Intervention de Elisabeth Borne

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 8 novembre 2017 à 9h00
Audition de Mme élisabeth Borne ministre auprès du ministre d'état ministre de la transition écologique et solidaire chargée des transports

Elisabeth Borne, ministre :

Mesdames et Messieurs les Sénateurs, je suis très heureuse d'être devant votre commission, que je sais compétente et engagée dans le domaine des transports. Elle est également enrichie de nouveaux talents depuis mon audition du 20 juillet dernier au terme du renouvellement sénatorial de septembre.

En juillet dernier, j'avais présenté ma feuille de route, articulée autour de trois objectifs : orienter, protéger, soutenir. Orienter, c'est préparer les mobilités des prochaines décennies, avec un objectif clair, celui de la mobilité pour tous, et dans tous les territoires, adaptée aux besoins de la population et de l'économie. Protéger, ensuite, c'est dans un monde de plus en plus ouvert, définir les conditions dans lesquels les opérateurs vont agir et anticiper les risques. Mais c'est aussi donner des garanties pour que cette ouverture ne se fasse pas au détriment des salariés, des entreprises et des consommateurs, face aux distorsions qu'elle peut créer. Soutenir, enfin, c'est structurer et appuyer les filières économiques, de la logistique, de l'industrie et de la mer.

Beaucoup de travaux ont été engagés depuis juillet. Ainsi, les Assises nationales de la mobilité ont été lancées le 19 septembre dernier. Le Sénat est pleinement associé à ces travaux - c'était d'ailleurs une attente forte de votre commission. Par ailleurs, le conseil d'orientation des infrastructures, présidé par Philippe Duron et auquel vous avez bien voulu vous associer Monsieur le Président, ainsi que deux de vos collègues, MM. Cornu et Dagbert, a été mis en place. J'ai confié à Jean-Cyril Spinetta une mission sur le modèle du transport ferroviaire. En outre, Anne-Marie Idrac vient d'être désignée Haut responsable de la stratégie nationale pour le véhicule autonome, et une mission lui a également été confiée sur ce thème.

Les défis ne manquent pas et je porte une politique ambitieuse et réaliste. Je ne souhaite pas être la ministre des promesses irréalisables. Il est en effet temps de regarder la réalité des besoins, et pas seulement les projets qui ont été promis depuis des décennies. Il est également temps de mettre en adéquation nos moyens et nos ambitions. Il peut paraitre paradoxal de prévoir pour 3 milliards d'euros de dépenses sur le budget de l'Afitf, alors que les ressources ne sont que de 2,2 milliards d'euros.

Le budget pour l'année 2018 est ainsi un budget de transition, dans l'attente de l'aboutissement des chantiers ouverts. Je sais que je pourrai compter sur votre commission pour nous aider à mieux définir les priorités soutenables, comme nous y aide aussi la mobilisation de nos concitoyens et de nombreux acteurs du secteur. Ce projet de loi de finances 2018 n'est qu'une nouvelle étape de la réorientation que nous avons engagée en faveur des transports du quotidien et de la remise à niveau des réseaux existants.

Assises, budget 2018, loi d'orientation des mobilités et de programmation, conclusions de la mission Spinetta vont rythmer ces prochains mois et concrétiser ma feuille de route dont les cinq axes sont les suivants : mettre en place une stratégie des mobilités adaptée aux besoins de nos populations ; rétablir un financement réaliste de nos infrastructures ; veiller à ce que l'ouverture à la concurrence du ferroviaire soit bénéfique pour l'ensemble du secteur ; veiller à soutenir les filières logistiques et industrielles ; relever les nouveaux défis en matière de sécurité et de sureté et améliorer l'efficience de l'action publique.

En ce qui concerne la mise en place d'une stratégie des mobilités adaptée aux besoins des populations, les Assises de la mobilité qui se déroulent jusqu'à la fin de l'année déboucheront sur une loi d'orientation des mobilités qui sera présentée au Parlement début 2018. Il nous faut donner la priorité aux transports de la vie quotidienne, à l'entretien et la modernisation des réseaux existants. C'est la raison pour laquelle, les crédits consacrés à la réalisation des contrats de partenariat État-Régions (CPER), outil précieux permettant la réalisation d'ambitions partagées entre les régions, les collectivités et l'État, ne sont pas concernés par la pause que j'ai demandée. Ils pourront en outre être augmentés dans le cadre du budget de l'Afitf. De même, les crédits consacrés à la régénération et à la modernisation du réseau routier national vont connaitre une hausse très significative de 25%, soit 100 millions d'euros. Toutefois, nous ne sommes pas au bout des efforts nécessaires pour remettre en état le réseau routier, mais nous avons voulu engager une première marche. Le mouvement est également engagé sur le fluvial, où 10 millions d'euros supplémentaires sont prévus, soit une hausse de 14 %. Par ailleurs, les commandes de l'État pour les trains d'équilibre du territoire pourront être honorées en totalité, pour l'ensemble des régions, en 2018.

Deuxièmement, je souhaite un rétablissement d'un financement réaliste et sincère de nos infrastructures. Il n'est plus acceptable de promettre des projets sans assurer leur financement. Un changement complet de méthode, en la matière, s'impose.

Dans le cadre de la priorité à l'entretien et à la régénération des réseaux, j'ai lancé des audits des réseaux routiers et fluviaux afin de connaitre leur état réel, à l'instar de ce qui avait dû être fait en urgence pour le ferroviaire. Je suis consciente de cette absolue nécessité de mieux connaître nos réseaux avant de décider d'une vraie politique de rénovation à la hauteur des enjeux et sans attendre leur dégradation trop avancée. En effet, une fois arrivé à un tel état de dégradation, il est ensuite très difficile et couteux de remettre les réseaux en état. C'est ce que l'on souhaite éviter dans le domaine des réseaux routiers et fluviaux. Il fallait aussi stabiliser les deux grands projets européens que sont la ligne ferroviaire Lyon-Turin et le canal Seine-Nord Europe. Nous travaillons pour d'une part, financer sur plusieurs décennies - dans un montage en financement de projet - des infrastructures construites pour durer plus d'un siècle, d'autre part, dégager des ressources dédiées, de façon à ce que ces projets ne viennent pas obérer la capacité à financer quoi que ce soit d'autre dans le cadre de l'Afitf.

Le Conseil d'orientation des infrastructures prépare les choix soutenables qui seront soumis au Parlement début 2018 dans la loi de programmation des infrastructures.

Sans attendre les conclusions de ces travaux qui rendront possibles la sortie de la pause annoncée par le Président de la République le 1er juillet 2017, et en lien avec la première priorité aux réseaux existants que j'ai développée, il nous est apparu nécessaire d'augmenter de 200 millions d'euros les recettes de l'Afitf dès 2018.

Au-delà des financements de l'Afitf, le grand plan d'investissement et les actions combinées avec le ministère de la Transition énergétique et solidaire nous permettront d'accélérer la transition énergétique des transports, notamment dans le domaine de la motorisation, mais aussi en favorisant les mobilités collectives ou partagées pour les personnes, et les modes les plus respectueux de l'environnement pour les marchandises.

Le troisième axe est celui de la régulation et de la transformation du secteur des transports, en général, et du ferroviaire en particulier. Cela suppose de rétablir un modèle économique qui n'est plus soutenable dans le domaine ferroviaire : chacun a en tête que la dette de SNCF est de 45 milliards d'euros en 2017. Elle augmente de 3 milliards d'euros par an alors que l'État versera, en 2018, 2,4 milliards d'euros de concours ferroviaires via le programme 203.

Cette « remise en ordre » du secteur ferroviaire est indispensable à la veille d'une ouverture à la concurrence prévue dans le cadre du 4è paquet ferroviaire dont nous devons faire une réussite pour tous les acteurs : voyageurs, cheminots, régions, autorités organisatrices. J'ai pu pointer le déséquilibre des dessertes TGV : 70 % de celles-ci sont aujourd'hui déficitaires, alors même que les voyageurs trouvent que le prix des billets est souvent élevé. J'ai aussi souligné que le mode de desserte que nous avons retenu, dans lequel les TGV ne circulent pas uniquement sur des voies à grande vitesse, mais assurent une desserte fine des territoires, a un coût. Pour autant, je pense que chacun est attaché à ce mode de desserte. Il n'est pas question de le remettre en cause. Toutefois, il nous faut avoir une stratégie d'ensemble cohérente, vis-à-vis de la SNCF, et ne pas demander tout à la fois des TGV qui assurent une desserte fine des territoires, des billets moins chers, et des péages élevés. Cela renvoie à la question des péages. Là encore, nous sommes dans une période de transition. Compte tenu de la réflexion qui est engagée, il nous fallait prendre des dispositions pour l'année 2018. Mais je vous confirme que le rôle de l'Arafer est particulièrement précieux. C'est une corde de rappel utile, par rapport à une approche qui pourrait être exclusivement comptable, alors que les péages sont pour moi un levier fondamental de la politique des transports. Je suis attachée à ce que le TGV reste un mode de transport pour tous, qui continue à assurer une desserte des territoires. Il faut en tirer les conclusions s'agissant des péages.

La régulation, c'est aussi le cadre européen pour les transports, avec notamment les discussions qui s'engagent sur le paquet « mobilité », dans la suite de celles qui ont pu être conclues au conseil des ministres du travail sur la directive « travailleurs détachés ». Ce seront des discussions qui seront très certainement soutenues.

C'est également au niveau de l'Europe que se dessinent la modernisation du contrôle aérien et les investissements qui l'accompagnent, portés en France par le budget annexe « contrôle exploitation aériens », dans un contexte de hausse des trafics. Par ailleurs le dernier protocole social de la DGAC a permis d'améliorer la flexibilité du travail pour répondre de façon efficace aux pointes.

C'est, en revanche, au niveau national que nous devrons définir un cadre législatif pour les plateformes numériques permettant tout à la fois de libérer les initiatives, de protéger les usagers et les travailleurs et d'assurer une concurrence loyale entre les acteurs.

Le quatrième axe vise à soutenir les filières logistiques et industrielles. Il se retrouve dans deux grands programmes. Tout d'abord dans les crédits de la DGAC, pour lesquels, il nous a semblé indispensable de revenir à un niveau qui se rapproche des montants de l'Allemagne ou de l'Angleterre - soit un soutien de 135 millions d'euros pour 2018, pour la recherche aéronautique civile. C'est important dans un secteur qui représente près de 200 000 emplois et aura recruté près de 8 000 nouveaux collaborateurs en 2017. Toutefois, les crédits de Recherche et Développement avaient été ramenés à zéro en 2017.

Ces enjeux se retrouvent également dans la stratégie portuaire et maritime que le Premier ministre présentera aux assises de l'économie de la mer le 21 novembre au Havre. Le Gouvernement doit encore préciser ses positions tant fiscales que budgétaires en tenant compte des décisions récentes du Conseil d'État et de la Commission européenne.

Le cinquième axe concerne les nouveaux défis en matière de sécurité et de sûreté et d'amélioration de l'efficience de l'action publique. Le premier défi, c'est d'abord de rendre plus sûrs tous les transports. La sécurité est toujours au coeur des préoccupations, notamment dans les transports publics. Depuis 2001, la sûreté est devenue tout aussi critique et nous connaissons malheureusement des menaces terroristes avérées.

En matière de sûreté, le transport aérien est en première ligne dans un cadre défini au niveau international, celui de l'OACI, ou européen. Le gouvernement dispose d'un processus national efficace de décision associant toutes les forces de sécurité s'appuyant sur un service technique, le STAC (service technique de l'aviation civile), très compétent et internationalement reconnu. Il intègre maintenant l'évaluation des aéroports étrangers d'où pourraient venir les menaces.

Les transports terrestres et maritimes vont aussi devoir intégrer ces exigences, y compris en capitalisant sur l'expérience de l'aviation civile via des comités interministériels terrestres, maritime et portuaire. Vous avez eu à vous prononcer sur la loi dite Savary. De nouveaux moyens ont été mis en place dans ce domaine. Nous avons pu avec le Premier ministre nous rendre sur le terrain, vendredi dernier, pour mesurer la mobilisation des opérateurs et l'efficacité des mesures mises en place, suite à cette loi. Nous allons devoir continuer à travailler sur ces sujets : outre la présence humaine, les enjeux de vidéo-protection sont encore très importants. Nous avons encore des marges de progrès, en mettant en oeuvre des technologies de vidéos intelligentes.

Ces exigences auront sans doute vocation à trouver une traduction budgétaire directe sur les programmes 203 et 205. Le programme 203, au-delà des subventions au ferroviaire, permet notamment des interventions dans le domaine des infrastructures routières (y compris en termes d'exploitation), dans le domaine fluvial, via VNF, ainsi que l'ensemble des régulations des transports terrestres. Il est en légère hausse de 0,4 % et recevra ensuite le rattachement des fonds de concours de l'Afitf pour l'État, en tant que maître d'ouvrage des routes nationales. Dans le domaine maritime, c'est l'ensemble du système des affaires maritimes qui est porté par le programme 205, dont le périmètre a été réduit par le départ de la pêche au Ministère de l'agriculture. Il est en baisse de 13 %.

Il s'agit donc d'un budget de transition qui traduit déjà la réorientation des priorités que j'ai souhaitée et qui, je crois, trouve un écho dans les priorités de votre commission Ainsi, la priorité à la mobilité du quotidien est déjà engagée à travers l'augmentation des ressources consacrées à la régénération des réseaux routiers, ferroviaires, fluviaux et portuaires.

Mais c'est également un budget de transition parce que les travaux engagés dans le cadre des Assises de la mobilité et avec le Conseil d'orientation des infrastructures devront trouver leur traduction dans la loi d'orientation des mobilités qui visera à définir le cadre propice au développement des mobilités de demain. La loi de programmation qui sera portée aura pour objectif de sortir de la spirale des promesses non tenues et de présenter une trajectoire plus adaptée aux réalités des besoins de notre pays. Je tiens à vous assurer, Monsieur le Président, que les enjeux d'aménagement du territoire seront bien pris en compte. Il s'agit de rétablir la confiance que les collectivités et nos concitoyens peuvent avoir dans les engagements de l'État.

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