Je vous remercie, monsieur le sénateur. En réalité, vous nous interrogez sur ce vers quoi nous voulons aller. Dans le cas de Minority Report, nous sommes au-delà de la justice prédictive : il s’agit de police prédictive et, même, de condamnation prédictive, puisque la peine est appliquée avant même que les faits se soient réalisés.
Les exemples que vous évoquez relèvent de l’assistance à la décision de justice. Plus spécifiquement, dans les expérimentations que vous mentionnez, les dispositifs ne participaient pas à la décision : ils étaient lancés parallèlement. Le juge comparait ensuite sa décision, prise suivant un protocole collégial, avec celle que la machine était capable de proposer, pour voir si celui-ci participait, ou non, à une meilleure justice au quotidien.
Vers quoi nous dirigeons-nous aujourd’hui ? Mme Belloubet a annoncé une stratégie pour la transformation de la justice, la simplification de la procédure civile, la simplification de la procédure pénale et la numérisation. Aujourd’hui, l’enjeu est plutôt d’assister le citoyen, les professionnels de justice, les greffiers et les juges dans le transfert, l’analyse et le traitement de la masse d’informations, plutôt que dans la prise de décision.
Quand bien même on en arriverait à l’assistance à la prise de décision, ce qui fait notre justice en France, ce qui fait notre droit, c’est la capacité à interpréter, à avoir une jurisprudence qui s’adapte à son temps, à un contexte – celui d’une affaire, mais aussi celui d’une vie. Contrairement à la caricature que l’on peut faire du droit, les juges ne sont pas des machines qui appliquent la loi de façon automatique. Les décisions ne résultent pas de 1 et de 0 ; c’est toujours une somme qui permet l’interprétation. Tant que l’on décidera que notre justice fonctionne ainsi, les outils doivent aider à travailler de la sorte.
Aujourd’hui, nous continuons à vouloir une justice où les hommes sont jugés par des hommes, et non par des machines, qui analysent la réalité en on et en off… Imaginez sinon, mesdames, messieurs les sénateurs, les lois qu’il faudrait écrire, en langage « machine », c’est-à-dire avec un vocabulaire standardisé, normalisé… §Ce n’est pas la société que nous avons souhaitée ; ce n’est pas ce vers quoi nous nous dirigeons.
Toutefois, dans des enquêtes financières, comme celles de l’Autorité de la concurrence, les juges disposent souvent aujourd'hui de plusieurs téraoctets de données, d’informations collectées massivement dans les entreprises. Ils doivent utiliser des technologies d’intelligence artificielle encore naissantes pour identifier, dans toutes ces données, celles qui pourraient être intéressantes pour prendre une décision de justice.
Le ministère de la justice dispose aujourd'hui d’une équipe qui travaille sur toutes ces technologies, de manière à rendre la justice plus innovante et les outils plus performants et plus utiles au quotidien pour les agents de la justice, à savoir les juges, les greffiers et tous ceux qui travaillent autour d’eux.
Nous avons un second projet, qui sera le plus important de ce quinquennat en termes de numérique et d’administration. Il s’agit de « justice.fr », portail de la justice et des justiciables, qui facilitera le suivi des affaires et permettra des échanges. Ainsi, le juge pourra interagir plus aisément avec les citoyens. Il s’agit là aussi d’un enjeu véritable. Cependant, il n’y a pas ici d’intelligence artificielle : il y a surtout une confiance dans l’outil.