Pour comprendre tout l'intérêt du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 en matière de retraite, un retour sur le discours tenu par le précédent gouvernement s'impose. En octobre 2016, la ministre Marisol Touraine affirmait que le « régime des retraites était excédentaire » et qu'il le serait « pour plusieurs décennies ».
Elle appuyait son raisonnement sur les perspectives pluriannuelles 2017-2020 contenues dans le PLFSS pour 2017, au terme desquelles la branche vieillesse, soit le régime de base et le fonds de solidarité vieillesse, devait revenir à l'équilibre en 2020, dégageant même un excédent de 400 millions.
Ce PLFSS pour 2018 confirme les réserves qu'exprimait, l'année dernière, mon prédécesseur au rapport de l'assurance vieillesse, Gérard Roche, que je veux saluer. En révélant le tour de passe-passe comptable opéré par le précédent gouvernement dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2017, il remet en effet les pendules à l'heure, s'agissant des perspectives de court-terme pour la branche vieillesse.
Reprenant sa trajectoire figurant dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2016, le solde de la branche vieillesse recommence à se dégrader en 2017 et devrait afficher un déficit de 2,1 milliards. Ce déficit, contrairement à ce qui figure dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2017, continuera à se creuser jusqu'en 2021 pour atteindre le montant de 4,7 milliards. On est loin du retour à l'équilibre promis l'année dernière pour 2020.
Que s'est-il passé ? La Cour des comptes nous l'a expliqué lors de la présentation de son rapport sur la sécurité sociale : le gouvernement précédent avait l'an dernier intégré dans le solde de la branche vieillesse des transferts financiers destinés aux autres branches de la sécurité sociale. Ce tour de passe-passe comptable de près de 3 milliards a donc fait apparaître sous un jour beaucoup plus favorable la situation financière de la branche vieillesse. La critique de la Cour des comptes, lors de la remise de son audit sur les finances publiques en juin dernier, quant à l'insincérité des textes financiers pour l'année 2017 trouve, avec la branche vieillesse, une illustration concrète.
S'agissant des perspectives à plus long terme, à l'horizon 2040, le Conseil d'orientation des retraites, le COR, a lui aussi remis les pendules à l'heure. Comme notre rapport l'explique en détail, celui-ci a mené cette année un nouvel exercice complet de projections, dont les déterminants n'avaient pas été modifiés depuis 2012. Les évolutions démographiques et le retard pris par l'économie française pour retrouver son sentier de croissance d'avant la crise ont pour conséquence de dégrader les perspectives financières du système de retraites dans son ensemble : régimes de base, régimes complémentaires et fonds de solidarité vieillesse. Sa conclusion est claire : quel que soit le scénario de productivité du travail et de chômage, l'équilibre financier du système des retraites ne sera pas assuré avant 2040, alors qu'il devait l'être à partir de 2024-2025 selon les dernières prévisions datant de 2016.
Remise des pendules à l'heure également cette année, s'agissant du coût de certains dispositifs, en particulier celui de la retraite anticipée pour carrière longue. Ce dernier, qui permet à toute personne ayant cotisé durant le nombre de trimestres requis pour l'obtention du taux plein de partir à la retraite avant 62 ans, a été élargi en 2012 à toute personne ayant cotisé au moins un trimestre avant l'âge de 20 ans. Notre commission dit depuis trois ans que ce dispositif, créé par la réforme Fillon de 2010, a été élargi de façon déraisonnable. Pour la première fois cette année, la commission des comptes de la sécurité sociale en a présenté le coût, tous régimes de base confondus : il s'élève pour l'année 2017, où il atteindra son pic, à 6,2 milliards avec 300 000 départs anticipés dans le seul régime général sur les 625 000 départs à la retraite enregistrés cette année. Entre 2015 et 2018, il générera une dépense tous régimes confondus de près de 23 milliards.
Alors que s'achève, en 2017, le recul de l'âge minimum légal à 62 ans, prévu dans la réforme de 2010, la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques a communiqué cette année l'économie globale qui en résulte tous régimes confondus : 10 milliards depuis 2011. Au total, l'effet de cette réforme courageuse a vraisemblablement été près de deux fois compensé par le décret de 2012 sur la retraite anticipée.
Remise à l'heure des pendules enfin par le Comité de suivi des retraites. Pour la première fois depuis sa création, ce comité, réputé pour sa prudence, a formulé une recommandation au Gouvernement. Celui-ci devrait prendre « les mesures nécessaires, afin de ramener le système de retraite sur une trajectoire d'équilibre ». Le Gouvernement est tenu de répondre à cette recommandation, mais force est de constater qu'il n'a pas saisi l'occasion de ce PLFSS pour le faire. En matière de retraite, ce texte apparaît d'ailleurs comme un texte d'attente de la future réforme systémique promise par le Président de la République pendant sa campagne.
Il contient néanmoins certaines inflexions qu'il me paraît important de mettre à jour et qui ne sont pas sans inquiéter quant à la politique du nouveau gouvernement s'agissant des retraites.
Ma première source d'inquiétudes concerne le Fonds de solidarité vieillesse, dont notre commission suit avec attention les évolutions depuis le rapport de Gérard Roche et Catherine Génisson. Son déficit devrait atteindre 3,6 milliards en 2017, soit le même montant qu'en 2016, avant de s'engager en 2018 dans une première baisse qui pourrait le conduire à 800 millions en 2021. Le creusement du déficit de la branche vieillesse, dans le même temps, sera donc le fait des régimes de base et non plus du FSV, ce qui est un retournement de situation par rapport à ce que nous observons depuis 2012.
Cette inversion des courbes tient principalement à la décision prise l'année dernière - issue d'une proposition du rapport de la mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale du Sénat - de ne plus faire financer le minimum contributif par l'intermédiaire du fonds, mais directement par les régimes de base.
Deux décisions contenues dans ce PLFSS montrent toutefois que le nouveau gouvernement, comme son prédécesseur, semble s'accommoder du déficit du FSV.
La suppression, à l'article 18, de l'affectation au Fonds du prélèvement de solidarité sur les revenus du capital, entraîne une diminution de 2,6 milliards de ses recettes. Dans le même temps, la hausse des taux de CSG sur les revenus du capital entraîne une augmentation des recettes du FSV de 2,1 milliards. Les recettes du FSV connaissent cependant une baisse nette de 500 millions.
En ce qui concerne les dépenses, la revalorisation du minimum vieillesse de 803 aujourd'hui à 903 euros pour une personne seule en 2020 conduira à cette échéance à une augmentation de plus de 500 millions des charges du FSV. Or aucune recette ne lui a été affectée pour compenser cette hausse, qui est donc financée par une augmentation du déficit du Fonds. Je regrette que l'une des principales promesses de campagne du président de la République, portant sur l'augmentation du pouvoir d'achat des retraités les plus modestes, ne soit pas financée.
Avec ces deux dispositions, le Gouvernement s'inscrit donc dans la continuité de son prédécesseur, utilisant le FSV comme agent de trésorerie des régimes de base et non comme outil de clarification des circuits de financement de la solidarité dans la branche vieillesse, ce qui est pourtant son objet. En attendant, la dette du Fonds, portée par l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss), depuis qu'elle ne peut plus être reprise par la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades), se creuse : elle atteindra 11 milliards fin 2018 et plus de 15 milliards en 2021.
Ma seconde source d'inquiétude tient à la situation des personnes retraitées, dont je crains qu'elle ne se dégrade sous ce quinquennat. Je ne reviens pas sur la décision d'augmenter le taux de CSG sur les retraites sans compensation directe, contrairement à tous les autres contribuables. Celle-ci fait peser une charge supplémentaire de 4,5 milliards sur les retraités. L'article 29 du PLFSS propose également de reculer la date de revalorisation des pensions de base du 1er octobre au 1er janvier. Alors qu'elles n'avaient pas été revalorisées en 2016, et très faiblement au 1er octobre dernier, les pensions vont donc connaître en 2018 une nouvelle année blanche, entraînant une diminution de 340 millions du volume de pensions servies par les régimes de base.
L'orientation prise dans ce PLFSS augure-t-elle des choix qui seront faits dans les prochains mois concernant la réforme systémique des retraites ?Pendant la campagne, le Président de la République avait considéré que les retraites ne constituaient plus un problème financier et que la réforme proposée ne visait pas à la couverture de besoins de financement. La révision des perspectives financières à court et moyen terne bouleverse la donne. Que vaudra, dans ce contexte, sa promesse de ne pas modifier l'âge minimum légal de départ à la retraite ? Aucune piste sérieuse d'ajustement n'a pour l'instant été esquissée. La nomination en septembre dernier de notre ancien collègue, Jean-Paul Delevoye, comme haut-commissaire chargé de la réforme des retraites va permettre d'engager désormais rapidement les travaux de concertation avec les partenaires sociaux. Nous le rencontrons d'ailleurs demain après-midi.
Je souhaite que le Sénat prenne toute sa place dans ce processus de réforme et que nous puissions étudier, dans le cadre de la Mecss, les voies de réussite d'une telle réforme systémique que notre commission appelle de ses voeux depuis plus de dix ans. L'année 2018 sera donc importante pour l'avenir de nos retraites. Je me félicite que le contexte de présentation de ce PLFSS pour 2018 permette de rétablir la réalité du défi financier qui est devant nous.