Avant toute chose, permettez-moi de vous remercier, monsieur le président, de la confiance que vous m'avez accordée en me chargeant, alors que mon premier mandat sénatorial débute à peine, du rapport du secteur médico-social du PLFSS pour 2018. Ce secteur, que ne couvrent à proprement parler que les articles 50 et 50 bis du projet de loi, n'en représente pas moins des enjeux financiers et humains considérables, dont la portée semble en partie échapper aux décideurs publics et sur lesquels il me faut insister.
Si le secteur médico-social se fait en apparence discret, c'est qu'il n'est plus l'objet depuis bientôt deux ans de la réforme systémique dont il a pourtant grandement besoin. De PLFSS en PLFSS, c'est à des retouches successives et impressionnistes que le Gouvernement procède, nous livrant par morceaux la vision d'ensemble qu'il a du secteur et dont nous devinons les traits à grand-peine. La lisibilité de ces réformes en pâtit grandement, et les premières victimes en sont les familles dont un ou plusieurs membres sont pris en charge dans ces établissements ; les gestionnaires d'établissements, dont le rôle est pourtant déterminant dans la restructuration de l'offre ; ainsi que les conseils départementaux qui sont en première ligne de la prise en charge.
De cette absence d'appréhension d'ensemble, je voudrais vous exposer deux preuves principales, qui ont trait pour l'une au modèle financier de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA), et pour l'autre à la réforme tarifaire des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad).
Les chiffres, sur le papier, montrent des montants en progression sensible : l'Ondam médico-social, qui désigne la part des crédits de l'assurance-maladie consacrés au financement des établissements médico-sociaux, est annoncé en hausse de 2 % en 2018, à 20,5 milliards, avec près de 515 millions de mesures nouvelles, ventilées en créations de places et en soutien financier aux mutations actuellement en oeuvre dans le secteur. Ces chiffres ont le mérite d'afficher des ambitions plus modestes que celles, clairement irréalistes, qui vous avaient été exposées l'an dernier. Néanmoins, quel crédit accorder à ces prévisions, même modérées, quand celles de l'an dernier ont dû subir un rabotage de presque 240 millions ?
Plusieurs mouvements, vertueux, sont pourtant à l'oeuvre : les dotations de l'Ondam médico-social sont moins sollicitées au titre de la consolidation de l'Ondam strictement sanitaire, et les réserves de la CNSA ont été moins ponctionnées que prévu. Ce sont là deux bonnes nouvelles ; mais, toute mesure d'économie ayant son revers, ce sont les créations de places, dont de nombreuses familles continuent à nous faire remonter les manques criants, qui en ont subi les conséquences. Le nombre de personnes handicapées contraintes de quitter le territoire national pour aller trouver en Belgique la prise en charge que l'offre médico-sociale française ne peut leur fournir n'a pas connu la décélération promise par le gouvernement précédent.
À ce problème structurel, le remède ne peut être que structurel. Le modèle financier du principal financeur du secteur médico-social, la CNSA, doit être intégralement repensé. Ses réserves connaissent cette année une nouvelle baisse de presque 220 millions, et atteignent, à moins de 500 millions, un niveau qui s'épuisera rapidement si l'on ne cesse pas définitivement d'y recourir pour financer des actions sans rapport avec leur objet, comme on l'a trop vu par le passé. Je fais notamment référence au fonds d'appui destiné à épauler les départements dans le financement de leurs dépenses de RSA, abondé l'an dernier à hauteur de 50 millions.
Par ailleurs, est-il acceptable que les départements, qui participent aux côtés de la CNSA à la prise en charge des personnes âgées et des personnes handicapées, se trouvent dans l'impossibilité de consommer l'intégralité des crédits qui leur étaient attribués au titre de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) 2 ou de la conférence des financeurs, alors que leurs besoins financiers sont pourtant majeurs ? Le secteur médico-social n'est pas seulement menacé par le tarissement progressif de ses sources financières ; il l'est aussi par des cloisonnements excessifs et archaïques qui freinent les dynamiques nécessaires et obèrent les rapprochements et expérimentations possibles à l'échelle régionale.
Outre l'urgence de la réforme systémique de son modèle financier, le présent PLFSS intervient dans un contexte de grand émoi pour les Ehpad, qui ont dû encaisser le choc d'une importante réforme tarifaire depuis la promulgation de la loi relative à l'adaptation de la société au vieillissement. Si la revalorisation des crédits médicalisés s'est faite sans trop de heurts, la redéfinition de la dotation à l'autonomie par l'introduction d'un point groupe iso-ressources (GIR) départemental n'a pas manqué de soulever, de la part de nos Ehpad publics qui s'en sont estimés les grands perdants, de nombreuses protestations. À ce stade, chers collègues, je dois vous avouer que la lumière n'est toujours pas faite sur cette affaire, contrairement à ce qu'affirment conjointement le ministère et l'administration.
Il n'est pas question de remettre en cause le caractère nécessaire de la réforme tarifaire des Ehpad. Le secteur médico-social devra s'adapter à une évolution comparable à celle que le secteur sanitaire a vécue lors de l'introduction de la tarification à l'activité ; il n'est plus possible de faire reposer le financement d'une prise en charge que de plus en plus de nos concitoyens solliciteront sur la seule logique de la reconduction des dotations historiques. Néanmoins, l'introduction du point GIR départemental pose la question cruciale de l'égalité territoriale de la réponse des pouvoirs publics face à la perte de l'autonomie. Est-il acceptable qu'une personne, à même degré de dépendance, soit presque deux fois mieux couverte en Corse du Sud que dans les Alpes-Maritimes ? L'écart entre Corse du Sud et Haute-Corse varie aussi presque du simple au double. Même si la libre administration des collectivités territoriales est essentielle, de tels écarts sont peu compréhensibles. Nous ne faisons pas là qu'interroger les incidences paramétriques d'une réforme technique, nous nous confrontons à l'un des plus grands défis qui a déjà commencé à se poser à nous, celui de la place et de l'aide que notre société entend réserver aux personnes vieillissantes.
Un autre risque, de plus court terme, est soulevé par cette réforme tarifaire. Inversement à ce que prétendent les Ehpad publics, le ministère et la direction générale de la cohésion sociale (DGCS) affirment que les perdants à la réforme ne représentent qu'un peu moins de 3 % des établissements et qu'ils ne manqueront pas de se voir compenser ce manque à gagner. Il semble pourtant que la méthodologie qui a conduit cette enquête présente quelques faiblesses, jetant ainsi le doute sur la réalité du nombre et du statut des Ehpad pénalisés par le nouveau forfait global dépendance. Nous devons par conséquent rester très vigilants : un Ehpad public dont les financements sont menacés n'aurait pas d'autre recours pour soutenir son budget que de réduire ses places habilitées à l'aide sociale. Si les effets collatéraux de cette réforme ne sont pas rigoureusement objectivés, nous exposons les résidents modestes de ces établissements à une augmentation intolérable de leur reste à charge.
Ainsi, les défis sont de taille. Nous devons veiller aux effets potentiellement néfastes de la réforme tarifaire des Ehpad, nous aurons à nous pencher dans les prochaines années sur la réforme tarifaire des établissements chargés de la prise en charge du handicap, lourde d'enjeux et nous devrons maintenir l'alerte sur le modèle du financement de la perte d'autonomie, dont la viabilité se trouve aujourd'hui menacée.