Intervention de Gilles Roussel

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 18 octobre 2017 à 10h30
Rentrée universitaire — Audition de M. Gilles Roussel président de la conférence des présidents d'université cpu

Gilles Roussel, Président de la Conférence des présidents d'université :

Madame la Présidente, Mesdames et Messieurs les sénateurs, au nom des 130 présidents et directeurs d'établissements d'enseignement supérieur et de recherche que je représente, je tiens à vous remercier de votre invitation. C'est un moment important pour nous. Nous savons que la commission s'est beaucoup intéressée à l'université ces dernières années et qu'elle a nourri et enrichi le débat sur l'enseignement supérieur en France. C'est notamment le cas de la réforme du master dont la première pierre a été posée par le Questeur Jean-Léonce Dupont, dont je veux aujourd'hui saluer le rôle décisif.

Je souhaite également saluer celles et ceux d'entre vous élus le 24 septembre dernier, avec qui la CPU aura à coeur de travailler.

Le premier fait marquant est la poursuite de l'augmentation des effectifs étudiants à l'université, à un rythme soutenu. Cette année, entre 30 et 40 000 étudiants supplémentaires sont entrés dans l'enseignement supérieur et à l'université. Leur nombre est passé entre 2007 et 2016 de 1,3 million à 1,6 million. D'après les projections du ministère, cette dynamique démographique se poursuivra lors des prochaines rentrées universitaires, et ce jusqu'en 2025. Certes, il y aura à un moment donné un infléchissement, mais l'on constatera toujours une poursuite de cette augmentation. Rien que pour cette rentrée, nous avons chiffré à 280 millions d'euros le coût que représente cette hausse d'effectifs, si on s'en tient à une moyenne de 7 000 euros alloués par l'État par étudiant à l'université. Pour illustrer l'ampleur du phénomène, nous pourrions dire qu'il faudrait chaque année ouvrir une université supplémentaire de la taille de celle de Nantes, pour accueillir les nouveaux étudiants. L'absence de prise en compte dans le budget de l'État des effectifs supplémentaires, alors même que ceux-ci sont prévus et prévisibles, conduit à fragiliser fortement les universités françaises. Entre 2011 et 2016, la dépense par étudiant et par an est passée de 11 106 euros à 10 387 euros, alors qu'en dépit de la crise financière, le budget moyen accordé par les pays de l'OCDE à leur enseignement supérieur entre 2008 et 2013 a connu lui une progression de 5 % en euros constants. La situation française est donc très particulière parmi l'ensemble des pays développés. Sans nous focaliser sur les chiffres, nous pouvons également observer que la part du PIB de la France consacré à l'enseignement supérieur s'établissait à 1,5 % en 2014, soit un taux inférieur à la moyenne des pays de Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) qui était de 1,6 %.

Ainsi, l'État fait supporter, depuis 2011, l'accroissement des effectifs étudiants par le budget de fonctionnement des universités, lesquelles sont contraintes de geler ou de différer les créations de poste, ou de doubler les effectifs des cours dans des bâtiments qui ne sont pas extensibles, ni propices aux transformations pédagogiques que les populations étudiantes attendent aujourd'hui. Le risque que court la France à court terme est la dégradation de la qualité de l'accueil à l'université, avec les conséquences que nous connaissons sur l'attractivité de nos universités et sur l'image de la France dans le monde. Par conséquent, le projet de loi de finances pour 2018 ne peut être, en l'état, considéré à la hauteur des enjeux par les universités, car il ne tient pas compte de l'accroissement important du nombre d'étudiants. Les universités seront attentives aux modifications qui pourront y être apportées lors des discussions au Parlement.

La CPU a néanmoins manifesté sa satisfaction sur d'autres aspects, notamment l'augmentation de 186 millions d'euros du programme 150. Pour la première fois depuis que les universités sont passées aux responsabilités et compétences élargies en 2007, le gouvernement a décidé de compenser le coût du glissement vieillesse technicité (GVT), dont la charge était jusqu'alors intégralement supportée par les universités.

Parallèlement, le projet de loi de finances prévoit de compenser les charges résultant de la responsabilité de l'État, que ce soient les mesures relatives au protocole « parcours professionnels, carrières et rémunérations » (PPCR), l'augmentation du point d'indice, ou encore la dé-précarisation d'un certain nombre de personnels. Si nous ne pouvons que nous féliciter du tournant que représente pour l'État le fait de compenser les charges induites par ses propres décisions, la raison commanderait d'entériner ce changement de paradigme budgétaire, en inscrivant dans la loi le principe de compensation intégrale des charges transférées par l'État aux universités.

Le second fait marquant de cette rentrée est la concertation lancée par le ministère de l'Enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation sur l'accès au premier cycle universitaire. Après la mise en cohérence du master, il est urgent de mettre en cohérence en France les conditions d'accès au premier cycle, reprenant les standards appliqués dans tous les autres pays développés. Toutefois, une réforme des conditions d'accès de l'enseignement supérieur ne peut pas avoir pour but de répondre à la hausse continue des effectifs, au moyen d'une conception malthusienne de la sélection, dont l'objet serait d'exclure des étudiants. L'objectif doit rester celui d'augmenter la proportion d'une classe d'âge diplômée de l'enseignement supérieur, même si des conditions d'accès à la licence à l'université sont instaurées. Les universités françaises partagent cet objectif : chaque jeune doit pouvoir trouver une place dans l'enseignement supérieur, quel que soit son parcours antérieur.

Le véritable enjeu de cette réforme est en réalité d'en finir avec l'hypocrisie de la sélection par l'échec trop important dans nos licences, et l'absurdité de la sélection par tirage au sort. Il est au contraire d'améliorer l'orientation, la cohérence des parcours, l'insertion professionnelle, et par conséquent d'assurer la réussite de tous les étudiants, en défendant un nouveau pacte pour l'enseignement supérieur, comprenant l'introduction de prérequis prescriptifs, adaptés à chaque filière. La CPU entend ainsi améliorer l'orientation des étudiants à l'université, pour prévenir l'échec, l'abandon et les réorientations par défaut qui frappent trop d'étudiants entrant en première année de licence aujourd'hui.

Les universités ont la volonté d'engager les transformations nécessaires capables de répondre aux besoins exprimés par toute la société, en adaptant la formation de premier cycle à la diversité des publics et des personnes désirant se former tout au long de la vie, en développant des filières plus professionnalisantes, parfois plus courtes, ou encore en organisant des modules, avant l'entrée en licence pour celles et ceux qui veulent étudier mais qui ne disposent pas encore des prérequis. Bref, il s'agit de fournir à chacun les armes de sa réussite et de son insertion professionnelle, en fonction de ses compétences, de ses désirs et de son projet professionnel.

Toute ambition réformatrice de cette ampleur doit reposer sur un investissement massif et global, sans lequel elle serait privée de tout effet. La fragilisation économique actuelle des universités les privent de toute visibilité pour engager ces transformations urgentes et attendues par les étudiants, les parents et les enseignants. La réussite de la réforme de l'entrée dans le premier cycle de l'enseignement supérieur dépend de la stratégie et de la volonté réformatrice de l'État. Cette réforme doit s'articuler avec celle du baccalauréat, qui devrait être concertée à partir de janvier 2018, et pour laquelle la CPU sera aussi force de propositions.

C'est cette question de la stratégie de l'État que je veux maintenant aborder. La dernière décennie a vu émerger des universités autonomes, prônant leurs responsabilités face aux défis qu'elles ont eu à affronter. Outre les effets de la dynamique démographique de la France, les universités ont su s'adapter aux réformes structurelles : par exemple la mise en place des regroupements universitaires, l'irruption des initiatives d'excellence, ou encore la place sans cesse grandissante des appels à projet au détriment de financements récurrents. Elles ont relevé le défi de l'amélioration de la vie de campus, ont façonné leur écosystème économique en favorisant la valorisation des résultats de la recherche et de l'innovation. Enfin, elles ont renforcé leurs relations avec les collectivités et leurs territoires, concourant à leur attractivité. Les universités ont su accomplir leur mission de service public dans un environnement politique, institutionnel et juridique pour le moins instable, souvent sans que les financements n'accompagnent leurs nouvelles missions.

Un regard critique sur les dix années qui viennent de s'écouler ne doit pas contribuer à alimenter une vision pessimiste de l'avenir, ni nourrir un sentiment décliniste. Au contraire, c'est parce que les universités sont optimistes qu'elles pensent que des orientations ambitieuses à dix ans doivent être capables de leur donner la visibilité qu'elles réclament. Voici les deux orientations qui semblent essentielles à la CPU.

Tout d'abord, il s'agit de renforcer l'intégration des universités dans les territoires et de parachever leur autonomie. Les politiques de regroupements universitaires ont trop souvent été la proie d'atermoiements traduisant des objectifs parfois contradictoires. On a vu apparaître en 2006 les pôles de recherche et d'enseignement supérieur (PRES), dont l'objectif était le développement de la coopération ; puis nous avons eu les programmes d'investissements d'avenir à partir de 2008 qui avaient pour objectif de créer des pôles d'excellence scientifique au rayonnement mondial ; les communautés d'universités et établissements (COMUE) ont été créées en 2013 et avaient pour objectif de regrouper en leur sein, les organismes de recherche, les grandes écoles et les universités. Enfin, la récente réforme territoriale a modifié l'environnement institutionnel de plusieurs établissements, en les obligeant souvent à opérer des changements radicaux dans leurs stratégies territoriales. Le résultat est l'existence d'une grande diversité de regroupements qui se distinguent par leur taille et par leur objet, en fonction des territoires. La CPU souhaite que de la cohérence et de la lisibilité soient introduites dans le système. C'est pourquoi, il nous paraît indispensable d'assouplir la gouvernance des regroupements, afin de favoriser une intégration adaptée aux spécificités de chaque territoire, et en même temps, de maintenir une coordination territoriale, pour prévenir toute atomisation du paysage universitaire. L'université ne saurait être un angle mort des politiques d'aménagement du territoire dans un État unitaire.

Alors que le Parlement devrait être saisi du projet de loi visant à améliorer et simplifier les relations entre les administrations et les usagers, qui comporte des dispositions relatives au regroupement universitaire, la CPU est attachée à ce que ce rendez-vous législatif ne soit pas une occasion manquée d'atteindre ces objectifs. À l'évidence, le seul instrument prôné par ce texte qu'est l'expérimentation dans un cadre dérogatoire d'une durée de 10 à 15 ans ne répondrait pas aux besoins de l'ensemble des établissements. La gouvernance que requiert la compétitivité internationale ne peut être subordonnée à une échéance aussi lointaine. Aussi, la loi devrait faire sauter le verrou qui, depuis 2013, limite aux seules institutions historiques la possibilité de se constituer en grand établissement alors que la forme juridique pourrait convenir à d'autres groupements, sur le modèle qui a été réussi en Lorraine, avec l'Université de Lorraine.

Je souhaite également mettre l'accent sur un autre aspect important de la stratégie de l'État, à savoir le patrimoine immobilier. Ce patrimoine représente aujourd'hui pas moins d'un tiers du patrimoine immobilier étatique. Il souffre de deux problèmes : tout d'abord, il est extrêmement énergivore. Son coût d'exploitation représente le deuxième poste de dépenses dans le budget de fonctionnement des universités, après la masse salariale. Ensuite, la législation actuelle et la doctrine de Bercy interdisent toute rénovation d'ampleur, car ce foncier et ce bâti sont considérés comme des charges d'exploitation pour l'État, plutôt que comme des actifs valorisables. Alors que la France s'engage à réduire de 75 % ses consommations d'énergie à l'horizon 2050 et qu'elle défend sur la scène internationale les accords de Paris sur le climat, il est insensé que les administrations de l'État freinent ce changement impérieux, alors qu'elles disposent d'un puissant levier capable d'agir sur 18,5 millions de m² dans les universités. La CPU sera donc attentive à ce que dans le débat budgétaire qui s'ouvre, comme dans la mise en oeuvre du grand plan d'investissement annoncé par le Premier ministre, le sujet de la valorisation des campus universitaires soit abordé et fasse l'objet d'avancées concrètes.

La deuxième orientation que je souhaite proposer consiste à donner à nos scientifiques le moyen de concourir à armes égales dans la compétitivité mondiale. Notre recherche doit être plus soutenue, en offrant de l'autonomie à nos chercheurs et des moyens à la recherche fondamentale. Cela suppose en particulier d'accroître les budgets de fonctionnement des laboratoires. Mais il faut donner également à l'Agence nationale de la recherche (ANR) les moyens d'accroître sensiblement le taux de succès aux appels à projet. Aujourd'hui, il est ridiculement bas et n'est pas digne d'une nation développée. Il faudra également pour l'ANR, développer le préciput qui doit être au niveau des appels de projets européens, afin que cela puisse contribuer également au fonctionnement des laboratoires, et pas uniquement au fonctionnement de la recherche.

Pour conclure, que ce soit sur le niveau de financement, les conditions d'entrée et d'accueil dans l'enseignement supérieur, le degré d'autonomie des universités ou de la recherche, notre pays accuse encore quelques retards par rapport aux pays de l'OCDE. Pourtant, les universités disposent de tous les atouts pour consolider une position hautement concurrentielle en Europe et dans le monde. Pour preuve, de nombreuses coopérations se développent entre nos établissements et les plus grandes universités d'Europe et d'ailleurs. C'est pourquoi la France doit aujourd'hui concevoir ses universités comme des puissants leviers de développement national et territorial, et de rayonnement scientifique et culturel, à l'international.

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