Intervention de Gérard Cornu

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 8 novembre 2017 à 9h00
Projet de loi de finances pour 2018 — Mission « écologie développement et mobilité durables » - crédits « transports ferroviaires collectifs et fluviaux » - examen du rapport pour avis

Photo de Gérard CornuGérard Cornu, rapporteur pour avis :

Je remercie Jean-Pierre Corbisez pour sa présentation de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf), qui me permettra d'abréger mon propos sur cette agence. Après une présentation des crédits consacrés aux transports ferroviaires, collectifs et fluviaux du projet de loi de finances pour 2018, je vous ferai un rapide exposé sur la situation et les perspectives du fret ferroviaire.

Pour revenir d'abord sur le budget de l'Afitf, il est toujours très difficile de se prononcer au moment des débats relatifs à la loi de finances, car le budget définitif n'est arrêté qu'en décembre.

Le ministère en charge des transports, qui en a la tutelle, nous a indiqué que le budget annoncé de 2,4 milliards d'euros devrait suffire pour 2018, à condition d'échelonner certains paiements ou de retarder la mise en oeuvre de certains projets. Mais, dans ce cas, il faut bien noter qu'on ne fait que reporter dans le futur les difficultés budgétaires de l'agence, qui sont réelles.

Je rappelle que l'Afitf avait encore, à la fin de l'année 2016, une dette de 447 millions d'euros vis-à-vis de SNCF Réseau, dont 37 millions au titre des pénalités. Ce montant est en diminution, mais il n'est pas négligeable et mérite d'être souligné.

En réalité, l'Afitf doit assumer de nombreux engagements pris par le passé, sans avoir les ressources correspondantes. Dans ce contexte, je suis extrêmement favorable à la démarche engagée par la Ministre Élisabeth Borne pour redéfinir, avec le Parlement, les priorités et les inscrire dans une loi de programmation, en garantissant leurs financements. Nous devons, à l'avenir, être plus rationnels dans nos choix d'investissements, en nous assurant de leur faisabilité financière.

J'en viens aux crédits du programme 203. Dans le domaine ferroviaire, les dépenses de l'État se composent essentiellement de la contribution de l'État à SNCF Réseau, fixée en 2018 à 2,4 milliards d'euros, un montant très proche de celui retenu en 2017. Pour vous donner une idée de la répartition entre les crédits de l'État et ceux de l'Afitf, je vous indique que la contribution de l'Afitf pour les transports ferroviaires devrait s'élever à 1 milliard d'euros. La contribution du programme 203 finance 1,67 milliard d'euros de redevance d'accès au réseau pour les TER, qui est prise en charge par l'État, 528 millions d'euros de redevance d'accès au réseau pour les trains d'équilibre du territoire, et 224 millions d'euros pour le financement de l'utilisation du réseau par les trains de fret.

S'ajoutent à cette enveloppe deux dépenses d'un montant beaucoup plus limité : 1,25 million d'euros pour financer l'exploitation et la maintenance de la ligne à grande vitesse Perpignan Figueras, qui a été reprise par une filiale de la SNCF et de son homologue espagnol à la suite de la liquidation du concessionnaire et 1 million d'euros pour améliorer la robustesse du GSMR, le système de communication du réseau ferroviaire qui assure les liaisons radio sol-train, perturbé par les émissions des opérateurs de réseaux.

Pour soutenir les transports collectifs, l'État versera 20 millions d'euros à SNCF Mobilités pour compenser les tarifications sociales nationales qu'il lui impose. Il s'agit par exemple des billets « familles nombreuses ». Cette enveloppe est en diminution ces dernières années, en raison des évolutions de la tarification chez l'opérateur, qui multiplie les offres promotionnelles en parallèle de ces tarifs sociaux. Près de 5 millions d'euros seront versés à la région Grand Est pour compenser l'impact de la mise en service du TGV sur les services ferroviaires régionaux, conformément à ce que prévoit la loi SRU. Enfin, l'État soutient l'ensemble des transports collectifs en finançant des enquêtes et des études, ou des expériences innovantes, à hauteur de 1,75 million d'euros. De plus, 450 000 euros sont destinés au développement de l'usage du vélo.

J'en viens aux crédits consacrés aux transports combinés, qui sont effectués par la route mais utilisent, sur une partie de leur parcours, un mode alternatif, qu'il soit ferroviaire, fluvial ou maritime. Ils s'élèvent à 22 millions d'euros en crédits de paiement et 77 millions d'euros en autorisations d'engagement. Parmi ces crédits, 60 millions d'euros correspondent au nouveau contrat de concession conclu pour l'exploitation de l'autoroute ferroviaire alpine.

Enfin, pour le transport fluvial, la subvention versée par l'État à Voies navigables de France est fixée à 251 millions d'euros, un montant proche de celui adopté l'an dernier.

Le programme 203 comprend également des dépenses transversales au titre des fonctions support, pour la réalisation d'études et les dépenses de logistique de la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM) ou des services qui lui sont rattachés. Ils s'élèvent à 15,6 millions d'euros, un montant en diminution de 3 % par rapport à l'année dernière.

Je vais désormais vous présenter les dernières évolutions relatives aux trains d'équilibre du territoire, et le compte d'affectation spéciale qui les finance. À la suite d'un rapport de la Cour des comptes encourageant l'État à mieux exercer son rôle d'autorité organisatrice, le Ministre Alain Vidalies avait mis en place une commission sur l'avenir de ces trains, présidée par Philippe Duron. Il avait également confié au Préfet François Philizot la mission de discuter avec les régions des évolutions de desserte à mettre en oeuvre, en articulation avec les services de TER.

Ces travaux ont abouti, d'une part, à la réduction de l'offre gérée par l'État, désormais composée de six lignes de jour, considérées comme structurantes, et de deux lignes de nuit, d'autre part, au transfert d'un certain nombre de lignes aux régions, en l'échange d'une participation de l'État au renouvellement du matériel roulant et à la couverture d'une partie de leur déficit d'exploitation. Vous trouverez dans mon rapport écrit le détail de ces accords. L'État a signé, pour les services qu'il continue à gérer, une nouvelle convention avec SNCF Mobilités, dans laquelle il exige des gains de productivité. Des matériels roulants neufs ont aussi été commandés pour certains de ces services.

Malgré cette reconfiguration des services, les crédits du compte d'affectation spéciale, qui finance l'exploitation des trains d'équilibre du territoire, continuent d'augmenter. Ils passeront de 358 millions d'euros en 2017 à 383 millions d'euros en 2018. De fait, le transfert des lignes aux régions, qui a commencé en 2017 pour certaines d'entre elles, s'échelonnera sur plusieurs années, jusqu'à 2020. Dans l'intervalle, l'État continuera à financer leur exploitation. En outre, le compte d'affectation spéciale financera, à hauteur de 73 millions d'euros, les premières compensations versées aux régions en contrepartie du transfert de certaines lignes. Je précise en revanche que le compte d'affectation spéciale ne financera pas le renouvellement du matériel roulant, qui sera pris en charge par l'Afitf.

Du côté des recettes, le compte est essentiellement alimenté par deux taxes applicables à SNCF Mobilités - la contribution de solidarité territoriale et la taxe sur le résultat des entreprises ferroviaires -. S'y ajoute une fraction de la taxe d'aménagement du territoire imposée aux sociétés concessionnaires d'autoroutes. Mais, en 2018, la contribution de la SNCF sera réduite, comme l'État s'y est engagé : elle passera de 316 à 242 millions d'euros. La fraction de la taxe d'aménagement du territoire revenant au compte d'affectation spéciale sera augmentée en conséquence.

La refonte de l'offre des trains d'équilibre du territoire était très attendue et va dans le sens suggéré par la Cour des comptes. Mais plusieurs points de vigilance demeurent. Tout d'abord, il est indispensable que l'État exerce pleinement son rôle d'autorité organisatrice et effectue un suivi des performances demandées à SNCF Mobilités. Si elles ne sont pas respectées, il devra en tirer les conséquences.

Ensuite, deux régions ne sont pas assurées que les engagements pris par l'État pour le renouvellement des matériels roulants seront respectés : les régions Centre-Val de Loire et Hauts de France, à qui l'État avait promis respectivement 480 et 250 millions d'euros au moment du transfert des lignes. D'après le ministère, la « confirmation précise » de ces crédits « dépendra des financements mobilisables sur le budget de l'Afitf », ce qui n'est pas très rassurant. Or, ces engagements faisaient partie des accords globaux par lesquels les régions ont accepté de récupérer des lignes. Sans ces nouveaux matériels, il sera impossible de les rendre attractives et leur déficit va se creuser, au préjudice des deux régions.

J'ai préparé cette intervention avant l'audition de la Ministre qui, tout à l'heure, s'est engagée sur le déblocage de ces crédits au début de l'année 2018. C'est une très bonne nouvelle : si la Ministre s'engage ainsi devant la représentation nationale, nous pouvons être rassurés sur ce point.

J'ai terminé la présentation des crédits et voudrais désormais aborder avec vous la question du fret ferroviaire. La Cour des comptes a récemment réalisé une série d'enquêtes sur l'activité de transport de marchandises du groupe SNCF, et adressé un référé à ce sujet aux ministres Nicolas Hulot et Élisabeth Borne. J'ai jugé intéressant de porter ce travail à votre connaissance, après avoir entendu deux magistrats de la Cour.

Au sein de SNCF Mobilités, l'activité « fret » est partagée entre Fret SNCF, qui est une composante de l'établissement public à caractère industriel et commercial SNCF Mobilités, et VFLI, une filiale de droit privé de SNCF Mobilités. Cette filiale a été créée en 2008 pour que l'entreprise puisse s'adapter au nouveau contexte de l'ouverture à la concurrence du fret, effective depuis 2006.

Après avoir bénéficié d'une recapitalisation de 1,4 milliard d'euros en 2005, Fret SNCF a fait l'objet d'un travail important de réorganisation : son personnel a quasiment été divisé par deux entre 2008 et 2015 ; une grande partie de son matériel roulant a été vendue ; et ses activités ont été rationalisées pour subir moins de pertes. Mais il reste très pénalisé par le coût et le régime de travail de ses personnels. Par rapport à un opérateur privé, le surcoût lié à l'organisation du temps de travail est de 20%, voire de 30% si l'on prend en compte l'absentéisme très élevé qu'il subit ! C'est colossal.

Ainsi, malgré les efforts évoqués plus haut, Fret SNCF a continué à perdre des parts de marché et accumulé les pertes, son endettement atteignant 4 milliards d'euros en 2014. Il n'est aujourd'hui toujours pas en mesure d'obtenir des résultats équilibrés. Dans ce contexte, la question d'une nouvelle recapitalisation risque de se poser. Pour obtenir l'autorisation de Bruxelles, il faudra au préalable que SNCF Mobilités améliore son référentiel comptable, pour éviter tout soupçon de financements croisés. Or, ce référentiel a été rejeté à deux reprises par l'Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières.

Dans tous les cas, l'État devrait imposer à Fret SNCF des gains significatifs de productivité. Or, dans le contrat pluriannuel signé avec SNCF Mobilités, les engagements pris dans ce domaine restent très généraux, sans indicateur de suivi.

À l'inverse, et cette fois-ci c'est une bonne nouvelle, la filiale de SNCF Mobilités VFLI a connu de très bons résultats, grâce à la souplesse de son offre et de son cadre social.

De façon plus générale, la Cour des comptes a relevé les incohérences de l'État dans le domaine du fret ferroviaire qui, s'il affirme régulièrement son soutien au fret ferroviaire, a pris plusieurs décisions qui le pénalisent fortement ces dernières années, comme l'abandon de l'écotaxe ou l'autorisation de circulation donnée aux poids lourds de 44 tonnes. Plus récemment, les négociations sur le cadre social commun prévu par la loi de réforme ferroviaire d'août 2014 ont alourdi les contraintes des opérateurs privés, ce qui a encore augmenté leurs coûts. La situation est pire pour Fret SNCF, dont le régime de travail a été rigidifié, alors que c'était l'inverse qui était recherché.

Il faut également signaler qu'à l'avenir, les entreprises de fret seront confrontées à une augmentation des péages, qui sont aujourd'hui sous-évalués par rapport à ce que prévoit le droit européen. Une partie de cette augmentation dépendra de l'amélioration de la qualité des sillons proposée par SNCF Réseau. L'activité de fret est en effet la première impactée lorsque le gestionnaire de réseau réalise des travaux ou annule des sillons.

Pour l'instant, l'État prend en charge une partie de ces péages, par la « compensation fret », qui représentera 79 millions d'euros en 2018. Mais cette compensation devrait progressivement diminuer. L'équation deviendra donc de plus en plus compliquée pour le fret, si l'on n'élabore pas de stratégie globale pour le défendre face à la route.

Je vous rappelle enfin que nous devrons traiter un sujet majeur l'année prochaine : l'ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de voyageurs. Comme vous le savez, notre Président a déposé une proposition de loi, avec notre ancien collègue Louis Nègre, pour accélérer la mise en oeuvre de cette réforme. Les TER et TET devront en effet être ouverts à la concurrence à partir du 3 décembre 2019, et les TGV à partir de décembre 2020, ce qui suppose l'adoption d'une loi dès l'année prochaine. L'étude sur le fret que je viens de vous exposer démontre les gains de productivité que nous pouvons attendre d'une telle réforme. Il nous reviendra donc de suivre avec attention le résultat de la mission confiée à Jean-Cyril Spinetta, et de veiller à ce que le cadre juridique de cette réforme soit correctement défini, pour garantir les conditions d'une concurrence effective, libre et loyale entre les différents opérateurs.

Pour conclure, le budget proposé pour 2018 comporte des éléments positifs, comme l'augmentation du budget de l'Afitf - même s'il faut garder en tête qu'elle ne lève pas tous les doutes sur la soutenabilité financière de l'agence, et que l'agence devra continuer en 2018 à retarder certains engagements ou certains paiements, comme les années précédentes.

Ces sujets seront néanmoins bientôt abordés dans le cadre de la loi sur les mobilités annoncée par le Gouvernement. Cette loi doit permettre de repenser la stratégie de notre pays en matière d'infrastructures de transport, dans un cadre pluriannuel et en accord avec le Parlement. C'est une démarche que je soutiens, car nous ne pouvons plus continuer, comme par le passé, à promettre la réalisation de projets sans avoir vérifié leur faisabilité financière. Nous examinons donc cette année un budget de transition.

J'ai par ailleurs été rassuré par la Ministre sur le respect de l'engagement de l'État concernant le renouvellement des trains d'équilibre du territoire en Centre-Val de Loire et dans les Hauts-de-France.

Je vous propose donc d'émettre un avis favorable à l'adoption de ces crédits.

De grands chantiers nous attendent, et la Ministre a montré sa volonté d'associer le Parlement. Nous sommes trois sénateurs à siéger au Conseil d'orientation des infrastructures, avec notamment le Président Maurey. La démarche va dans le bon sens et fait montre de pragmatisme. Nous ne pouvons plus continuer à faire des annonces, qui certes font plaisir, mais ne sont pas soutenables sur le plan financier.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion