Je répondrai tout d’abord sur la vision que nous avons de notre économie.
Nous devons choisir entre une vision schumpéterienne, qui accepte la destruction, et une autre, plus intéressante, qui suppose dans le même temps une transformation de nos entreprises existantes, l’arrivée de nouvelles entreprises et l’avènement d’un monde de l’équilibre, où chacun, avec ses propres compétences, parvient à émerger.
À cela s’oppose un autre modèle, dans lequel les champions gagnent tout, les entreprises championnes font émerger en elles-mêmes des semi-démocraties internes où ceux qui en seront à la tête seront ces fameux cols d’or, ou même cols de diamants. Regardez aujourd’hui les dirigeants de ces mégastructures : ils ne parlent parfois même pas d’égal à égal à nos dirigeants politiques, tellement ils se sentent les dirigeants d’un ordre ou d’un monde nouveau !
Sur ce sujet, la vision politique, publique, philosophique du Gouvernement, c’est plutôt celle d’un monde où l’on permet à chacun d’adapter ses compétences et de continuer à exister, où, sur tous les territoires, les entreprises continuent d’être compétitives, parce que l’on aura créé les conditions d’une concurrence juste – je reviens ainsi à la question de Gérard Longuet. Comment s’assurer que le monde qui nous attend ne crée pas de nouveaux mégamonopoles qui engendreront des monstres économiques, mais aussi des monstres démocratiques ?
Quand certaines entreprises dépasseront le million de salariés, ce qui sera possible dans un monde où les structures et les mégaplateformes s’intégreront de façon verticale ou horizontale dans toutes les strates de notre vie économique, ceux qui seront à leur tête poseront des questions sur notre propre pouvoir et sur notre légitimité à décider du sort de leurs citoyens-salariés, qui seront peut-être plus salariés que citoyens, eux qui iront vivre sur des îles flottantes dans les eaux territoriales internationales. On pourra alors se poser des questions.
Il y a trois ans, j’ai fait un exercice de prospective philosophique sur les avenirs possibles – je vous l’enverrai. Si nous investissons dans l’avenir avec nos valeurs, alors nous pourrons éviter ce monde des cols de diamants, où la moitié de l’humanité sera abandonnée et nous parviendrons à cette humanité complexe, variée, diverse, avec, d’un côté, ceux qui continueront à travailler le sol pour nourrir les autres, et, de l’autre, ceux qui développeront les super-technologies pour nous soigner. C’est à nous de décider cet avenir-là plutôt que l’autre.