Intervention de Catherine Deroche

Commission des affaires sociales — Réunion du 8 novembre 2017 à 9h05
Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 — Examen du rapport

Photo de Catherine DerocheCatherine Deroche, rapporteure pour l'assurance maladie :

La branche maladie représente près de 200 milliards, soit plus de 50 % des dépenses du régime général depuis la mise en place de la protection universelle maladie en 2016. Elle supporte également une part désormais prépondérante du déficit des comptes sociaux. Si le solde de la branche s'est amélioré en 2016, il n'a pas encore retrouvé son niveau d'avant-crise de 2008 : hors produit exceptionnel de CSG, le déficit de l'assurance maladie est de 5,5 milliards, soit un niveau proche de celui de 2015 ou de 2012. L'amélioration devrait se poursuivre en 2017, au prix, pour partie, de la mobilisation de recettes non pérennes : le déficit serait de 4,1 milliards, supérieur à la cible visée l'an passé par le précédent gouvernement ; l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) voté l'an dernier serait tenu, au moyen d'une régulation malheureusement habituelle sur les crédits des établissements de santé ou médico-sociaux.

En ce qui concerne l'assurance maladie, nous sommes tous les ans face à une équation complexe : comment contenir la dynamique de la dépense de santé dans un cadre soutenable pour nos finances publiques ? Le PLFSS s'inscrit dans une forme de continuité tout en montrant, il faut le souligner, des signaux positifs. Il laisse nombre d'acteurs du monde de la santé que j'ai pu auditionner assez interrogatifs, tant les attentes sont fortes.

Dans le contexte esquissé, la trajectoire de retour à l'équilibre de l'assurance maladie dans laquelle s'inscrit le PLFSS est un objectif exigeant que nous ne pouvons que soutenir.

Pour 2018, l'Ondam progresse de 2,3 %, soit un taux facialement un peu plus élevé que celui voté les trois années précédentes. Le niveau d'économies attendu est aussi inédit, à près de 4,2 milliards, en raison d'un tendanciel de dépenses évalué à 4,5 %, contre 4,3 % en 2017. La dynamique des soins de ville portée par les récents accords conventionnels en explique une part importante : l'impact de la convention médicale de 2016 est évalué à 460 millions.

Ces données sont à prendre avec un certain recul. D'une part, le tendanciel des dépenses est peu étayé, nous le regrettons chaque année ; d'autre part, les économies attendues sont peu documentées et la notion même d'économies est discutable. Parmi les plus de 4 milliards d'efforts demandés à l'assurance maladie, nous trouvons des biais habituels de présentation : cela inclut par exemple pour 2018 le relèvement du forfait hospitalier, bienvenu pour les hôpitaux mais qui ne constitue en rien une économie structurelle. Déduction faite des mesures de périmètre, l'effort peut être réévalué à 3,4 milliards, contre 3 milliards à même périmètre l'an dernier, ce qui reste exigeant.

Les hypothèses de retour à l'équilibre, avec un déficit cible de 800 millions en 2018 - niveau jamais atteint depuis 1999 - et un excédent dès 2019, reposent sur des transferts de recettes et ne résultent pas seulement d'un effort structurel de maîtrise des dépenses. Néanmoins, dans la durée, un tel effort ne peut reposer exclusivement sur de simples ajustements. Chacun en convient. Or, si le PLFSS esquisse des évolutions qui vont dans le bon sens, il reporte encore des choix stratégiques qui seront inéluctables.

Sans engager des évolutions fortes, le PLFSS met l'accent, de façon positive, sur la prévention, l'innovation et la pertinence des soins. Ces avancées devront encore, sur certains sujets, se confronter à l'épreuve des faits. Après un examen constructif, je ne vous proposerai pas de bouleverser l'économie générale du texte dont le contenu a été peu modifié par l'Assemblée nationale. Je vous ferai toutefois des propositions pour en améliorer l'équilibre.

L'accent porté sur la prévention est un réel motif de satisfaction. L'article 34 étend l'obligation vaccinale pour les enfants nés à compter du 1er janvier 2018 de trois à onze vaccins, en y intégrant ceux qui sont aujourd'hui simplement recommandés. À l'heure où nous assistons à la résurgence d'épidémies en raison d'une couverture vaccinale trop faible, cette mesure me paraît nécessaire. Il faut rappeler que la vaccination constitue un atout majeur pour la protection de la santé au plan à la fois individuel et collectif. L'article 34 bis prévoit la prise en charge intégrale par l'assurance maladie d'une consultation de prévention du cancer du sein et du cancer du col de l'utérus pour les assurées de 25 ans. Cela permettra de sensibiliser les jeunes femmes au dépistage précoce.

L'innovation constitue, en affichage, un autre message fort.

L'article 35 crée un cadre général et large d'expérimentations, ayant vocation à englober des initiatives éparses et sans réel pilotage. L'objectif est double : faire émerger des organisations innovantes et inciter à un recours plus pertinent aux produits de santé. Sont notamment envisagés une prise en charge globale des patients pour une séquence de soins, avec un paiement forfaitisé englobant par exemple l'amont et l'aval d'une intervention chirurgicale, ou encore des modes de rémunération ou d'intéressement collectif.

Notre commission a maintes fois étayé le constat de départ, qui est que le fonctionnement en silos de notre système de soins, la prévalence d'une rémunération à l'acte ou à l'activité, n'incitent pas au décloisonnement des acteurs dans une logique de parcours de santé, essentielle pour prendre en charge les pathologies chroniques ou améliorer l'accès aux soins dans les territoires. Les verrous administratifs sont, nous le voyons sur le terrain, un frein aux initiatives dès qu'elles sortent des cadres classiques. Le directeur général de la Cnam, lors de son audition, nous a invités à faire le pari d'un cadre expérimental large. C'est en effet un pari, celui de la souplesse et de la réactivité, alors que des expérimentations votées il y a plusieurs années ne sont toujours pas opérationnelles ; celui aussi de la confiance aux acteurs de terrain.

Tout en soutenant cette opportunité de faire bouger des lignes, je vous proposerai, par plusieurs amendements, d'en assouplir le champ et d'en préciser les conditions de pilotage, notamment en y associant les acteurs locaux.

Sur le même thème de l'innovation, l'article 36 ouvre la voie, il faut le souhaiter, à un réel déploiement de la télémédecine que l'expérimentation ouverte par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2014 n'a pas favorisé. Les actes de téléconsultation et de téléexpertise pourront être tarifés selon le droit commun ; les modalités seront arrêtées par les partenaires conventionnels. L'expérimentation se poursuivra sur le seul champ de la télésurveillance - on peut le regretter ; toutefois, ce sujet est moins mature et pose des questions complexes de financement de dispositifs médicaux innovants ; sans être encore opérationnelles, les expérimentations ont paradoxalement le plus progressé sur ce champ. Nous ne pouvons que soutenir une évolution demandée par notre commission dans plusieurs rapports, récemment celui de nos collègues Jean-Noël Cardoux et Yves Daudigny sur les zones sous-dotées. Je souhaite que dans le cadre du grand plan d'investissement, les professionnels de santé bénéficient d'un accompagnement au déploiement de la télémédecine, en termes d'équipement notamment.

L'article 37 s'inscrit dans le même objectif de promouvoir, ou en tous cas de ne pas entraver l'innovation, sur un plan cette fois plus procédural. Il propose une procédure accélérée d'inscription des actes à la nomenclature permettant, au terme d'un délai de onze mois et de manière transitoire, de contourner les commissions de hiérarchisation des actes et prestations (CHAP) au sein desquelles sont représentés les professionnels de santé. Il s'agit ainsi d'éviter les situations de blocage qui conduisent à ce que l'inscription de nouveaux actes à la nomenclature soit indéfiniment retardée. On nous a ainsi cité le cas de la photothérapie dynamique, dont l'inscription a pris sept ans. L'Assemblée nationale a supprimé ce dispositif au motif qu'il ne serait pas respectueux de la compétence des professionnels de santé. Pour ma part, je considère que les modalités proposées permettent de trouver une voie équilibrée entre l'association des professionnels et la garantie d'un accès rapide des patients aux actes nouveaux. Je vous proposerai cependant de prolonger le délai proposé pour la consultation des Chap en cas de difficultés particulières.

Sur la même thématique de l'innovation, si la question des autorisations temporaires d'utilisation (ATU) n'est pas présente dans le texte, elle a été largement évoquée lors des auditions que j'ai conduites. Du fait des règles de recevabilité financière des amendements, il ne nous est malheureusement pas possible de proposer certaines mesures fortement appelées par les professionnels médicaux, comme par exemple l'adaptation de la procédure d'ATU aux simples extensions d'indication. Je vous proposerai toutefois un autre amendement plus technique sur cette question.

Un autre volet du PLFSS traduit une plus forte promotion de la pertinence des soins dans un enjeu de maîtrise de la dépense.

L'article 39 institue un intéressement à la qualité des soins pour les établissements de santé. On peut cependant regretter en pratique que, dans certaines régions, les contrats d'amélioration de la qualité et de l'efficience des soins (Caqes) sur lesquels repose cette procédure créent plus de contraintes que de simplifications, en imposant parfois le suivi de plus de 150 indicateurs. Je vous ferai une proposition non pour revenir sur le principe de l'intéressement, mais pour permettre à la contractualisation de se dérouler dans des conditions plus sereines pour les établissements.

Le texte porte par ailleurs des mesures particulièrement ambitieuses s'agissant de la régulation du secteur des dispositifs médicaux, jusqu'ici très en-deçà de celle existant pour les médicaments. L'article 41 propose ainsi de renforcer considérablement la régulation économique portant à la fois sur les prix, les tarifs et les volumes des dispositifs médicaux, en parallèle d'importantes évolutions portant sur le régime de certification du secteur, portées par l'article 40. Ces dispositions me paraissent cependant trop ambitieuses au regard de la structuration actuelle de ce secteur économique, qui repose principalement sur des petites entreprises réalisant de faibles gains marginaux, et dont les produits sont utilisés par les acteurs de l'aide à domicile. Je vous proposerai donc de les adapter en partie.

Dans le même objectif de régulation des dépenses, des évolutions portent sur les procédures de demande d'accord préalable (article 42), ou celle de mise sous objectif étendue à l'ensemble des professionnels de santé prescripteurs (article 43). Je proposerai d'entourer de garanties suffisantes les nouvelles justifications de recours à l'accord préalable prévues pour les prestations coûteuses.

L'article 47 propose enfin de reporter de sept mois l'application de la réforme de la prise en charge financière des transports inter-établissements, qui doit être confiée aux établissements eux-mêmes afin de les inciter à une gestion plus efficiente de ce poste de dépenses. Mes auditions m'ayant permis de constater que les conditions ne sont pas réunies pour une application sereine de cette réforme, je vous proposerai de la reporter une nouvelle fois afin de laisser toute sa place à la concertation.

Des mesures plus ponctuelles portent sur la facturation directe des établissements de santé (article 45), toujours en voie de généralisation depuis 2004, sur la suppression de la dégressivité tarifaire dans les établissements de santé (article 46), ou la réforme du financement des SSR (article 48) dont la période transitoire est prolongée pour des raisons techniques.

Sur un tout autre sujet, l'article 44 vise à reporter l'entrée en vigueur des dispositions du règlement arbitral dentaire relatives au plafonnement des soins prothétiques et à la revalorisation des soins conservateurs. Je vous rappelle que nous nous étions opposés, l'année dernière, à la mise en oeuvre de ce règlement arbitral, dans la mesure où il portait sur un avenant à la convention, et non sur la convention elle-même : nous avions estimé que cela revenait à modifier les règles de la négociation conventionnelle en cours de partie.

Notre commission a régulièrement l'occasion de rappeler son attachement à la voie conventionnelle ; il apparaît toujours contre-productif de contourner, pour l'adoption d'une réforme, les professionnels qui seront ensuite chargés de sa mise en oeuvre. La suite des événements ne nous a pas donné tort : du fait de l'opposition toujours extrêmement forte des professionnels, il est aujourd'hui impossible de faire appliquer immédiatement les mesures tarifaires les plus sensibles prévues par ce règlement. Il me semble cependant qu'il est malheureusement trop tard pour faire marche arrière, dans la mesure où plusieurs des dispositions du règlement arbitral sont d'ores et déjà en application, notamment celles portant sur la prise en charge des soins pour les publics fragiles. Nous devrons cependant rester très attentifs à ce que les engagements pris par la ministre soient tenus dans le cadre de la nouvelle négociation engagée.

Je terminerai en abordant une évolution adoptée à l'Assemblée nationale, qui ne vous a pas échappé car elle traduit les récentes annonces de la ministre de la santé sur le tiers payant (article 44 bis). L'amendement du Gouvernement supprime sa généralisation au 30 novembre 2017, qualifiée d'irréaliste par l'inspection générale des affaires sociales (Igas) et à laquelle notre commission s'était opposée. Un rapport devra nous être présenté d'ici mars 2018 en vue de rendre le tiers payant intégral généralisable, dans des conditions techniques fiabilisées et après concertation. Je salue cette décision pragmatique. Nous resterons toutefois vigilants pour que le dispositif généralisable ne se transforme pas demain en obligation.

Sous réserve des amendements que je vous présenterai, je vous propose d'adopter ce projet de loi de financement en ce qui concerne la branche maladie.

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