Intervention de Nathalie Loiseau

Réunion du 11 octobre 2017 à 14h30
Avenir de l'union européenne — Déclaration du gouvernement suivie d'un débat

Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes :

Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le président de la commission des affaires européennes, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à vous remercier de ce débat, qui a permis une expression à la fois complète et marquée presque toujours de cette sagesse qui caractérise vos travaux.

J’appuie la suggestion du sénateur Gattolin de faire de ce débat un rendez-vous annuel, et je sais pouvoir parler aussi au nom de Jean-Yves Le Drian.

Je vais revenir sur certains des sujets que vous avez soulevés, mais je crains de ne pouvoir tout traiter dans le temps qui m’est imparti. Je resterai évidemment à la disposition des membres du Sénat, comme je le suis depuis ma nomination, et tout particulièrement – quoique sans exclusive – de ceux de la commission des affaires européennes, dont je veux saluer ici l’implication et le travail.

Mesdames, messieurs les sénateurs, certains d’entre vous ont exprimé, sur l’Union européenne comme elle fonctionne ou comme les autorités françaises souhaiteraient qu’elle soit refondée, des encouragements, parfois des critiques. Soyez-en remerciés dans les deux cas, car certaines critiques sont, à l’évidence, légitimes. Oui, l’Union européenne aujourd’hui est parfois trop bureaucratique et trop peu démocratique, M. Guillaume a raison. Ces critiques doivent être entendues et prises en compte dans les efforts que nous déployons pour une refondation ambitieuse de l’Europe.

En revanche, je veux réaffirmer avec force que le Gouvernement a fait le choix de porter, comme l’a fait le Président de la République, une ambition forte pour l’Europe, car c’est en refondant l’Europe que nous retrouverons, en la partageant, notre pleine souveraineté. C’est à l’échelle de l’Europe que nous serons les mieux armés pour relever les défis des migrations, des mutations technologiques, du dérèglement climatique, du terrorisme, que nous pourrons pleinement protéger nos industries et nos emplois de ceux qui faussent les règles du jeu du commerce international, qu’il s’agisse des biens ou des investissements.

C’est par une convergence renforcée par le haut de nos économies, notamment, mais pas seulement, au sein de la zone euro, dont vous avez justement appelé de vos vœux la nécessaire réforme, monsieur le président Éblé, que nous tirerons pleinement profit du marché unique. Soyez assurés que nous défendrons l’agenda de protection que nous avons exposé à nos partenaires.

Le Gouvernement est pleinement mobilisé pour modifier la directive sur les travailleurs détachés et la partie du règlement sur la sécurité sociale qui en traite. Les négociations sont en cours pour empêcher les fraudes et le dumping social. Nous sommes aujourd'hui en situation d’empêcher l’adoption de textes insuffisamment ambitieux. Nous travaillons maintenant à rassembler une majorité qualifiée, monsieur Bonnecarrère, puisque l’unanimité, qui est sans doute hors d’atteinte, n’est pas nécessaire. Les ministres du travail essaieront de parvenir à un accord au Conseil du 23 octobre. Soyez en tous cas assurés de la détermination du Gouvernement : j’ai évoqué ces sujets en Pologne la semaine dernière ; je le ferai de nouveau dès demain en Hongrie.

M. Jean-Yves Le Drian vous a présenté les lignes de force du discours du Président de la République à la Sorbonne le 26 septembre dernier. Une dynamique s’est mise en place, un « élan », comme l’a qualifiée M. Requier. L’appel lancé par le Président de la République a eu un écho très important dans les opinions publiques, comme auprès des membres du Conseil européen qu’il a rencontrés le 28 septembre. Nous devons le faire vivre et en conserver l’ambition : rien ne serait pire que de nous contenter d’un catalogue de mesures qui tendrait à se réduire progressivement. C’est pour cela qu’il était essentiel qu’à Tallinn les chefs d’État et de gouvernement s’accordent sur la nécessité de refonder l’Europe, ce qu’ils ont fait.

C’est pour cela que nous devions démontrer que ce n’était pas une préoccupation française, mais une cause européenne : le fait que le président du Conseil européen, M. Tusk, ait été mandaté pour présenter, dans les prochains jours, une feuille de route européenne qui a vocation à partager notre vision est fondamental et répond à ceux qui essayaient d’opposer notre approche et l’approche communautaire. Donald Tusk était d'ailleurs à Paris ce midi pour en débattre avec le Président de la République.

Vous avez évoqué, monsieur Gattolin, une « méthode Macron », fondée à la fois sur la volonté et parfois sur l’audace. C’est indiscutable, mais cette méthode fait aussi toute sa place au dialogue avec tous nos partenaires, et bien entendu d’abord avec l’Allemagne. Oui, nos objectifs sont ambitieux, y compris dans le domaine de la défense, monsieur le président Cambon, et oui, sans doute, ils ne pourront pas tous être atteints tout de suite à vingt-sept. Ceux qui veulent aller plus loin, plus vite, doivent pouvoir le faire sans en être empêchés. Mais les travaux que nous préparons sont ouverts à tous, avec pour seul critère un niveau d’ambition partagée. Tous les États qui adhèrent à cette volonté pourront participer au « groupe de la refondation européenne», avec, bien entendu, les institutions européennes.

D’ici à l’été 2018, ce groupe travaillera pour préciser et proposer les mesures qui traduiront concrètement cette ambition. Il devra notamment déterminer, pour chaque politique et sans tabou, compte tenu des percées qu’un nombre significatif d’États envisagent, s’il est possible d’avancer à vingt-sept, si un changement de traité est nécessaire, M. Requier a raison de le souligner, si, à traité constant, une coopération renforcée peut être utilisée, ou la coopération structurée permanente dans le domaine de la défense, ou s’il faut envisager des coopérations intergouvernementales dans un premier temps.

Tous ces instruments existent et ont été utilisés, vous avez eu raison de le rappeler, monsieur le président Bizet, comme pour Schengen ou encore pour le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance. Nous voulons le faire dans un esprit résolument européen, en donnant envie à tous nos partenaires d’avancer. Résumer notre démarche à une progression vers une Europe fédérale, monsieur Reichardt, ne me paraît pas faire totalement justice à la qualité et à l’originalité du projet que nous portons.

En parallèle, nous devons aussi préserver le fondement de ce que nous partagerons toujours à vingt-huit, demain à vingt-sept, je pense bien entendu au marché unique, mais aussi à l’État de droit, monsieur Ouzoulias. Dans une Europe refondée, nous devrons nous assurer de disposer d’instruments plus efficaces pour garantir son respect au sein de l’Union européenne elle-même, en veillant à ce que la cohésion de notre union soit autant une cohésion démocratique, qu’économique ou budgétaire.

Je souhaite revenir sur les conventions démocratiques dont de nombreux orateurs ont, à juste titre, souligné l’importance, je pense à M. Gattolin, Mme Mélot, M. Bonnecarrère – pardon à ceux que j’oublie –, car ces conventions joueront un rôle essentiel pour que la refondation de l’Europe que nous appelons de nos vœux puisse voir le jour.

Soyons clairs, nous ne pourrions atteindre nos objectifs, et plusieurs d’entre vous ont relevé qu’ils étaient ambitieux, s’ils ne suscitaient que l’indifférence des Européens et d’abord, en ce qui nous concerne, des Français. Il serait absurde de vouloir refonder l’Europe sans eux ou en se contentant de leur demander d’exprimer un avis par une procédure simpliste de « oui ou non », à l’issue d’un long processus de négociation. Au contraire, nous voulons donner la parole aux Français et, partout, aux Européens ; les écouter et leur offrir l’occasion de dire là où l’Europe répond à leurs attentes, là où elle les déçoit, là où elle manque d’ambition et ce qu’ils voudraient qu’elle puisse faire pour eux, parfois là où elle devrait intervenir moins.

M. Jean-Yves Le Drian vous a présenté les grandes lignes du dispositif : des débats publics, physiquement comme en ligne, dans les institutions, mais aussi dans les universités, les lieux de culture, les entreprises, les associations et avec tous ceux, des amoureux transis de l’Europe aux opposants les plus déterminés, qui voudront s’exprimer, car l’Europe nous concerne tous. J’insiste sur la nécessité de donner la parole à tous nos concitoyens et pas uniquement aux habitants de Paris et des grandes villes. Nous voulons entendre les Français au plus près des territoires, en mobilisant les acteurs de terrain : élus, en particulier de cette assemblée, élus locaux, chefs d’entreprise, responsables syndicaux, membres du secteur associatif. Nous voulons faire tout cela au cours du premier semestre 2018, avec les pays qui le souhaiteront, en trouvant le bon équilibre entre le partage de principes et de moyens d’action communs et une dose nécessaire de flexibilité pour chaque État membre.

Vous avez évoqué, messieurs les présidents Cambon et Bizet, l’importance du Brexit, et je salue le rôle joué par le groupe de suivi mis en place par vos deux commissions.

S’agissant particulièrement des questions de défense, M. Jean-Yves Le Drian a souligné notre détermination à poursuivre nos relations étroites avec le Royaume-Uni, notamment dans le cadre auquel nous sommes très attachés des traités de Lancaster House. Mais il a rappelé aussi la nécessité de respecter strictement les principes que nous nous sommes donnés à vingt-sept, particulièrement l’unité du canal de négociation – j’en profite pour saluer, comme l’a fait le président Bizet, le travail difficile que réalise Michel Barnier – et la nécessité que des « progrès satisfaisants » soient enregistrés sur les trois sujets prioritaires définis par le Conseil européen – droits des citoyens, frontières, règlement financier –, avant d’élargir le champ des discussions et d’évoquer nos relations futures ou, ce qui est lié, une éventuelle période transitoire.

Le discours de Mme May à Florence a présenté des avancées sur ce dernier aspect, mais elles ne se sont pas encore traduites par des progrès dans la négociation des trois priorités, notamment sur le règlement financier. J’ajoute que cela ne veut pas dire qu’à titre national nous restions inertes, bien au contraire, car de nombreux secteurs sont sensibles. Vous avez évoqué la défense, il y en a beaucoup d’autres : la pêche, par exemple. Nous nous préparons donc et nous serons prêts le jour où la négociation du futur accord s’engagera.

Je voudrais maintenant répondre brièvement à quelques-unes des interventions qui ont concerné des sujets plus sectoriels.

Mme Mélot et le président Bizet ont cité Erasmus. Oui, Erasmus est l’un des succès européens les plus marquants parce qu’il a changé la vie quotidienne des jeunes Européens, pour l’instant essentiellement des étudiants. Nous voulons en effet aller plus loin : Erasmus doit être généralisé pour les étudiants, mais aussi pour les apprentis, qui sont encore trop peu nombreux à en bénéficier. Plus largement, nous voulons qu’en 2024 la moitié d’une classe d’âge d’Européens ait passé au moins six mois dans un autre pays que le sien avant ses vingt-cinq ans. Cela passe aussi par un « processus de la Sorbonne » pour que les jeunes puissent passer d’un système d’enseignement secondaire à un autre. Sur l’Erasmus des représentations nationales, M. Gattolin me permettra de ne pas me prononcer et de respecter ainsi scrupuleusement la séparation des pouvoirs.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à vous remercier du grand honneur que vous m’avez fait en me donnant cette opportunité de m’adresser à vous cet après-midi, ici, devant le drapeau tricolore et devant le drapeau européen.

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