Intervention de Nicolas Revel

Commission des affaires sociales — Réunion du 25 octobre 2017 à 9h05
Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 — Audition de M. Nicolas Revel directeur général de la caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés

Nicolas Revel, directeur général de la Caisse nationale d'assurance maladie :

La mesure du taux de réalisation des objectifs de maîtrise médicalisée s'apprécie en ramenant l'évolution naturelle des dépenses à une progression compatible avec le cadrage de l'Ondam. En 2016, les dépenses ont augmenté à un rythme trop rapide sur quasiment tous les postes de consommation de soins, notamment les actes techniques. En 2017, la tendance est plus favorable. Il nous faut toutefois réfléchir à la manière dont nous construisons nos actions. De nombreux chantiers sont ouverts pour agir plus efficacement.

L'article 35 constitue un dispositif important. Alors même que notre système de santé n'est pas sous-financé si on le compare aux autres pays de l'OCDE, il vit la régulation comme une source de tension. Cela tient à ses rigidités, au déséquilibre entre la ville et l'hôpital, au caractère atomisé des soins de ville. La construction de notre système de santé sur le tarif à l'acte et à l'activité entretient une recherche des volumes et cloisonne les acteurs.

Il serait très compliqué de réformer en profondeur le mode de rémunération. Il faudrait, comme tous les pays autour de nous l'ont fait, pouvoir tester des modes de rémunération « intelligents », basés sur les notions de parcours, de prise en charge globale, de rémunération d'un collectif de professionnels ou encore de coordination. Nous devons expérimenter de nouveaux modes de rémunération au lieu de croire que nous pourrons réussir par le biais d'une loi ou d'un décret.

Or, je fais le constat d'un engourdissement au sujet des expérimentations : déroger aux règles en vigueur dans le cadre d'une expérimentation nécessite l'adoption d'une disposition législative, puis d'un décret, suivie de celle d'un cahier des charges. Je citerai l'exemple de l'expérimentation de la télémédecine, prévue par l'article 36 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2014, et pour laquelle le cahier des charges est sorti en 2016. C'est très long et très peu souple.

Par ailleurs, il manque un cadre qui permettrait aux expérimentations territoriales d'être prises en compte au niveau national. De nombreux acteurs sur le terrain souhaiteraient en effet pouvoir s'organiser différemment, avec des modes de rémunération adaptés, des délégations de compétences qu'il faudrait pouvoir tester. Le législateur devrait nous habiliter dans un cadre plus souple, qui serait précisé par un décret en Conseil d'État, à autoriser, au fil de l'eau, la réalisation de telles expérimentations. Cela permettrait de décider beaucoup plus vite puis de faire un travail d'évaluation qui fait encore trop souvent défaut aujourd'hui. C'est la raison d'être de l'article 35 du PLFSS pour 2018. Ce dispositif n'est pas qu'un fonds, même s'il faudra évidemment le financer. Ce fonds devra également financer un peu d'ingénierie de projet et l'évaluation. Même si le fonds est géré par l'assurance maladie, celle-ci ne sera pas le propriétaire du dispositif. La commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale a proposé d'introduire dans le texte une mention d'un comité stratégique qui serait ouvert à tous les acteurs qui ont vocation à accompagner les acteurs publics et d'un comité technique, décisionnaire, qui rassemblerait les différents partenaires (DGOS, DSS, Cnam). Les mutuelles ne demandent pas à être au comité technique mais au comité stratégique. Le fonds est financé par l'assurance maladie obligatoire.

S'agissant de la télémédecine, nous allons ouvrir les négociations début 2018. Elles vont porter sur la téléconsultation et la télé-expertise. Elles partiront d'une page blanche car nous ne sommes pas liés par le cadrage des expérimentations qui concernait tout un ensemble de pathologies en ALD. On peut tout à fait considérer qu'il est possible d'aller au-delà de celles-ci. A priori, les modes de rémunération respectifs de la consultation et de la téléconsultation se fondent sur le même prix. Pour la télé-expertise, les choses sont plus compliquées. Il en va de même pour la rémunération du requérant. Je ne vois pas pourquoi on le rémunérerait systématiquement. Il faudra voir comment caractériser les choses.

Le sujet du choix entre chambre professionnelle et chambre pluri-professionnelle concerne principalement les médecins. D'autres professions de santé seront concernées, notamment les infirmières. Je vais commencer par une négociation mono-professionnelle avec les médecins libéraux avant de l'élargir, sur la notion de requérant, à d'autres professions selon une approche soit mono-professionnelle, soit pluri-professionnelle. Je commencerais par définir la rémunération des médecins, qui me paraît être l'élément socle du dispositif.

Les contrats conclus entre les agences régionales de santé (ARS), l'assurance maladie et les établissements pour intéresser ces derniers à toute mesure permettant de favoriser une plus grande pertinence et qualité des soins ainsi que des mesures d'économies sur les actes, produits et transports sanitaires sont un dispositif créé par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2016. Je suis convaincu qu'ils jouent un rôle majeur car on ira chercher des économies que lorsqu'on aura réussi à concilier sens médical et rationalité économique. Cette notion d'intéressement des acteurs et des professionnels est indispensable, comme le montrent les dispositifs de rémunération sur objectifs de santé publique (ROSP) des médecins généralistes. Mais tout est dans l'exécution : la loi impose à tous les établissements une conclusion de ces contrats pour la fin 2017, la mobilisation est encore en cours et, dans ces conditions, je pense que les contrats que nous sommes amenés à signer ne sont pas suffisamment travaillés. Nous allons respecter la loi mais il faudra assez vite revenir vers les établissements, début 2018, pour prévoir des avenants aux contrats afin de personnaliser davantage les objectifs. Nous allons faire en sorte, comme le veut le PLFSS pour 2018, que l'intéressement s'applique à tous les volets des contrats. Peut-être pourrons-nous monter l'intéressement jusqu'à 30 % s'il s'avère que c'est un bon chiffre.

En ce qui concerne la commission de hiérarchisation des actes et des prestations (CHAP), il s'agit d'une instance que l'assurance maladie accueille en son sein et qui permet aux professionnels de santé d'intervenir sur la valorisation médicale de la difficulté d'un acte. Ceci est l'un des éléments d'inscription à la nomenclature. L'article 37 du PLFSS pour 2018 prévoit que si la CHAP ne s'est pas prononcée sur un nouvel acte un an après que la Haute Autorité de santé (HAS) a rendu son avis, le directeur général de la Cnam prend la main. Je n'ai pas demandé cette disposition ; je n'ai pas vu d'acte innovant sur lequel la CHAP ait tardé à répondre. La commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale a proposé de supprimer l'article afférent avec, je crois, un avis favorable du Gouvernement et sans que j'y voie d'inconvénient. Cet article relève d'un malentendu comme on peut en voir lors de la fabrication d'un projet de loi.

Enfin, en ce qui concerne le dossier médical partagé (DMP), dont la loi de 2016 nous a confié la responsabilité, nous y travaillons intensément afin de définir les conditions de sa réussite. Il faut permettre une ouverture massive des DMP. Lorsque nous avons été investis de la responsabilité du DMP, il en existait 500 000 pour la France entière, dont la moitié étaient vides. Le but serait d'avoir en quelques années quelques dizaines de millions de DMP ouverts, qu'il y figure de l'information, qu'ils puissent être consultés facilement par les professionnels afin que ceux-ci aient envie de l'alimenter et, enfin, que les patients eux-mêmes se l'approprient.

Nous avons élargi les possibilités d'ouvrir un DMP, avec une expérimentation dans neuf départements pilotes. Il ne me paraît pas raisonnable de penser que les médecins ont du temps à consacrer à cela. Les assurés peuvent désormais ouvrir directement leur DMP en ligne. Cette possibilité a un certain succès mais ce ne sera pas le vecteur principal. La possibilité est également ouverte dans les accueils des caisses primaires. Ces deux dispositifs ont déjà permis d'ouvrir 250 000 DMP en l'espace d'un an. Cela ne suffira pas ; c'est pourquoi je souhaite que les pharmaciens aient la possibilité d'ouvrir un DMP. J'ai conclu cet été un accord avec eux en ce sens. Nous leur proposons une rémunération de un euro par DMP ouvert. Quant aux syndicats médicaux, ils étaient, il y a encore deux ans, divisés sur le DMP. Mais la réflexion progresse. Je pense que les infirmières libérales vont elles aussi pouvoir ouvrir des DMP au domicile des patients.

Dès qu'un DMP est ouvert, nous y versons l'historique des remboursements sur deux ans, présenté à partir de données médicales. On sait quel médicament a été remboursé, quel médecin a été consulté. En revanche, le DMP ne permet pas encore d'avoir le contenu d'un acte dont on sait qu'il a été réalisé, par exemple un acte d'imagerie. Il va falloir compléter les DMP à partir de l'information hospitalière ; le DMP sera un instrument du lien entre la ville et l'hôpital. Nous réalisons à ce sujet un travail de terrain très minutieux, hôpital par hôpital, clinique par clinique, pour étudier leurs systèmes d'information. La même chose devra être faite avec les Ehpad. Nous menons par ailleurs un travail avec les laboratoires d'analyses, le but étant là aussi d'avoir une alimentation directe de tous les DMP. Il restera ensuite le secteur de l'imagerie sur lequel le travail doit se poursuivre.

Nous mettrons par ailleurs en place, dans deux départements pilotes, une application permettant aux assurés relevant du régime général de consulter leur DMP sur leur smartphone. Enfin, s'agissant du calendrier, la généralisation du dispositif est prévue pour le second semestre 2018. Il s'agit certes là d'un nouveau report ; des développements informatiques importants sont cependant encore nécessaires, et je considère que nous ne perdons pas de temps lorsque nous nous efforçons de bien faire les choses.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion