Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la ministre, messieurs les présidents de commission, mes chers collègues, il y a quelques années encore, un débat sur « l’avenir de l’Union européenne » aurait paru incongru aux parlementaires que nous sommes tant la nécessité de la construction européenne ne faisait pas débat.
Nous nous accordions sur la réalité de cet avenir, sur le besoin de cet avenir et presque sur les modalités de cet avenir. Est-ce toujours le cas ? La question se pose et ce débat doit permettre d’y répondre. Monsieur le ministre, madame la ministre, avec le Gouvernement, vous devrez apporter ces réponses au peuple français.
Cette sérénité, cette confiance dans le projet européen nous ont fait oublier la nécessité de l’expliquer et, surtout, de le penser, voire de le repenser.
Aujourd’hui, l’Union européenne vit une crise majeure, une crise comme elle n’en a jamais connu auparavant qui peut avoir deux issues : la fin de l’idée européenne et de l’Europe telle que la battirent nos prédécesseurs – ce serait un désastre politique et humain –, ou alors le redémarrage d’une Europe de prospérité et de solidarité.
Nous devons avoir la volonté chevillée au corps de réinventer le rêve européen. Oui, monsieur le ministre, il faut un sursaut, un cap clair pour une véritable refondation de l’Europe.
Au moment où l’euroscepticisme gagne les rangs des Français, et plus largement des citoyens européens, où l’Union traverse des crises en donnant l’impression d’une totale non-maîtrise des événements, où les peuples d’Europe sont de plus en plus méfiants vis-à-vis du projet européen, ce type de débat est utile et devrait être plus courant.
Monsieur le ministre, je veux d’emblée vous assurer de notre soutien pour tout ce qui ira dans le sens d’un renforcement de l’Union, d’un approfondissement du projet européen et, surtout, d’une dynamique démocratique européenne.
Nous vous soutiendrons parce que notre pays en a besoin et parce que vous aurez besoin de la force du Parlement pour exprimer une position claire de la France sur la scène européenne. Nous croyons que c’est dans l’accomplissement d’un projet européen que les peuples d’Europe seront mieux protégés, en termes tant de sécurité physique que de garanties sociales.
Toutefois, sachez que notre exigence et notre vigilance seront fortes et constantes.
Nous croyons dans le projet européen, parce que nous reconnaissons ce qu’il a apporté aux peuples européens depuis soixante ans. Mais aussi parce que nous avons la volonté de corriger les erreurs qui ont pu émailler sa construction.
Contrairement à ceux qui ont baissé les bras, nous pensons l’Europe comme un enjeu politique primordial. Faire table rase serait une facilité et une erreur historique.
Quel reniement, quelle démission intellectuelle, quel déshonneur pour ceux qui veulent aujourd’hui faire disparaître les symboles européens comme le drapeau ! C’est absolument inacceptable ! Le Président de la République a annoncé qu’au prochain Conseil européen la France ferait une déclaration solennelle pour reconnaître le statut de l’hymne et du drapeau européens. Nous y sommes totalement favorables, car la politique et la construction européennes est aussi affaire de symboles.
Construire est bien évidemment plus complexe, plus long, plus difficile que de renier, mais bien plus utile aux peuples. C’est vers cette nouvelle construction européenne que nous souhaitons nous diriger.
À ce titre, je souhaite vous alerter sur deux dangers qui pèsent sur ce projet.
Le premier danger est celui de l’éclatement : il a déjà commencé. Les tenants de l’explosion ou de l’implosion du projet européen sont nombreux. Notre mobilisation, votre action doivent être totales contre ce risque. Nous devons y répondre en affirmant notre volonté d’une Europe intégrée et unie.
Le phénomène britannique n’est pas isolé. Dans notre pays, la dernière élection présidentielle a montré que la remise en cause de l’Union était de plus en plus forte. Sous deux formes différentes, à l’extrême droite et à l’extrême gauche, les opposants à l’Europe, les eurosceptiques, ont fait plus de 40 %.
En Allemagne, l’extrême droite est entrée au Parlement. En Hongrie ou en Pologne, les opposants au projet européen sont même au pouvoir.
La menace d’éclatement de l’Union européenne n’est pas uniquement virtuelle. Si une partie des Britanniques regrettent déjà leur sortie, personne ne peut dire ce qu’un référendum du même type donnerait aujourd’hui dans un autre pays. Ce mouvement pourrait devenir une lame de fond contre toute espèce de solidarité.
C’est d’ailleurs bien cette volonté « de ne pas payer pour les autres » qui a présidé pendant des années au traitement du dossier grec, jusqu’à ce que la menace du Grexit fasse évoluer les positions.
La France a été à la pointe et a joué un rôle déterminant dans le règlement de la crise grecque. La France compte et doit continuer à compter dans le concert des nations. Ce danger de l’éclatement doit donc nous rappeler au principe de solidarité au sein de l’Union. La construction purement économique a trop écarté ce besoin de solidarité entre les peuples, alors que nos sociétés sont devenues de plus en plus interdépendantes.
Ce paradoxe doit être résolu dans cette nouvelle phase du projet européen.
Certes, il faut aller dans le sens d’une union monétaire renforcée, d’un budget efficace aux ressources propres, de l’harmonisation des politiques, notamment fiscales, comme vous l’avez dit, monsieur le ministre. Mais il est absolument indispensable d’aller vers une convergence sociale avec l’adoption d’un socle européen des droits sociaux, sous peine d’un retour en arrière de l’idée européenne par une grande majorité de citoyens européens.
La solidarité européenne, c’est aussi le partage de l’effort de sécurité. La France, d’autant plus avec le départ du Royaume-Uni, ne peut plus assumer seule, ou presque seule, la protection de tout un continent.
Le contexte terroriste et le besoin du renforcement militaire de notre pays ont montré l’urgence d’une plus grande unité militaire en Europe, et je parle devant l’expert que vous êtes, monsieur le ministre. Les propositions du Président de la République en la matière sont fortes. Espérons que le projet européen de défense puisse enfin voir le jour.
Le second écueil auquel nous serons vigilants est celui de la déconnexion du projet européen.
La perte d’espoir dans l’Europe ne vient pas de nulle part. Parmi les erreurs du passé, que j’évoquais il y a quelques instants, c’est bien l’éloignement des citoyens de ce qu’on appelle la technostructure qui a été la plus terrible.
De la directive Bolkestein à celle qui concerne les travailleurs détachés, de la politique agricole commune à Schengen, les Français sont souvent inquiets ou interrogatifs.
L’éloignement a attisé l’exaspération, pendant que la crise montrait d’autres failles du projet européen, notamment l’absence d’Europe sociale.
Il n’est plus temps de se satisfaire d’accords entre gouvernements, mais de satisfaire les attentes légitimes des citoyens. Ne refaisons pas les erreurs du passé. N’éloignons pas plus l’Europe des citoyens. Ne construisons pas de nouvelles instances sans lien démocratique. N’empilons pas les institutions comme on sait parfois si bien le faire.
Au contraire, monsieur le ministre, nous vous demandons de penser constamment tout nouveau projet, toute nouvelle institution européenne avec la volonté de mettre plus de démocratie dans l’Europe.
Le Parlement européen doit ainsi obtenir davantage de pouvoirs, parce qu’il représente la volonté citoyenne, celle du peuple, et la démocratie. C’est bien le lien entre décision et démocratie qu’il faut renforcer quand nous parlons de projet démocratique, bien avant les débats légitimes sur les modalités d’élection.
Nous veillerons à ce que vous preniez ce chemin d’une Europe plus démocratique. Là encore, vous aurez sûrement des opposants. Certains vous expliqueront que ce ne sont que des mots qui ne produiront aucun effet. Mais croyez-nous, la démocratie n’est pas qu’un mot, elle est un projet en elle-même, et l’Europe a besoin de ce projet démocratique, qui seul la rapprochera des citoyens.
Démocratie et solidarité : ce sont les deux principes que je voulais apporter, au nom de mon groupe, à ce débat sur l’avenir de l’Union européenne.
Parce que l’Europe doit s’affirmer comme une puissance souveraine – vous l’avez dit, monsieur le ministre –, notre projet européen a besoin d’une boussole, d’une identité, et ces principes peuvent y contribuer.
L’ancrage des symboles européens dans notre pays participera aussi à la progression du sentiment européen. Vous nous trouverez pour contribuer avec vous au débat. Vous nous trouverez aussi à vos côtés contre tous ceux qui veulent démanteler l’Europe, contre ceux qui prônent le repli et la suppression des symboles.
Au populisme sans limites, répondez par un projet démocratique. À la folie démagogique des extrêmes, répondez par l’aspiration à plus de solidarité.
Parce que la France a toujours été du côté des bâtisseurs de notre espace commun, parce que la France a un rôle éminent à jouer dans la nouvelle phase qui s’ouvre, parce que la France et l’Allemagne demeureront un moteur solide au milieu des autres nations, parce qu’un nouveau traité de l’Élysée sera vraisemblablement nécessaire, assumons ensemble, monsieur le ministre, notre volonté européenne inébranlable, assumons d’être les fers de lance de sa reconstruction, assumons notre histoire.
Quelles que soient les difficultés – il y en aura ! –, quels que soient le travail immense à accomplir – il faudra le faire – et les obstacles à lever, assumons de demeurer des travailleurs infatigables pour continuer à bâtir cette belle idée européenne et pour que demain nous puissions tous ensemble dire encore : Vive l’Europe !