Intervention de Jean Bizet

Commission des affaires européennes — Réunion du 19 octobre 2017 à 9h00
Institutions européennes — Comitologie : proposition de résolution européenne et avis politique de mm. jean bizet et simon sutour

Photo de Jean BizetJean Bizet, président :

Comme l'a rappelé Simon Sutour au sujet des actes délégués, il existe une dérive dans le recours aux actes d'exécution. Le règlement relatif à la santé animale adopté en 2016 renvoie ainsi à plus de cinquante actes d'exécution. L'examen de l'acte de base peut être ressenti comme l'analyse d'une « coquille vide » qui sera remplie plus tard par la Commission européenne, au nom de son pouvoir d'exécution. Cela semble antidémocratique.

L'adoption des actes d'exécution est encadrée par un règlement de 2011 dit règlement comitologie. Aux termes de celui-ci, les représentants de la Commission présentent des projets d'actes d'exécution à un comité composé de représentants des États membres - le comité d'examen - qui émet un avis à l'issue d'un vote. Celui-ci est effectué conformément à la règle de la majorité qualifiée prévue par les Traités : 55 % des États membres représentant 65 % de la population de l'Union européenne.

Si une majorité qualifiée se prononce en faveur du projet d'acte, la Commission doit adopter le projet d'acte. À l'inverse, si la majorité qualifiée est défavorable au projet, la Commission ne peut l'adopter. Enfin, si aucune majorité qualifiée n'est dégagée, la Commission a le pouvoir d'adopter l'acte.

Un certain nombre d'actes d'exécution ne peuvent cependant être adoptés si le comité d'examen n'a pas émis un avis. Il s'agit par exemple des actes portant sur la fiscalité, les services financiers, la protection de la santé, la sécurité des personnes, des animaux et des plantes ou les mesures de sauvegarde multilatérales définitives. Les actes pour lesquels l'acte de base prévoyait expressément qu'ils ne pouvaient être adoptés faute d'avis du comité d'examen - clause d'absence d'avis - et ceux qui ont suscité une opposition d'une majorité simple des membres du comité d'examen ne sont pas adoptés.

L'acte d'exécution est alors soumis au comité d'appel, également composé de représentants des États membres, mais à un niveau plus élevé. Il émet un avis, conformément à la règle de la majorité qualifiée. Si le comité d'appel se conclut par l'absence d'avis, la Commission est libre d'adopter le projet d'acte d'exécution. C'est donc un pouvoir fort de la Commission dans l'architecture de l'Union européenne. La Commission propose, le Conseil dispose, le Parlement vote.

L'absence d'avis ou les avis défavorables du comité d'appel sont rares. En 2015, ils représentaient 2 % des 1 726 avis émis par les comités d'examen et d'appel. Sur la période 2011-2015, le comité d'appel a cependant confirmé l'absence d'avis sur 36 des 40 cas qui lui ont été soumis. Le comité d'appel n'a donc pas permis de clarifier la position des États membres. La Commission relève ainsi qu'entre 2015 et 2016, elle a été contrainte d'adopter 17 actes visant l'autorisation de produits et de substances sensibles, à l'instar du glyphosate ou des organismes génétiquement modifiés, alors que les États membres n'étaient pas parvenus à adopter une position.

À la suite de l'affaire du glyphosate, la Commission a mis en place une forme de contrôle politique des actes délégués et des actes d'exécution. Environ une fois par semaine, les commissaires informent leur vice-président des textes en préparation jugés sensibles. En cas de doute, le premier vice-président, M. Frans Timmermans, et le secrétariat général de la Commission sont alertés afin d'engager une discussion politique sur le contenu de l'acte. Ce contrôle n'a cependant pas éludé toutes les difficultés. Dans ce contexte, et comme indiqué par le président Juncker dans son discours sur l'état de l'Union de septembre 2016, la Commission européenne a souhaité aller plus loin et améliorer la procédure. Il s'agit pour elle de responsabiliser les États membres et d'éviter que la décision finale incombe à la Commission européenne, faute de soutien politique clair des États membres. C'est une hypocrisie classique : on laisse les fonctionnaires décider...

Le projet de règlement présenté prévoit quatre mesures. La première consiste en une modification des règles de vote au sein du comité d'appel, à la fin de la procédure d'adoption. Seules les positions exprimées seront dorénavant prises en compte, ce qui devrait limiter le recours aux abstentions et l'absence de mandat clair pour la Commission. Les pays qui ne sont pas présents ou qui s'abstiennent sont considérés comme ne participant pas au calcul de la majorité qualifiée. Ils ne pourront plus se cacher...

La Commission serait autorisée à saisir une deuxième fois le comité d'appel, cette fois-ci au niveau ministériel, si les experts nationaux ne prennent pas position ou si le vote, durant la première réunion, est reporté. Les décisions sensibles seraient ainsi examinées au niveau politique approprié. Est-ce que cela résoudra le problème ? Je n'en suis pas sûr...

Selon la troisième proposition, les votes émis par les représentants des États membres au sein du comité d'appel seraient rendus publics afin de renforcer la transparence du dispositif. Actuellement, les votes sont soumis à une règle de confidentialité, prévue par le règlement intérieur du comité d'appel : seuls les résultats globaux apparaissent. C'est assez confortable pour certains États membres voulant éviter de se prononcer, à cause de certaines pressions ou faute d'acceptation sociale d'une décision...

Enfin, la Commission pourrait saisir le Conseil des ministres pour avis si le comité d'appel n'est pas en mesure de prendre position. Il s'agit d'obtenir du Conseil une orientation politique, non contraignante, sur les implications institutionnelles, juridiques, politiques et internationales de l'absence de vote. La Commission serait alors obligée de tenir compte de la position exprimée par le Conseil dans les trois mois qui suivent sa saisine, voire dans un délai plus court si nécessaire.

Nous saluons le souhait de responsabiliser un peu plus les États membres et de clarifier leur rôle dans l'adoption des actes d'exécution. Reste qu'il y a lieu de s'interroger sur la possibilité de voir cette réforme adoptée par les législateurs. La modification des règles de calcul de la majorité qualifiée peut laisser songeur. Celles-ci sont clairement établies au sein des traités et ont été précisées à l'occasion de l'adoption du Traité de Lisbonne. La question de l'abstention n'est abordée dans les traités que lorsque les décisions doivent être adoptées à l'unanimité : les abstentions des membres présents ou représentés ne font alors pas obstacle à l'adoption des délibérations du Conseil. Même si je la trouve pertinente, la proposition que nous vous proposons reviendrait à déroger aux règles des traités.

Il convient par ailleurs d'appuyer la saisine du Conseil ou l'organisation du comité d'appel au niveau ministériel, même si la présence des ministres ne garantit pas toujours la prise de décision...

C'est pourquoi nous vous proposons d'adopter cette proposition de résolution européenne qui reprend les observations que nous avons formulées avec Simon Sutour. Nous l'adresserons au gouvernement et la doublerons d'un avis politique, directement adressé au président de la Commission. La Commission doit nous répondre dans les trois mois. Pour être honnête, les réponses sont souvent alambiquées, nous n'y voyons pas toujours beaucoup plus clair, mais nous pouvons ainsi continuer à dialoguer. Voilà notre pouvoir à l'échelle des parlements nationaux.

Dès 2014, Simon Sutour avait tiré le signal d'alarme sur les actes délégués et les actes d'exécution. La Commission trouve assez confortable d'avoir les mains libres pour écrire ce qu'elle veut, sans contrôle démocratique, ni filtre de la subsidiarité. Afin de renforcer le rôle des parlements nationaux, je souhaite une révision des traités. Elle ne sera probablement pas pour demain, car l'on ouvrirait la boîte de Pandore...

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