Intervention de Mounir Mahjoubi

Réunion du 25 octobre 2017 à 14h30
Intelligence artificielle enjeux économiques et cadres légaux — Débat organisé à la demande du groupe les indépendants – république et territoires

Mounir Mahjoubi :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je veux, en préambule, vous remercier vivement de l’intérêt que vous portez à ce sujet.

Secrétaire d'État au numérique et passionné par ma tâche, je suis toujours heureux de trouver dans les assemblées parlementaires et partout ailleurs des personnes qui s’intéressent au domaine dont j’ai la charge et qui savent placer à la bonne hauteur les enjeux de transformation numérique et scientifique. Les commissions du Sénat ayant été les premières instances à m’inviter, il n’est pas étonnant que l’initiative ait été prise ensuite de me convier à vous parler de l’intelligence artificielle dans cet hémicycle, ce dont je vous remercie vraiment.

Ce sujet largement commenté, dont on parle beaucoup et partout, est encore émergent, sur le plan tant économique que scientifique. Toutefois, nous sommes au moment où tout bascule et où il est essentiel que tous les Français, tous les Européens et tous les citoyens du monde s’engagent sur ce sujet et en comprennent les enjeux. Il est tout aussi essentiel que nous puissions, nous, les politiques, y porter un regard, afin d’être ainsi en mesure de décider.

En effet, si je souhaite vous convaincre de quelque chose, c’est que le Gouvernement souhaite faire de la France et de l’Europe un leader dans ce domaine, avec une seule conviction, celle que nous n’avons rien à subir.

Nous n’avons rien à subir de ces transformations, qu’elles soient économiques, technologiques ou scientifiques ! Nous avons tout à apporter et nous pouvons diriger ces évolutions. À Bruxelles, je siège au Conseil Télécoms, cette instance européenne où l’on parle des diverses transformations économiques et mutations scientifiques, et je peux vous assurer que, sur ce sujet aussi, la voix de la France est entendue et attendue.

Pour vous convaincre encore de l’importance essentielle que le Gouvernement prête à ces sujets, je vous dirai que c’est sans doute la première fois que l’expression « l’intelligence artificielle » a été citée dans le discours de politique générale d’un Premier ministre. Édouard Philippe avait souhaité, dès sa prise de fonctions, dès les premières semaines et premiers mois de travail de son gouvernement, accorder à ce sujet une place essentielle. Il m’a chargé de porter, de dessiner, de construire, avec les citoyens et le Parlement, une stratégie nationale pour l’intelligence artificielle.

Aujourd'hui, j’interviens devant vous dans le cadre de ce format un peu nouveau, qui est celui du débat interactif. Si nous allons, comme il se doit au cours d’un débat, échanger des idées, en revanche, je n’apporterai pas toutes les réponses à l’ensemble de vos questions.

Comme vous le savez, nous avons souhaité saisir de ce dossier un parlementaire, Cédric Villani. Je lui ai posé des questions au nom du Gouvernement et du Premier ministre. Il est actuellement en train de travailler pour y répondre, procédant à près de 200 auditions. Je l’ai chargé de revenir vers nous d’ici au mois de décembre prochain, afin que le Gouvernement puisse définir une stratégie nationale au début de l’année 2018 – en janvier ou en février.

Je le répète, nous sommes à un moment particulier de cette transformation technologique. Je le dis souvent, ce que nous avons connu en termes numériques au cours des vingt-cinq dernières années est un brouillon de ce que nous allons connaître au cours des trois prochaines années. Il s’est passé ces derniers temps, plus précisément au cours de ces deux dernières années, une hyperaccélération des capacités de calcul et de la capacité pour les ordinateurs à interpréter les données sensibles.

Elle est là, la transformation majeure. Il est là, le tournant. Pendant longtemps, les ordinateurs n’étaient capables de traiter que des données simples – certes en quantités énormes, mais des données simples –, notamment des textes.

Depuis quelque temps, on arrive à traiter une masse de données que seuls les hommes étaient jusqu’à aujourd'hui capables de traiter : les images, le son, l’espace. C'est la raison pour laquelle nous voyons à présent des robots qui conduisent – la voiture autonome est conduite avant tout par une intelligence artificielle !

Nous allons aussi être capables de traiter tout ce qui était considéré comme relevant du domaine de l’intelligence humaine, comme l’analyse d’un espace, la compréhension des contextes et des comportements entre les personnes, fondée à la fois sur les images, les mots échangés et les concepts transformés.

Un troisième ingrédient de l’accélération est, quant à lui, purement humain. Il s’agit du niveau de recherche en algorithmes et en intelligence artificielle. La source de l’efficacité d’un dispositif d’intelligence artificielle, c’est la capacité de calcul, ce sont les données sensibles, mais c’est aussi l’intelligence des algorithmes. Et l’on observe partout dans le monde une accélération du niveau de recherche – la bonne nouvelle, c’est que les Français font partie de ceux qui recherchent le plus et qui trouvent le plus dans ce domaine.

C’est grâce à la recherche algorithmique que l’on trouve les tactiques et éléments mathématiques qui permettent l’interprétation. En effet, il ne sert à rien d’avoir un énorme jeu de données et une capacité massive de calculs si l’on n’y ajoute pas l’intelligence du scientifique pour les traiter et leur donner du sens. On a aussi besoin de l’intelligence de l’ingénieur pour les rendre pratiques.

Le moment majeur que nous nous apprêtons à traverser, c’est celui de la rencontre entre, d’une part, des jeux massifs de données, y compris sensibles, des capacités de calcul quasiment infinies et qui continuent d’accélérer, et, d’autre part, une intelligence inédite de traitement et de création d’algorithmes, laquelle se traduit par des usages dans la vie quotidienne. Le premier d’entre eux, je l’ai rappelé tout à l’heure, c’est la voiture autonome, mais vous en voyez déjà émerger d’autres, dans le domaine de la santé et partout ailleurs.

Je le répète, nous ne sommes pas là pour subir, nous n’avons rien à subir, nous avons tout à décider. Encore faut-il savoir quel chemin nous voulons tracer. Encore faut-il savoir où nous voulons aller. C’est tout l’enjeu de la mission que nous avons confiée à Cédric Villani.

Au premier trimestre de 2017, une mission avait déjà été lancée. Elle a rendu un premier rapport intitulé #FranceIA, pour France intelligence artificielle, qui a été essentiel dans la définition de la nouvelle commande que nous avons passée à Cédric Villani. Nous ne repartons pas de zéro !

Loin de penser que rien n’a été fait au cours des cinq dernières années, nous estimons que ce rapport #FranceIA a permis de dresser une cartographie de l’état de l’intelligence artificielle en France. Cette cartographie, si vous souhaitez en prendre connaissance rapidement, figure dans l’annexe finale de ce rapport. Je vous invite à la consulter, car elle est extrêmement riche. Elle montre où sont nos instituts de recherche, elle identifie les forces de la France, elle situe les entreprises françaises qui sont leaders dans le monde. Elle pointe aussi les endroits où nous avons des lacunes.

Ce que nous avons demandé à Cédric Villani – je veux remercier M. Malhuret d’avoir mentionné les grands enjeux en la matière –, c’est d’aborder certaines questions spécifiques. Nous lui avons demandé d’apporter des réponses à certaines d’entre elles, mais de ne pas tenter de répondre à d’autres. En effet, notre choix est d’inviter le Parlement à soumettre cette question aux Français.

Je pense notamment, monsieur le président Malhuret, à votre dernier paragraphe sur les enjeux éthiques : l’enjeu de ce rapport sera non pas d’apporter une réponse en la matière, mais de souligner les questions éthiques que nous devrons offrir aux Français et auxquelles nous nous donnons pour mission de répondre dans les prochains mois.

Il y va de la décision administrative, par exemple. Je pense aussi à la décision militaire et aux robots tueurs autonomes, auxquels la doctrine est aujourd’hui plutôt opposée. Cette question, il faut la poser aux Français.

La décision administrative autonome fait intervenir des algorithmes de décision et d’intelligence artificielle qui peuvent assister le fonctionnaire dans sa prise de décision. Aujourd'hui, la décision est encore prise, au bout du compte, par le fonctionnaire. Que va choisir la société à l’égard de ces algorithmes de décision ? Quelle place donner à l’intuition selon laquelle un algorithme serait parfois un peu plus juste qu’une commission ou qu’une décision décisionnaire ? Encore faut-il savoir sur quelles valeurs elle sera fondée.

Ce débat sur les algorithmes de décisions administratives fut l’un de ceux qui ont animé la discussion de la loi sur la République numérique. Il a été décidé de rendre ouvert le code de ces algorithmes. Est-ce suffisant ? Est-ce que ce sera toujours viable à l’heure du deep learning, celle où l’on ne connaîtra plus les critères d’origine des algorithmes ?

Nous avons voulu que Cédric Villani puisse identifier ces questions éthiques et techniques et les exposer devant le Gouvernement au mois de décembre prochain. Après quoi, en janvier, nous déciderons de présenter au Parlement et aux Français des décisions relatives, par exemple, à l’investissement, à la recherche et à l’avenir du travail.

Muriel Pénicaud et moi-même avons saisi parallèlement France Stratégie pour un exercice, lui aussi original, d’esquisse de scénarios. Nous sommes convaincus que, à l’heure de l’intelligence artificielle, aucun des chiffres que nous échangeons sur l’avenir des emplois transformés ou remplacés par la machine – évoquant tantôt 10 %, tantôt 50 %, tantôt 100 % – ne peut être affirmé avec certitude. La question n’est pas de savoir si ces chiffres sont exacts. La question qui nous préoccupe est celle de la maîtrise du rythme.

Oui, ces emplois seront transformés. Oui, certains sont destinés à disparaître. Oui, d’autres vont être créés. C’est une certitude. Combien, et quand ? Ces aspects relèvent du politique et de sa maîtrise. Il est de notre devoir à tous de créer dans la société cette capacité de résilience, en développant les compétences des Français, leur capacité et leur niveau technologique, pour être sûrs de conserver la maîtrise sur chacun des éléments que nous avons abordés préalablement.

Vous l’avez compris, dans les réponses que j’apporterai aujourd'hui à vos questions, ma philosophie sera de toujours expliquer quel est notre regard et quel choix nous avons fait pour avancer. Je vous apporterai des réponses, mais il m’arrivera de solliciter votre indulgence : peut-être vous proposerai-je de nous donner d’ores et déjà rendez-vous au début de l’année prochaine, à l’issue de la remise de ce rapport, qui définira cette stratégie officielle.

Nous avons beaucoup travaillé. J’ai des choses à partager avec vous. C’est vraiment avec un esprit ouvert que j’aborde ce débat au Sénat, dont le format est à mon sens particulièrement intéressant.

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