Intervention de Agnès Buzyn

Commission des affaires sociales — Réunion du 17 octobre 2017 à 9h25
Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 — Audition de Mme Agnès Buzyn ministre des solidarités et de la santé et de M. Gérald daRmanin ministre de l'action et des comptes publics

Agnès Buzyn, ministre :

Monsieur Daudigny, l'augmentation du forfait journalier de 2 euros constituera une recette supplémentaire pour l'hôpital et permet de fixer l'Ondam hospitalier à 2,2 %.

De nombreuses transformations sont nécessaires. Nous devons développer l'ambulatoire et fermer des lits. Malheureusement, la tarification à l'activité ne favorise pas la fermeture de lits. On peut réaliser au moins un milliard d'euros d'économies sur les achats. Grâce aux réformes qui ont déjà été engagées, notamment en ce qui concerne les groupements hospitaliers de territoire, les GHT, l'ambulatoire, et à celles que nous ferons, nous aurons les moyens de respecter l'Ondam à 2,2 %.

Beaucoup d'établissements fonctionnent aujourd'hui avec des praticiens diplômés hors Union européenne car ils en ont besoin. En tant que ministre, je dois m'assurer qu'ils fournissent des soins d'une qualité optimale à nos concitoyens. Je vais veiller à accompagner ces professionnels en termes de formation, d'ouvertures de places aux concours, notamment dans les spécialités très déficitaires. Il s'agit d'accompagner au mieux ces praticiens et de ne pas abandonner en rase campagne ceux qui auraient été recalés trois fois à l'examen. Il faut leur permettre d'exercer dans des conditions dignes, tout en demeurant exigeant sur la qualité des soins. Toutes les mesures seront prises dans l'année qui vient.

La garantie de prix européen est un sujet complexe. Cette garantie ne s'applique qu'aux médicaments ayant un service médical rendu (SMR) I, II ou III, soit un nombre restreint de médicaments. C'est néanmoins une contrainte pour la négociation des prix. La Haute Autorité de santé fait, en parallèle de l'évaluation du SMR, une évaluation médico-économique, laquelle permet de calculer l'efficience de ces produits et d'avoir un outil supplémentaire pour la négociation. Par ailleurs, des médicaments anciens constituent des rentes de situation, nous le savons. Nous avons des marges de progrès dans les négociations. Je suis bien placée pour le savoir, ce qui me permet d'être particulièrement efficace sur ce sujet.

En matière de médicaments génériques et biosimilaires, nous avons d'énormes progrès à faire par rapport à nos voisins. Nous rembourserons aux établissements le tarif du générique afin de les obliger à consommer plus de génériques que de produits princeps.

Le dossier médical partagé peine effectivement à se déployer, car l'équipement informatique des établissements et des professionnels de santé n'est pas interopérable. Le grand plan d'investissement qui a été présenté par le Premier ministre il y a quinze jours prévoit 400 millions d'euros pour l'informatisation afin de permettre le déploiement du DMP.

Monsieur Watrin, nous savons que l'obligation d'installation ne fonctionne pas pour lutter contre les déserts médicaux. Je crains que ce ne soit vrai pour le secteur 1 et pour le secteur 2. La démographie médicale n'est pas à la hauteur de ce qu'elle était il y a quelques années. Elle continuera de dégringoler jusqu'en 2025, année où nous récupérerons le taux de praticiens actuel. Les jeunes professionnels souhaitent mieux concilier vie familiale et vie professionnelle. Beaucoup de femmes veulent s'engager dans un secteur salarié. Si nous imposons des contraintes trop importantes en termes d'installation, les jeunes médecins se tourneront vers un exercice salarié, soit vers la médecine du travail, soit vers la médecine scolaire, voire vers l'industrie pharmaceutique. Ils pourraient même arrêter l'exercice de la médecine, comme le font aujourd'hui près de 40 % des professionnels qui s'installent. Instaurer plus d'obligations, c'est prendre le risque d'accroître le déficit. Mon plan est donc très incitatif, très « facilitant ». Il vise à lever tous les freins et à donner du temps médical aux territoires. Pour être moi-même une professionnelle de santé, je peux vous dire que peu de choses m'auraient contrainte à m'installer dans un territoire où je n'aurais pas eu d'attaches.

Vous avez raison concernant les centres de santé. Dans le grand plan d'investissement que j'ai présenté, les maisons de santé et les centres de santé sont placés au même niveau. Nous ne faisons aucune différence entre eux. Nous parlons de maisons de santé par facilité. Tous deux bénéficient exactement des mêmes mesures : 400 millions d'euros permettront à ces maisons ou centres de santé de s'installer sur le territoire.

Monsieur Amiel, le vaccin contre la grippe a été à un moment obligatoire. Cette obligation a été levée par décret, car le bénéfice de ce vaccin pour les professionnels était trop faible à l'échelon individuel, contrairement au vaccin contre l'hépatite B, qui est obligatoire dans les établissements de santé. On ne meurt pas de la grippe entre 20 et 60 ans. Dès lors, on ne peut pas imposer les mêmes obligations que pour les enfants. Dans ce dernier cas, le bénéfice est certes collectif, mais également nettement individuel. Il s'agit là selon moi d'un sujet déontologique, dont je parle d'ailleurs régulièrement avec le Conseil national de l'Ordre des médecins.

Pourquoi ne pas porter le prix du paquet de tabac à 10 euros d'un coup ? Une augmentation d'un euro par an me semble déjà substantielle. Elle permettra aux fumeurs d'entamer une démarche d'arrêt en étant accompagnés. Une augmentation en trois ans permettra de concilier un objectif de santé public avec l'objectif pragmatique d'accompagner des personnes souffrant d'une maladie addictive, la seule volonté ne suffisant pas. Nous suivrons l'impact de cette augmentation sur le tabagisme et nous en ferons part aux acteurs de santé.

Vous m'avez ensuite interrogée sur l'existence d'une seule agence pour négocier le prix des médicaments, associant la commission de la transparence de la HAS et le CEPS. Seule l'Italie dispose d'une agence unique effectuant à la fois l'évaluation des médicaments et du service médical rendu et la négociation des prix. Pour notre part, il nous a semblé très difficile de réunir au sein d'une même agence des gens négociant avec des industriels et d'autres ayant vocation à procéder à des évaluations purement scientifiques, en se détachant de la notion de prix. Si l'on en tête le coût d'un traitement lors de l'évaluation du service médical rendu, on risque de pénaliser nos concitoyens dans l'accès aux médicaments innovants.

Sur la prévention, nous avons effectivement un problème de médecine scolaire. Je n'ai pas de recette magique, car la démographie médicale est en déclin. Jean-Michel Blanquer et moi souhaitons que la visite de prévention à 6 ans, qui est obligatoire, mais qui n'a lieu que dans 20 % des cas, devienne effective dès la rentrée 2018. Nous allons travailler avec les maisons et les centres de santé, avec les généralistes afin de leur permettre d'intervenir au sein de l'école. Nous avons fixé des objectifs chiffrés. Il y a là un enjeu en termes de réduction des inégalités sociales, pour la détection des troubles « dys », des problèmes de vue et d'audition, d'obésité, etc.

Nous manquons de pédopsychiatres. Je fais de ce dossier une priorité personnelle. J'ai obligé les doyens à ouvrir des postes de pédopsychiatres dans les facultés dès la campagne de 2018 pour mieux former des jeunes. La question qui va se poser secondairement est celle de l'ouverture de lits dédiés. Je souhaite y travailler dans le cadre de la stratégie nationale de santé dont nous discutons aujourd'hui avec les professionnels.

Monsieur Jomier, la délégation de tâches est effectivement un énorme sujet. Le plan de lutte contre les déserts médicaux permettra de faire de la délégation de tâches encadrée et financée dans le cadre de protocoles afin de favoriser l'accès aux soins sur les territoires. Cette délégation de tâches sera déployée non pas sur l'ensemble du territoire, mais uniquement dans les endroits où, de fait, elle se fait déjà. Il s'agit de mieux l'évaluer et de mieux l'encadrer.

Par ailleurs, les dispositions sur les pratiques avancées peinent à se mettre en route. Je souhaite donc que, dès 2018, les facultés puissent former les infirmières en pratiques avancées afin qu'elles sortent de l'école en 2020. Nous avançons sur les deux jambes avec une mesure généraliste et une mesure dédiée aux territoires les plus en difficulté.

Nicolas Hulot et moi faisons effectivement de la santé environnementale une priorité. Elle ne figure pas dans le PLFSS parce que nous n'avons pas prévu de mesures budgétaires dédiées. Nous mettons en place une feuille de route commune. Dans la stratégie nationale de santé, un chapitre sera dédié à la santé environnementale. J'indique d'ailleurs que la pollution de l'air n'est pas la troisième cause de mortalité. Elle provoque une mortalité anticipée chez les personnes âgées et les malades. Il ne faut donc pas la placer au même niveau que la mortalité liée au tabac et à l'alcool.

Vous avez évoqué un débat sur la place de l'hôpital public. Lorsque je présidais la Haute Autorité de santé, j'avais ouvert la Paris Healthcare Week sur cette question : quelle sera la place de l'hôpital public en 2025 ? Quelle sera sa valeur ajoutée ? Quelle sera sa place dans le territoire ? Quelles seront ses missions ? Je n'ai pas eu le temps de mener cette réflexion dans le cadre du PLFSS. Ce sera un sujet pour l'année 2018. Il faut redonner du sens à l'hôpital public.

Nous allons également travailler sur la question des urgences. Le Sénat a produit un excellent rapport sur cette question. Nous devons également mener une réflexion collective sur l'objet des soins non programmés.

Monsieur Morisset, nous sommes attentifs à la situation des départements. Il n'y aura aucun perdant dans la réforme de la tarification des Ehpad, d'où le comité de suivi et l'augmentation du budget sur les soins. Des mesures spécifiques accompagneront les départements en difficulté au cas par cas sur certains établissements, avec une enveloppe dédiée en 2018.

Madame Jasmin, un chapitre du Plan handicap, en cours de discussion avec Sophie Cluzel, est dédié à l'accès aux soins. Je suis extrêmement attentive à l'accès aux soins et notamment au dépistage. J'avais déjà inclus le dépistage du cancer du col dans le Plan cancer. Nous devons muscler la capacité des établissements à s'équiper, certes pas partout, mais avec des filières dédiées pour que les personnes à mobilité réduite accèdent à certains équipements et plateaux techniques.

Nous avons d'énormes difficultés à accompagner la mise aux normes des établissements de santé, et notamment dans les départements d'outre-mer (DOM). Nous allons travailler avec Annick Girardin, lors des assises de l'outre-mer, sur la santé dans les DOM. La Stratégie nationale de santé comprend aussi un chapitre dédié à la santé dans les DOM, reprenant les quatre axes de la stratégie, dont celui de l'accès aux soins. Je souhaite qu'il y ait un chapitre par département d'outre-mer, car les problèmes diffèrent selon les départements - j'ai visité récemment le Centre hospitalier et universitaire de Guadeloupe.

Je ne rentrerai pas dans le débat sur l'Établissement français du sang, très technique et qui ne relève pas du PLFSS, même si j'entends vos questions.

Madame Micouleau, effectivement le manque de médecins généralistes s'aggravera jusqu'en 2025 avant de s'améliorer. Je veux impérativement dégager du temps médical et supprimer la paperasserie pour les médecins, afin qu'ils fassent de la médecine et rien d'autre. Aidons-les sur la délégation de tâches et la coopération interprofessionnelle. Certains professionnels comme des infirmières peuvent intervenir sur la gestion d'un INR (International Normalised Ratio) et l'adaptation d'un traitement anticoagulant, grâce à des protocoles qui feront gagner du temps médical.

Madame Schillinger, l'alcool fera partie du chapitre sur les addictions de la Stratégie nationale de santé, nous vous répondrons après les consultations. Sur la situation des frontaliers, nous attendons les décisions de justice, et notamment celle de la Cour de cassation, avant de tirer des conclusions pour accompagner ces professionnels.

Monsieur Chasseing, je n'ai pas parlé du numerus clausus car il ne répond pas à la question de la désertification médicale : il faut douze ans pour former un professionnel. Or dès 2025, nous aurons une augmentation importante de la démographie médicale du fait de l'ouverture du numerus clausus ces dix dernières années. Voyez les projections de la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) : je ne veux pas reproduire les erreurs de mes prédécesseurs qui ont mal anticipé les besoins en médecins en fermant le numerus clausus et en l'ouvrant trop tardivement, faute d'avoir anticipé les modifications de la pratique médicale et les aspirations des jeunes professionnels à avoir des horaires différents. Je préfère mener une réflexion collective sur le métier de médecin en 2025, leur accompagnement, la place de la médecine algorithmique, la délégation de tâches, et mettre en regard les besoins en médecins et la progression des professions paramédicales, beaucoup moins régulées. Ayons un regard général sur la démographie des professionnels de santé en 2025 et de « qui fait quoi », plutôt que d'ouvrir le numerus clausus, même s'il s'agissait d'une promesse du président de la République sur laquelle nous travaillerons. S'il est ouvert aujourd'hui, ces professionnels arriveront en 2029. Quel sera l'exercice de la médecine alors ? Privilégions cet angle plutôt que celui des déserts médicaux.

Nous avons répondu sur les buralistes. Je tiens au maillage territorial des pharmacies, je ne souhaite pas les regrouper à tout prix. Nous allons renforcer le tarif soins pour avoir plus d'infirmières en Ehpad, et nous augmenterons le nombre d'infirmières. L'Ehpad d'aujourd'hui ne ressemble pas à son objectif initial. Les résidents actuels ne sont pas les mêmes qu'il y a dix ans. L'Ehpad est-il l'unique modèle d'accompagnement du vieillissement ? Certainement pas. Nous lancerons une mission sur ce que doivent être les différentes étapes avant l'entrée en Ehpad, alors qu'actuellement ils accompagnent des personnes extrêmement grabataires.

Madame Gruny, en tant qu'hématologue, je connais particulièrement bien le sujet du tarif de la perfusion de fer. Il a été diminué car il n'y a quasiment aucune indication de la perfusion de fer. Cette perfusion était réalisée à mauvais escient et elle représentait quelques dizaines de malades par an. Arrêtons des perfusions en fer totalement inutiles chez des personnes carencées, qui peuvent être remplacées par un traitement oral. Cette mesure est totalement volontaire : arrêter un acte non pertinent trop bien tarifé.

Monsieur Sol, M. Darmanin a répondu sur les marchés transfrontaliers. Nous travaillons avec les départements sur une cartographie départementale des places en Ehpad, afin que les places soient disponibles au bon endroit.

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