Intervention de François Grosdidier

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 18 octobre 2017 à 10h05
Proposition de loi d'orientation et de programmation pour le redressement de la justice — Proposition de loi organique pour le redressement de la justice - examen du rapport et des textes de la commission

Photo de François GrosdidierFrançois Grosdidier :

Je n'en ai pas eu vent. La cour d'appel de Metz ne remonte pas à Pierre Messmer mais à Louis XIII. Même si elle a été un temps suspendue par le duc de Lorraine, elle a été très vite rétablie et confortée par la République française.

Je ne reviens pas sur les points sur lesquels nous nous retrouvons largement, par-delà le clivage gauche-droite. Mais il en est d'autres qui appellent quelques réflexions moins consensuelles.

La justice est le département ministériel qui connaît le plus important problème de moyens. Les budgets n'ont jamais été à la hauteur, depuis des décennies. La responsabilité en revient, pour ce qui concerne les juridictions, à la droite comme à la gauche mais, pour ce qui concerne l'administration pénitentiaire, je serais tenté, quitte à briser le consensus, de l'imputer à la gauche. Car, depuis 1986, tous les programmes de construction initiés sous des gouvernements de droite ont systématiquement été interrompus à la faveur des alternances. Et même si j'ai été très heureux d'entendre M. Urvoas dire qu'il fallait construire, j'observe qu'il ne l'a fait qu'après interruption, par Mme Taubira, en 2012, du programme de construction envisagé sous le quinquennat précédent. Bref, on en reste à une vision trop binaire. Construire des places de prison est absolument nécessaire, au premier chef dans une optique de dignité pour tous les citoyens, à commencer par ceux qui sont incarcérés et qui, plutôt que souffrir de la promiscuité et s'exposer à être recrutés, en prison, par le grand banditisme ou le djihadisme, doivent pouvoir se préparer, durant leur détention, à une réinsertion pleine et entière.

S'agissant des objectifs quantitatifs, je ne pense pas qu'une progression de 5 % par an du budget de la justice soit suffisante si l'on veut construire, sur le quinquennat, 12 000 à 15 000 places immédiatement nécessaires, non pas pour mettre en prison ceux qui devraient y être, mais simplement pour placer tous les détenus en cellule individuelle. Une progression de 5 %, qui représente déjà peu pour les juridictions, est absolument insuffisante non seulement pour ce qu'il faudrait mettre en place mais pour créer une police pénitentiaire, afin que les prisons redeviennent des zones de droit. Car les premières zones de non droit, dans notre pays, ce ne sont pas les quartiers sensibles, ce sont les prisons. On a autorisé l'administration pénitentiaire à posséder des IMSI-catchers, c'est à dire des appareils capables de détecter les communications par portable et de les écouter : j'aimerais savoir combien elle en a acquis à ce jour.

Oui, une loi de programmation est indispensable. Même si l'on sait qu'elles ne sont pas toujours respectées, on sait aussi que, sans elles, on est sûr d'être en deçà... Cela dit, je crains, encore une fois, que l'objectif quantitatif assigné soit insuffisant.

Une autre question, qui déborde l'objet de ces propositions de loi, touche aux relations entre police et justice. Quand je vois, si j'en crois la presse de ce matin, la crise qui a éclaté entre l'office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants et la juridiction interrégionale spécialisée de Paris, je ne peux que constater que le problème ne se limite pas à la question des moyens, même si les tensions en sortent renforcées.

Un mot de la justice des mineurs, sur laquelle ce texte fait l'impasse. Le sujet est peut-être moins consensuel... La question des juridictions pour mineurs, celle de la majorité pénale restent, à mon sens, entières.

J'en arrive au problème de la territorialisation. Je loue les efforts déployés par notre président pour nous rassurer, mais je ne le suis pas pleinement. Je suis opposé à la notion de tribunal départemental de première instance. Si j'adhère à l'idée d'un tribunal de première instance regroupant les tribunaux d'instance et tribunaux de grande instance - pour autant que soient maintenus les lieux de justice existants - je regrette déjà, pourtant, que les tribunaux de police aient glissé des tribunaux d'instance aux tribunal de grande instance, car j'y vois un mauvais signe lancé sur le maintien de la proximité, qui augure mal de la prospérité que connaîtra votre idée - même si elle est pleinement défendable, sachant qu'à l'heure actuelle, le justiciable peine à démêler ce qui relève respectivement du tribunal d'instance et du tribunal de grand instance.

D'autres collègues vous le rappelleront, nos territoires sont très différents en termes d'espace et de population. Entre la Meuse, avec 200 000 habitants, et la Moselle, qui en compte un million, sur des territoires très diffus, quel est le bon étiage pour les cours d'appel ? Vous connaissez ma position. J'admets que l'on définisse une taille minimum, mais ne faut-il pas prévoir, de même, une taille maximum ? Rend-on mieux la justice dans une cour d'appel de 200 magistrats ? Sur quel bassin de population ? Avec quel nombre d'affaires ?

À cette aune, je veux vous poser deux questions. Quelle est la durée du traitement des affaires, respectivement, dans les petites, moyennes et grandes cours d'appel ? Quel est le taux de cassation ? Pourrait-il nous renseigner sur la manière dont la justice est rendue ? Les magistrats, qui passent pourtant sans difficultés des unes aux autres, sont-ils moins bons dans des petites cours ? Voilà des questions que le Sénat, chambre des territoires, se doit d'approfondir. Il serait paradoxal de répéter sans cesse qu'il faut défendre les citoyens, tout en les éloignant sans cesse de leur justice. Et ce disant, je ne m'en tiens pas à la notion de lieu, car j'estime qu'il n'y a de bonne justice que décontextualisée. Et cela vaut, au premier chef, pour les parquets et les parquets généraux. Ne nous hâtons pas vers des orientations qui pourraient s'avérer contre-productives, tant pour les territoires que pour notre idée de la justice. La justice doit être territorialisée.

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