Lors d’une audition sur l’intelligence artificielle, le directeur de l’INRIA nous a dit : « Pendant que la France fait des rapports, les autres pays investissent. » Nous devrions tous, mes chers collègues, en être alertés. Certes, à un certain stade, les rapports sont nécessaires, mais je vais être directe, monsieur le secrétaire d’État : pourquoi, alors même que, après le rapport France Intelligence artificielle, vient tout juste d’être rendu l’excellent rapport de l’OPECST, réalisé par un député et par notre collègue sénatrice Dominique Gillot, faudrait-il un énième rapport sur l’intelligence artificielle ?
Le constat sera le même. Ce sera celui qu’a fait notre collègue Claude Malhuret en introduction. On soulignera, avant tout, que, au niveau français comme à l’échelle européenne, nous n’avons, hélas, ni l’ambition ni la stratégie pour une véritable politique industrielle des nouvelles technologies.
Alors que nous devrions concentrer tous nos efforts sur le développement et l’ancrage européen de notre écosystème technologique, nous assistons à une hémorragie des talents et de nos start-up, rachetées par des groupes américains ou asiatiques. Soyons lucides : il s’agit bien d’une guerre d’intelligence économique. Le traitement en masse des données et les algorithmes de l’intelligence artificielle sont en effet devenus des enjeux stratégiques pour notre économie et notre défense.
Toutes les nations qui ont développé des écosystèmes technologiques puissants l’ont fait grâce à des politiques volontaristes. Les Américains ont orienté, dès 1953, leur commande publique vers les PME grâce au Small Business Act. Cela a permis aux PME américaines innovantes d’obtenir d’emblée des contrats fédéraux ou locaux. Ces mécanismes d’achats et d’aides publiques intelligentes sont à l’origine des plus grandes réussites américaines, comme celle d’Elon Musk avec Tesla.
Ces géants technologiques se sont aussi développés grâce à des exemptions fiscales et à des mesures d’aides gouvernementales. Il n’y a d’ailleurs pas une seule des technologies clefs de l’iPhone qui n’ait été, à un moment ou un autre, subventionnée par l’État américain.
Plutôt que d’établir de grands plans industriels souvent inefficaces et qui se résument trop fréquemment à du saupoudrage vers les grands groupes, l’État doit absolument innover et contribuer à faire évoluer la réglementation européenne de la concurrence. Celle-ci est en effet aujourd’hui contre-productive : elle ne permet pas à nos PME de devenir des entreprises de taille intermédiaire, puis des acteurs internationaux.
Tel est bien l’enjeu à ce moment clef où nous mesurons le potentiel, mais aussi les risques, que recèle l’intelligence artificielle.
Aussi ma question est-elle simple ; elle rejoint celle qu’a posée M. Gattolin, mais à laquelle vous n’avez pas répondu, monsieur le secrétaire d’État. Pour que nous demeurions dans la compétition mondiale et que nous restions maîtres de notre destin numérique, comment comptez-vous avancer sur ce sujet ? Le Sénat, au travers de sa commission des affaires européennes, a souvent pointé du doigt cet enjeu majeur, et cela depuis 2013, date d’un premier rapport sur ce sujet ?