Intervention de Jacques Mézard

Réunion du 25 octobre 2017 à 14h30
Aménagement du territoire : plus que jamais une nécessité — Débat organisé à la demande de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable

Jacques Mézard, ministre de la cohésion des territoires :

Vous conviendrez qu’en trois mois et demi – puisque j’ai fait un bref passage au ministère de l’agriculture –, il m’aurait été difficile de mettre en place une politique d’aménagement du territoire de nature à réparer les nombreuses fractures donc vous avez relevé l’existence.

Je vous remercie d’avoir rédigé ce rapport, dont je partage l’essentiel du bilan qu’il dresse, ainsi qu’un certain nombre des objectifs qu’il définit.

Le titre de votre rapport sonne comme un manifeste : Aménagement du territoire : plus que jamais une nécessité. Vous avez indiqué voilà quelques instants que l’aménagement du territoire avait été le parent pauvre des politiques publiques. Mais c’est que le fonctionnement de la République a évolué ces dernières décennies : la décentralisation a été mise en place et l’on constate que la politique d’aménagement du territoire s’est réduite au fil des années. Cela ne veut pas dire, d’ailleurs, qu’il ne faudrait point, par exemple, que les régions – et elles se lancent – ne s’occupent pas de l’aménagement de leur territoire. Et je sais qu’elles en ont bien la volonté.

Les dynamiques territoriales ne se réduisent pas à l’image simpliste, trop souvent relayée, qui conduit à opposer les territoires les uns aux autres. Je n’utilise jamais l’opposition urbain-rural, parce que la situation des territoires est très différente à l’intérieur des territoires urbains. Je le dis souvent : il y a des territoires urbains qui vont bien, il y en a qui vont mal, très mal – je pense à certains quartiers prioritaires de politique de la ville. Quant à nos territoires ruraux, nous le savons, il existe des distorsions considérables et une grande diversité. C’est d’ailleurs là aussi que s’aggrave ce que l’on appelle la fracture territoriale.

Dans votre rapport, vous citez le géographe Roger Brunet, pour qui nous serions passés d’un territoire « à aménager » à un territoire « à ménager ». Le mot est d’ailleurs intéressant. Pour lui, « aménager » renvoie à la fois à la protection, à l’équipement, aux actions curatives et à l’incitation. Ces divers sens du mot « aménager » répondent à la diversité des territoires en France.

Il faut aussi répondre à la plus grande variété de nos modes de vie. Le rythme des mutations technologiques et sociales est inégalé, lequel s’est accéléré. Ce que nous disons aujourd’hui en particulier sur ces mutations technologiques et sociales ne sera pas forcément vrai dans trois ou cinq ans.

Nous avons à revoir nos manières de communiquer, de consommer, de travailler.

Même s’il est difficile de faire un point complet en une dizaine de minutes, je n’oublie pas les questions liées à la programmation européenne, dont vous vous êtes préoccupés dans votre rapport, avec raison. La France doit y accorder un attachement particulier. Dès mon arrivée au ministère, j’ai rencontré la commissaire européenne roumaine chargée du dossier de la cohésion des territoires et des fonds.

En outre, lorsqu’on se déplace, on voit toute la nécessité de la coopération transfrontalière, sujet important.

Avec les transitions numériques et écologiques, l’évolution des mobilités – et on va connaître une accélération de ce mouvement –, nos territoires sont en pleine transformation et nous obligent à changer nos grilles de lecture habituelles. Vous avez raison de souligner « qu’il n’est plus possible, aux niveaux démographique et géographique, de considérer l’urbain et le rural comme deux entités bien définies qui s’opposeraient l’une à l’autre ». Nous sommes totalement d’accord.

Les visions sur la « France périphérique » sont une grille de lecture. Des éléments de constat nécessitent une action. Bien sûr, je sais qu’il ne faut pas être trop schématique, que ces visions englobent des espaces qui ne vivent pas la même réalité économique et politique, au sens premier du terme.

Et je ne veux pas non plus opposer les territoires. Je ne reviens pas sur le rapport de France Stratégie, que nous avons tous lu et relu, et, pour beaucoup d’entre nous, critiqué.

La France des métropoles serait la gagnante égoïste de la mondialisation et la France périphérique aurait tout perdu et n’aurait pas d’avenir. Or il est essentiel que cette France-là ait un avenir et que nous le construisions ensemble.

Nous devons aussi nous garder de cette vision théorique qui résumerait notre pays à des espaces dynamiques, en reléguant une partie du territoire au rang de zones interstitielles – mot que je n’aime pas du tout. Représentant d’un territoire dit « interstitiel », je considère que nous devrions bannir ce mot, car tous ces territoires ont vocation bien sûr à vivre, à se développer. C’est l’enjeu de ces prochaines années.

J’adhère en revanche à la vision que vous développez dans votre rapport à propos de la ruralité, en distinguant la campagne des villes, du littoral et des vallées urbanisées, où vivent 16 millions d’habitants dans plus de 10 000 communes.

Si l’on ne peut construire une politique de cohésion du territoire sur l’opposition entre les territoires favorisés et les autres, il ne s’agit pourtant pas de nier – ce que je ne ferai pas – que certains territoires connaissent des difficultés considérables, qui se sont aggravées ces quinze dernières années – vous avez raison.

Malheureusement – j’indique en toute loyauté que c’est une responsabilité collective –, c’est au moment où la France s’est le plus endettée pendant dix ans que nous avons le moins fait pour ces territoires. Cela doit aussi nous interpeller, et je ne fais de procès à quiconque.

Je pense à ce qui se passe au sein des villes, y compris les métropoles, qui comptent un certain nombre de quartiers en grande difficulté. Beaucoup a été fait pour les quartiers prioritaires, mais beaucoup reste à faire : le taux de chômage y est deux fois et demie supérieur à la moyenne nationale, le taux de pauvreté, deux à trois fois supérieur.

Je pense aussi à certains centres-bourgs et à certains centres de villes moyennes dévitalisés, qui sont aujourd’hui un enjeu considérable parce que si nous n’intervenons pas rapidement, ces villes moyennes – même si elles ne sont pas toutes, heureusement, dans cette situation-là – connaîtront des difficultés encore plus importantes, avec la fermeture de commerces, l’absence d’emplois ou de formations, la dégradation du bâti, enjeu important.

Dans les territoires peu denses, l’accès aux services est un problème primordial. Je connais les difficultés très concrètes liées à la fermeture progressive des services publics – pratiquement tous ici, nous l’avons vécue d’une manière ou d’une autre –, à la désertification de nombre de centres-villes, à la dégradation de l’habitat. C’est un constat, et face à cela, il nous faut agir.

Je veux revenir ici sur certains axes concrets d’intervention avant de partager avec vous ma vision de la méthode d’ensemble dont j’ai la charge comme ministre de la cohésion des territoires.

Pour nos quartiers, nous avons obtenu au plus haut niveau la reconduction des crédits d’intervention dédiés à la politique de la ville en 2018, soit 430 millions d’euros, avec une sanctuarisation pour l’ensemble du quinquennat. Sans compter le milliard d’euros supplémentaire attendu en faveur du nouveau programme de renouvellement urbain.

Nous allons également lancer une importante opération à destination des villes moyennes, qui en ont bien besoin, avec un plan spécifique que nous pourrons annoncer d’ici à la fin de l’année ou tout au début de l’année 2018, opération visant à favoriser la reconquête des centres. Nous agirons, bien sûr au côté des communes et des intercommunalités, sur le commerce, l’habitat, les services. Nous sommes en train de finaliser une convention avec Action logement, qui devrait normalement consacrer 1, 5 milliard d’euros au logement et à la revitalisation de ces villes moyennes et de ces centres-bourgs, avec une concentration sur les opérations de restructuration d’immeubles ou d’îlots.

Par ailleurs, le prêt à taux zéro sera maintenu pendant deux ans dans le neuf, et pendant quatre ans dans l’ancien, afin d’assurer une visibilité sur plusieurs années et non pas année par année.

Je suis aussi attaché à ce que l’État se préoccupe de l’accessibilité de certains territoires enclavés, que je connais peut-être mieux que d’autres pour subir cet enclavement plus que d’autres. Et s’il a été annoncé qu’on mettrait un frein à certaines grandes opérations, en particulier la réalisation de lignes à grande vitesse, il est nécessaire d’entretenir nos routes nationales, il est nécessaire d’entretenir certaines voies ferrées qualifiées de « secondaires », car beaucoup de travaux n’ont pas été réalisés depuis longtemps.

Il est nécessaire aussi de lutter pour le maintien des services publics. Nous avons pris la décision d’accélérer le déploiement des maisons de services au public, d’en doubler le nombre. J’ai reçu le président-directeur général de La Poste, Philippe Wahl, pour mener une opération lourde en la matière, en coopération bien sûr avec les collectivités.

Comme vous l’écrivez, « la question n’est pas tant que le service soit rendu par l’État, un opérateur public ou une entreprise, mais qu’il soit répondu de la manière la plus efficace aux besoins exprimés ». Nous sommes totalement d’accord et c’est vers cela que nous travaillons avec l’accélération de ce plan de déploiement de maisons de services au public.

Vous avez parlé des déserts médicaux. Nous avons souvent échangé sur ce point dans cet hémicycle. Le plan qu’a présenté la ministre de la santé, au-delà du bilan qu’il dresse, prévoit un certain nombre d’actions, par exemple permettre à des médecins retraités de mener des interventions moyennant rémunération.

L’objectif est aussi de doubler le nombre de maisons pluridisciplinaires, sans compter les évolutions qui devront se faire jour. Vous avez évoqué une piste concernant la densité médicale. Mais ce que nous constatons aujourd’hui, c’est qu’il existe une surdensité dans certains territoires, et une sous-densité dans d’autres. Avant d’aborder la question du numerus clausus – ce que je n’ai pas le temps de faire –, nous devons d’abord nous interroger sur cette réalité-là.

Une des priorités de notre action, c’est le déploiement du numérique. Vous y avez insisté dans votre rapport : c’est essentiel pour réparer les fractures territoriales. Parce que nous ne pouvons pas prendre le risque, ni les uns ni les autres, d’aggraver la fracture territoriale numérique, nous avons pris la décision d’avoir comme objectif le bon débit pour tous d’ici à 2020, le très haut débit d’ici à 2022. J’ai réuni à deux reprises au ministère les opérateurs, pour leur demander de prendre des engagements contraignants, conformément à la dernière loi Montagne. Les discussions sont toujours en cours, mais je suis assez optimiste au regard des réponses qui commencent à nous être faites. C’est comme cela qu’on pourra avancer. Vous le savez aussi, l’État, dans son rôle d’État stratège auquel vous tenez, dispose de quelques moyens de négociation avec les opérateurs, et ces moyens seront utilisés si nécessaire.

Il est indispensable d’accélérer la couverture numérique par l’installation en particulier de plusieurs milliers de pylônes supplémentaires pour avoir le bon débit – la 4G d’ici à 2020 –, mais aussi d’utiliser des technologies alternatives, que ce soit la montée en débit, la 4G fixe, le satellite. Je l’ai dit, nous avons une position claire et ferme vis-à-vis des opérateurs, avec aussi la protection des réseaux d’initiative publique portés par les collectivités et qu’il ne faut pas mettre en danger.

Voilà des réponses précises à des questions précises.

Bien sûr, nous ne savons pas encore quels seront tous les impacts de cette révolution numérique sur nos territoires, mais ils seront considérables et ils vont s’amplifier. En particulier, en matière de domotique ou en matière de nouvelles mobilités, les choses vont avancer considérablement dans les quelques années qui viennent et beaucoup plus que nous ne l’imaginons.

Il est normal d’aborder la question du volontarisme politique lorsqu’on évoque l’aménagement du territoire. On ne peut pas dire que depuis quinze ou vingt ans, celui-ci ait été considérable. L’après-guerre a été une période d’aménagement du territoire et de planification, qui ont été poursuivis dans les premières années de la Ve République, mais qui petit à petit, malheureusement, ont été abandonnés.

Nous considérons aussi que les réformes territoriales ont entraîné un certain nombre de bouleversements. Je ne reviendrai pas sur la fusion des régions, sur ce que nous avons vécu. Nous n’allons pas refaire un « big-bang » territorial.

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