Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis très heureux d’être ici et je crois que Muriel Pénicaud, ministre du travail, aurait également aimé participer à ces travaux. Elle a sans doute beaucoup à nous apprendre de son expérience, et elle aura assurément un rôle important à jouer dans les débats que nous aurons, dans les semaines et les mois qui viennent, sur cette question centrale de la participation et de l’intéressement.
Dans son entretien télévisé du 15 octobre, le Président de la République a rappelé que cette question ferait l’objet d’une grande réflexion dans le cadre du plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises, dont Bruno Le Maire et moi-même avons lancé les travaux lundi dernier, à l’hôtel des ministres de Bercy.
Pourquoi est-il utile de revisiter ces dispositifs ? Comme M. Decool l’a rappelé, quand un salarié sur deux seulement en bénéficie, seule la moitié du chemin a été parcourue, et il serait bon de couvrir la seconde moitié pour parvenir à l’objectif final.
Bien qu’elles aient un demi-siècle d’âge, ces mesures sont d’une étonnante modernité et correspondent, me semble-t-il, à la vision que nous avons de l’entreprise, sans doute même au-delà des diverses sensibilités politiques qui peuvent s’exprimer sur ces travées.
Nous sommes aujourd’hui dans une économie de l’innovation, de la compétence et du savoir qui ne coche plus les cases et n’épouse plus les codes de l’économie de rattrapage au sein de laquelle nous avons construit le rapport du capital au travail et la manière d’associer le plus efficacement possible les salariés à leur entreprise.
Selon moi, il y a trois enjeux importants dans ce débat.
Le premier, c’est celui de l’équité. Si l’on demande aux salariés d’accepter une plus grande part de risque dans un monde où les mutations économiques font qu’ils peuvent être soumis à des ruptures de carrière, et où la linéarité de l’exercice d’une profession dans un secteur d’activité ou dans une entreprise n’est plus la règle, il est équitable qu’ils puissent en même temps avoir leur part de la réussite de l’entreprise quand, par leur travail, ils font fructifier le capital de l’entreprise, que celle-ci se porte bien et que les résultats sont au rendez-vous. Cette part peut d’ailleurs être significative. En moyenne, elle s’élève autour de 2 500 euros par an, soit plus que l’équivalent d’un treizième mois pour de très nombreux salariés.
Le deuxième enjeu, c’est celui de l’efficacité économique. Efficacité pour l’entreprise tout d’abord, parce qu’il est évident que des salariés intéressés sont aussi des salariés plus motivés et plus productifs. Efficacité pour le pays ensuite, parce que l’épargne salariale, c’est un outil puissant pour le financement de l’économie, avec des encours qui s’élèvent aujourd’hui à 130 milliards d’euros, qui sont majoritairement investis en actions et qui viennent donc alimenter nos entreprises.
Le troisième enjeu, sans doute plus impalpable, et qui échappe peut-être au législateur, c’est celui de la bataille culturelle dans notre pays. Je considère qu’il est du rôle du législateur, du gouvernement, et peut-être même des formations politiques et du débat intellectuel de conduire cette bataille culturelle qui vise à réconcilier le capital et le travail.
Le projet présidentiel, dans sa dimension économique, porte cette réconciliation et c’est elle qui, je le crois sincèrement, a été engagée dans le cadre des ordonnances portant réforme du marché du travail et dans le projet de loi de finances dont nous allons débattre prochainement ici. En effet, si vous ne libérez pas le capital et les investissements, vous n’aurez pas de travail.
Cette bataille culturelle sera longue et difficile à conduire, parce que nous avons construit notre champ intellectuel sur cet antagonisme, dont je ne suis pas certain qu’il soit le plus profitable à notre économie. Il est donc heureux que ce débat puisse aussi nous permettre d’ouvrir un petit pan de cette bataille culturelle. Je me réjouis d’y participer à vos côtés aujourd’hui.