Intervention de Françoise Nyssen

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 25 octobre 2017 à 16h30
Projet de loi de finances pour 2018 — Mission « médias livre et industries culturelles » - Audition de Mme Françoise Nyssen ministre de la culture

Françoise Nyssen, ministre de la culture :

Merci Madame la présidente. Monsieur le rapporteur, cher Jean-Pierre Leleux, Mesdames les sénatrices, Messieurs les sénateurs. Parmi les missions essentielles dont le ministère de la Culture a la charge, la défense du pluralisme et de l'indépendance des médias et de l'audiovisuel public est sans doute la plus étroitement liée à la santé de notre démocratie. Veiller à garantir l'accès à une diversité de contenus et d'expressions, ainsi qu'à une information fiable et de qualité, c'est veiller directement à l'exercice réel de la liberté d'opinion. Cette mission est l'une des six priorités que le Premier ministre m'a confiée dans sa lettre de mission. C'est celle que je vais vous présenter aujourd'hui.

Le Sénat a ouvert des voies sur ce sujet, depuis plusieurs années. Des propositions fortes ont été formulées par deux d'entre vous - Messieurs les Sénateurs Leleux et Gattolin - dès septembre 2015, et réaffirmées par votre commission ces derniers jours. Nombre d'entre elles font écho à nos propres pistes de réflexion. Je voudrais vous exposer à la fois les déterminants et les grandes orientations de la politique que nous souhaitons conduire en matière d'audiovisuel et plus particulièrement en matière d'audiovisuel public.

Le grand déterminant de cette politique, c'est le virage numérique. Il bouleverse en profondeur le paysage audiovisuel depuis plusieurs années déjà et ce à tous les niveaux. Nous assistons à une évolution des usages : le non linéaire se développe à grande vitesse et pourrait dépasser le linéaire dans quelques années ; le piratage ne cesse de croître et d'évoluer. Nous assistons aussi à une évolution des modèles économiques : le marché de la publicité audiovisuelle - régulé de façon stricte depuis les années 80 - est aujourd'hui dépassé en valeur par le marché de la publicité digitale non régulé et maîtrisé par les géants numériques américains : 3,5 milliards d'euros pour le second, contre 3,2 milliards pour le premier. Nous assistons, enfin, à une évolution des contenus : le cinéma demeure en forte position, mais nous assistons en parallèle à l'essor des séries et au développement de formes créatives nouvelles - comme les formats courts proposés par les Youtubeurs. Ce qui pose la question de la responsabilité des plateformes. En matière de financement comme de diffusion des contenus, aujourd'hui, celles-ci ne sont pas soumises aux obligations que connaissent les chaînes de télévisions sur la lutte contre les discriminations, par exemple.

La législation et la réglementation ont vieilli. Elles ne prennent pas suffisamment en compte l'ensemble de ces évolutions. Dans notre modèle actuel, c'est la télévision qui connaît la régulation la plus contraignante - en termes de contenus et de publicité - alors qu'elle n'est plus le média dominant. Nous devons prendre davantage en compte les médias numériques si nous voulons soutenir la création et la protection de la valeur dans cet environnement.

Depuis mai dernier, nous avons commencé à avancer en ce sens. Au niveau national, nous avons lancé en août une consultation sur l'évolution de la réglementation en matière de publicité à la télévision portant notamment sur les secteurs interdits et la publicité ciblée. Elle vient de se terminer. Les services du ministère sont en train d'en examiner les conclusions. Des avancées importantes ont par ailleurs eu lieu sur la contribution des acteurs numériques au financement de la création. Je pense notamment à l'entrée en vigueur, au mois de septembre, des taxes dites « YouTube » et « Netflix », qui élargissent la taxe vidéo affectée au centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) à toutes les plateformes. Je tiens à saluer le travail réalisé par le Parlement, qui a été moteur dans cette réflexion, à travers ses rapports sur l'économie numérique. Nous nous sommes saisis d'un autre chantier sur lequel le Sénat a fait des propositions : la chronologie des médias. C'est une priorité pour adapter notre modèle aux nouveaux usages et pour sécuriser l'avenir de notre système de préfinancement des oeuvres.

J'ai confié une mission de médiation à Monsieur Dominique d'Hinnin, pour faire aboutir les discussions professionnelles, bloquées depuis trop longtemps. Je lui ai donné un maximum de six mois pour trouver un nouvel accord. À défaut, le Gouvernement prendra ses responsabilités et n'exclut pas de proposer une solution législative, en lien étroit avec le Parlement. Pour faire progresser la régulation, je suis par ailleurs mobilisée au niveau européen ; j'ai participé en mai aux négociations sur la directive « services de médias audiovisuels » (SMA), qui est actuellement en discussion entre la Commission et le Parlement européen. La transposition de la directive devrait avoir lieu en 2018 en France. Elle ouvrira la possibilité d'une refonte de la régulation audiovisuelle en France, posée par la loi de 1986 relative à la liberté de communication.

Au niveau européen toujours, je suis engagée pour la protection du droit d'auteur, et pour la reconnaissance d'un droit voisin au profit des organismes de presse - c'est l'une des clés pour assurer un modèle économique viable à la presse en ligne. Un vent de transformation souffle sur l'ensemble du champ des médias - au sens large, de la presse au cinéma : il doit aussi souffler dans le champ plus particulier de l'audiovisuel public. J'en viens ici, après le contexte général, aux grandes orientations de cette transformation.

C'est une réforme de fond que nous souhaitons engager - une réforme qui repose sur une vision de l'audiovisuel public, sur ses missions prioritaires - et sur une méthode de transformation.

Une vision, d'abord. Les médias de service public jouent un rôle absolument indispensable dans le paysage médiatique et dans notre société en général. C'est un repère essentiel pour le citoyen en matière d'information, mais aussi de contenu culturel. Dans un environnement extrêmement mouvant, où la circulation de contenus est abondante et permanente, sans que la source ne soit toujours identifiée, les médias de service public ont plus que jamais une valeur de référence. Notre ambition est de conforter ce rôle dans un environnement qui évolue fortement et constamment.

Cela suppose de réaffirmer les missions prioritaires de l'audiovisuel public. Elles se sont enrichies au fil des années. Au-delà du traditionnel triptyque « informer, cultiver, divertir », l'audiovisuel public est un acteur de premier plan en matière de soutien à la création d'information et de services de proximité ainsi que de rayonnement international pour la France. Il a toujours su démontrer sa singularité et sa pleine légitimité dans ces différents domaines. Dans le contexte de profondes mutations que nous connaissons, l'audiovisuel public a sa carte à jouer : premièrement, en faisant le pari de la création et en proposant des programmes qui se distinguent dans un univers d'offre surabondante ; deuxièmement, en étant à la pointe de l'offre numérique et multicanal pour s'adapter aux nouveaux usages ; enfin, en développant une stratégie ambitieuse à l'international. J'en profite pour saluer le lancement récent de France 24 en espagnol, qui est une très belle avancée. Ce positionnement stratégique nécessite de profondes transformations, dont certaines sont déjà engagées par les équipes dirigeantes. Le Gouvernement est déterminé à accompagner ces changements.

Je voudrais dire ici un mot de la méthode. Ces défis devront, vous le savez, être relevés dans un contexte contraint pour les finances publiques. Le Gouvernement s'est engagé, en responsabilité, dans une politique de redressement des comptes publics. L'audiovisuel public doit contribuer à l'effort collectif - ce qui suppose d'ajuster les dotations prévues dans les contrats d'objectifs et de moyens, les « COM », conclus par le précédent Gouvernement.

Le budget de l'audiovisuel public sera de 3,9 milliards d'euros l'année prochaine. L'effort d'économies demandé est réel - je ne le conteste pas - et porte sur une baisse de 36 millions d'euros par rapport à 2017 et de « moins » de 80 millions d'euros par rapport aux COM. Mais c'est un effort qui est soutenable : il représente moins de 1% du budget de l'audiovisuel public et ne remet aucunement en cause le soutien de l'Etat. Le budget 2018 reste supérieur à celui de 2016 et de 2015.

J'ai fixé quatre impératifs stratégiques à court terme, dans ce contexte budgétaire : soutien à la création, information de référence, transformation numérique de l'offre, et rayonnement international de la France. Mais pour préparer l'avenir, je souhaite que l'audiovisuel public s'engage dans une dynamique de transformation plus structurelle. Cette dynamique s'appuie sur trois leviers : la réflexion sur le périmètre des missions, le financement et la gouvernance.

La réflexion sur le périmètre des missions et sur l'efficacité de leur mise en oeuvre fait actuellement l'objet d'un travail interministériel, associant mon ministère à ceux de l'Économie et des Comptes publics. Les sociétés de l'audiovisuel public sont étroitement associées à ce travail et devraient nous faire part de leurs premières pistes de réforme d'ici la mi-novembre. La réflexion se poursuivra jusqu'au début de l'année 2018. A ce stade, le travail porte notamment sur les coopérations autour de projets concrets entre acteurs du secteur, qui doivent unir davantage leurs moyens, leurs forces, leurs idées - à l'image de ce qui a été engagé avec France Info. Je sais que certains parmi vous considèrent qu'il faut aller plus loin, en regroupant les différentes sociétés de l'audiovisuel public. Nous n'écarterons aucune piste pour l'avenir. Ma position est pragmatique, non dogmatique. Je crois que nous pouvons avoir un débat sur cette question aujourd'hui.

La transformation du secteur devra s'accompagner par ailleurs d'un débat sur son financement. Pour ce qui est de la contribution à l'audiovisuel public, aucun impératif financier ne justifiait une réforme à court terme. La priorité pour le projet de loi de finances pour 2018, vous le savez, est la réforme de la taxe d'habitation. Néanmoins, à moyen terme, l'évolution des usages pose la question du rendement de cette contribution et de l'équité entre contribuables. Ainsi, comme je l'ai déjà dit, je souhaite qu'un débat soit ouvert, autour notamment d'un élargissement de l'assiette

Nous avons lancé les travaux qui aboutiront dans les prochains mois. Je souhaiterais pouvoir m'exprimer lors du débat sur le projet de loi de finances pour 2019 sur ce sujet. Pour ce qui est de la publicité, le Gouvernement n'est pas favorable à son retour après 20 heures sur les antennes de France Télévisions : c'est un élément fort de distinction du service public.

Le dernier chantier de transformation concerne la gouvernance de l'audiovisuel public. C'est un corollaire indispensable aux autres réformes, et nous connaissons les limites du système actuel. Je souhaite que l'on ouvre le sujet, comme le Président de la République s'y est engagé pendant la campagne et comme le Premier ministre me l'a demandé dans sa lettre de mission. Cela concerne, d'une part, les COM, dont les périodes ne sont pas alignées, ni entre elles ni sur les échéances politiques. Je partage le constat que vous avez établi à cet égard. D'autre part, nous engagerons la réflexion sur la nomination des présidents des sociétés de l'audiovisuel public par leur conseil d'administration. Cette réforme - législative - sera bien sûr menée en étroite collaboration avec le Parlement. Sur l'ensemble des dossiers que je viens d'évoquer, plus largement, je serai à l'écoute de vos propositions et je me tiens à votre disposition pour répondre à vos questions.

Mesdames les sénatrices, Messieurs les sénateurs, vous l'aurez compris : nous portons une très forte ambition pour les médias de service public, qui jouent un rôle irremplaçable pour notre démocratie. Leur avenir passe par des transformations profondes. Elles sont déjà engagées. Les dirigeants des sociétés publiques savent que nous serons à leurs côtés pour les poursuivre et les accélérer. Je vous remercie pour votre attention.

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