crise qui secoue la Catalogne, tout cela nous commande d’agir. Nous ne pouvons plus nous permettre de continuer à faire l’Europe comme par le passé. Il faut revoir en profondeur nos priorités politiques, nos pratiques institutionnelles et les moyens qui sont consacrés à chaque objectif. Un sursaut, une véritable refondation, pour reprendre l’expression du Président de la République, sont indispensables.
Je veux dire aussi que ceux qui dénoncent aujourd’hui la construction européenne entretiennent nos concitoyens dans une représentation chimérique de la souveraineté. La souveraineté de repli qu’ils leur proposent est un leurre ; elle ne peut mener la France qu’à l’isolement et à une exposition plus grande encore aux désordres du monde.
C’est une communauté de destin qui nous unit aux peuples d’Europe. Dire cela, ce n’est pas faire l’aveu d’une fatalité, c’est affirmer à la fois une histoire partagée et une vision stratégique et volontariste de la place de la France dans le monde.
Je suis aujourd’hui en charge de la conduite de la diplomatie de notre pays. Je peux vous le dire, mesdames, messieurs les sénateurs : jamais, depuis la fin de la guerre froide, les divergences, les tensions et le niveau de conflictualité n’ont été aussi élevés. Dans un monde pourtant de plus en plus interdépendant, la compétition est à son paroxysme, la coopération entre nations de moins en moins évidente, la multilatéralité en voie d’affaiblissement : les crises se sont multipliées dans le voisinage immédiat de l’Europe ; des stratégies de puissance s’affirment de façon de plus en plus agressive ; la concurrence économique, les tensions commerciales et les inégalités qu’engendre la mondialisation s’accroissent.
Dans ce contexte, la seule réponse qui vaille est à la fois nationale et européenne – les deux dimensions sont aujourd’hui inséparables. Si la France veut garantir sa sécurité, si elle veut défendre ses intérêts et affirmer ses valeurs, bref, si la France veut compter dans le concert des nations et continuer d’écrire par elle-même son histoire, alors sa souveraineté passe par son effort propre et aussi par l’Europe, mais une Europe réformée, capable de s’affirmer elle-même comme une puissance souveraine. Pour faire entendre sa voix, l’Union doit donc intégrer – j’y insiste – une culture du rapport de force qui lui a trop souvent fait défaut.
Mesdames, messieurs les sénateurs, cette Europe souveraine repose elle-même sur trois conditions : l’unité de l’Europe, d’abord, la protection de ses citoyens et de ses intérêts, ensuite, ce que j’appelle, enfin, la capacité de projection de l’Union européenne, c’est-à-dire sa capacité à agir comme un acteur global, à peser réellement sur les dossiers internationaux et à diffuser son modèle et ses valeurs.
La première condition de l’Europe souveraine, c’est le renforcement de son unité. Mais ce travail d’unification est voué à l’échec s’il ne prend pas réellement en compte les aspirations des peuples, dépositaires de la souveraineté européenne. Le peuple français, les peuples d’Europe doivent être de véritables acteurs de cette refondation si nous voulons qu’une authentique démocratie européenne existe.
C’est la raison pour laquelle la France propose l’organisation de « conventions démocratiques » dans tous les États membres qui souhaiteront participer à cette initiative. Il s’agit de redonner la parole aux citoyens et de débattre sur le fond, au plus près du terrain, des priorités de l’Union pour les années à venir. Au premier semestre 2018, chaque État membre qui le souhaite pourra déployer, selon les modalités qui lui paraissent les plus adaptées, une série de débats et d’échanges dont les conclusions seront mises en commun pour préparer l’échéance de 2019 et refonder l’Europe en répondant mieux aux attentes des citoyens, lesquels auront, cette fois, été consultés en amont.
La ministre chargée des affaires européennes, Nathalie Loiseau, est mobilisée pour donner corps à ce projet de la façon la plus large possible, avec les acteurs politiques, les acteurs sociaux, les acteurs syndicaux, la société civile, pour qu’une vraie mobilisation puisse se mettre en œuvre.
Renforcer l’espace démocratique européen, le mettre en mouvement, l’animer par un projet dépassant les seules formations politiques nationales, c’est aussi le sens de la proposition du Président de la République visant à créer une circonscription européenne. Les députés européens seraient élus sur la base de listes transnationales, selon un principe simple : rassembler des candidats de même sensibilité politique mais de nationalités différentes.