L’une et l’autre sont mises à mal par la version de compromis proposée par la commission mixte paritaire, malgré les efforts de notre rapporteur pour défendre les garde-fous introduits par le Sénat.
Qu’elles soient qualifiées de « restrictives » ou de « privatives », chacun doit le comprendre, les mesures prévues par les articles 1er à 4 du projet de loi représentent, dans leur ensemble, des entraves importantes à l’exercice des libertés premières des individus : la liberté d’aller et venir ; la liberté d’exercer son culte ; ou encore la liberté de mener une vie familiale sereine.
Ces mesures devront donc rester exceptionnelles et strictement proportionnées aux besoins de la lutte contre le terrorisme. §Nous veillerons à ce qu’elles ne soient pas détournées à des fins plus larges de protection de l’ordre public.
La systématisation du recours à des mesures administratives pour lutter contre le terrorisme place le juge judiciaire en retrait : au titre de dispositions attentatoires aux libertés, le contrôle exercé par le juge administratif est moins satisfaisant pour les administrés : ces derniers ne peuvent recourir à lui qu’a posteriori.
Cette évolution risque également de placer le juge administratif en difficulté, tant la matière terroriste lui est peu familière, tant ses moyens d’instruction sont réduits. En effet, dans la pratique, son contrôle se borne à constater l’existence d’une note blanche dont les éléments justifient la décision prise.
Avec ce nouveau dispositif permanent de lutte contre le terrorisme, et en l’absence de fortes garanties procédurales, la préservation des droits des uns et des autres reposera donc essentiellement sur l’éthique des fonctionnaires en présence. Nous savons que leurs exigences déontologiques seront à la hauteur du défi.
En outre, ces dispositions s’ajouteront aux nombreuses mesures que le Parlement a adoptées depuis 2015 et qui ont permis d’étendre considérablement les moyens légaux de renseignement et de protection.
Il me semble que nous sommes allés au bout de ce qu’autorisent notre droit constitutionnel et nos engagements internationaux pour permettre à nos forces de l’ordre d’agir.
Aller plus loin, en donnant le droit à toutes les institutions qui le réclament de constituer leurs propres services de sécurité ou d’incarcérer préventivement l’ensemble des individus fichés S, serait mettre le doigt dans un engrenage qui nous éloignerait progressivement de notre identité constitutionnelle. Cette dernière repose notamment sur le principe de la présomption d’innocence et sur le monopole de l’État sur la mission de police.
De la même façon, malgré l’urgence, notre désir farouche de neutraliser les dessins funestes du terrorisme doit être traité indépendamment de tous les autres sujets, afin de gagner en efficacité et d’éviter de déclencher des débats douloureux sur l’existence d’amalgames. C’est pourquoi nous regrettons le maintien de l’article 10, qui aurait davantage sa place dans une loi consacrée à la lutte contre l’immigration irrégulière.
Malgré toutes ces réserves, la suppression de la possibilité de collecter les identifiants et les mots de passe de personnes suspectées d’être en lien avec des organisations terroristes et plus encore l’instauration d’une clause d’autodestruction en 2020 nous apparaissent comme des garanties bienvenues.
Nous voterons donc en majorité en faveur de l’adoption, conformément à notre position en première lecture et afin de donner à ce nouveau gouvernement la possibilité d’assumer sa politique. Néanmoins, ce choix ne nous empêchera pas de réfléchir, à l’avenir, à l’effet cliquet des lois temporaires.