Je souhaiterais tout d'abord revenir sur la trajectoire financière de notre aide publique au développement pour les prochaines années.
Au cours de l'été, le Président de la République a annoncé une remontée à 0,55% du RNB au terme du quinquennat. Ceci nous replacerait dans la situation de 1995, année depuis laquelle notre APD a régulièrement régressé en part du RNB. Nous ne pouvons que saluer cette annonce.
Une telle progression suppose à la fois une hausse des crédits budgétaires et une augmentation des prêts de l'AFD.
S'agissant du premier point, le projet de loi de programmation des finances publiques en cours d'examen prévoit une croissance de plus de 16% des crédits de l'APD pour 2018-2020. Nous serons naturellement très attentifs à l'effectivité de cette hausse pour les budgets à venir. Surtout après les annulations de crédit de juillet dernier!
Et en tout état de cause, il faudra cependant jouer à plein sur l'effet de levier des crédits budgétaires pour atteindre l'objectif. D'une part, les crédits affectés aux dons engagés par l'AFD permettent en effet de mobiliser d'autres financements européens ou en provenance des fonds multilatéraux. D'autre part, les crédits de bonification permettent à l'agence d'augmenter ses prêts.
La question est de savoir si les moyens dont disposera l'AFD à partir de l'année prochaine selon le PLF 2018 sont suffisants pour initier cet effet de levier ?
Ces moyens sont certes en hausse. Les autorisations d'engagement pour les dons de l'AFD augmentent ainsi de 67 millions d'euros et les bonifications pour les prêts de 55 millions d'euros, tandis que la ressource à condition spéciale, les prêts du Trésor à l'AFD sur compte spécial, est abondée de 25 millions d'euros supplémentaires. Il s'agit de progressions significatives.
Toutefois, d'une part, ces hausses ne compensent pas l'annulation de crédits budgétaires effectuée en cours d'été. L'AFD a ainsi subi une coupe de 136 millions d'euros en AE et de 118 millions d'euros en CP !
D'autre part, la progression prévue en 2018 semble bel et bien insuffisante pour aller vers les 0,55% du RNB à l'horizon 2022 : objectif qui supposerait en effet une augmentation totale d'environ 1 milliard d'euros d'APD supplémentaire chaque année, avec une hypothèse de croissance du PIB de 1,7%.
Une fois ce constat fait, quelques remarques.
D'abord, seule la pérennisation de l'affectation de 270 millions d'euros en provenance de la TTF à l'AFD, pour renforcer ses dons, lui permettra d'accroître substantiellement son effort financier. C'est le sens de l'amendement adopté par les députés, qui va à l'encontre de l'affectation, par le projet de loi initial, de cette somme au Fonds de solidarité pour le développement (le FSD), celui-ci ayant vocation à financer l'aide multilatérale. Il me semble que cette réorientation de l'aide vers le bilatéral va dans le bon sens. Pour autant, le regroupement d'associations de développement « Coordination Sud », que nous avons auditionné, préconise d'aller au-delà et d'affecter l'intégralité de la TTF à l'aide au développement pour réellement atteindre l'objectif fixé : ce serait certainement une des solutions à retenir pour augmenter de manière significative l'aide publique au développement à partir de 2019.
Deuxième remarque : comme l'a indiqué le directeur général de l'AFD, Rémi Rioux, lors de son audition, l'année 2018 peut être mise à profit par l'agence pour se mettre en ordre de bataille. En effet, au-delà de la vision purement financière, l'AFD est bien l'opérateur qui élabore les projets et en suit la mise en oeuvre. C'est dire que pour ajouter plusieurs milliards d'euros d'engagements d'ici 2020 dont une grande partie en dons, il est nécessaire de réaliser au préalable un énorme travail de repérage, de préparation et d'élaboration de ces projets. Le relatif désengagement observé ces dernières années en matière d'éducation par exemple, que notre collègue Hélène Conway-Mouret avait à juste titre souligné l'année dernière, ou encore en matière d'agriculture, suppose une remontée en puissance et une appropriation des pratiques les plus novatrices.
Troisième remarque : il sera malgré tout sans doute nécessaire de revoir à la hausse la trajectoire financière de l'AFD pour atteindre cet objectif des 0,55% en prévoyant un apport aussi rapide que possible en nouvelles autorisations d'engagement.
Je souhaiterais également évoquer les activités de Proparco, la filiale de l'AFD qui se consacre au soutien du secteur privé dans les pays en voie de développement. Cette activité revêt à mon sens une importance essentielle dans la mesure où notre aide ne peut avoir un effet d'entraînement sur le développement économique que si elle dynamise directement les entreprises, en particulier les PME locales, mais également les petites entreprises françaises qui apportent sur place une expertise unique, notamment en matière d'énergies renouvelables.
En 2016, Proparco a autorisé 84 nouveaux concours pour un montant total de 1,3 milliard d'euros. En décembre 2016, cet organisme s'est fixé comme objectif de doubler ses engagements annuels par rapport à 2015, pour passer à 2 milliards d'euros, et de tripler ses impacts en faveur du développement durable d'ici 2020.
Notons que dans un rapport du 30 octobre dernier, l'ONG Oxfam salue l'engagement de l'AFD et de Proparco en Afrique subsaharienne dans le domaine de l'accès à l'énergie, mais regrette toutefois que les financements de ces organismes restent majoritairement orientés vers les grandes infrastructures centralisées, qui ne peuvent être mises en place que dans des pays possédant déjà une certaine richesse, et pas suffisamment vers les petites unités décentralisées qui constituent souvent la meilleure solution dans des pays très pauvres. C'est là un point sur lequel nous devons rester vigilants.
Il convient également de souligner un autre aspect positif de l'activité de Proparco : tout en étant bien dans ses priorités un organisme de développement au même titre que l'AFD, Proparco s'efforce davantage de favoriser l'investissement des entreprises françaises. Elle facilite pour ce faire les contacts entre entreprises françaises et entreprises locales et soutient les filiales locales d'entreprises françaises. Elle finance également des projets sur lesquels des fournisseurs français sont positionnés.
Enfin, j'évoquerai brièvement un autre enjeu actuel, le rapprochement de l'AFD avec la Caisse des dépôts et consignations (CDC). Ce rapprochement s'est en particulier traduit par la mise en place toute récente d'un véhicule d'investissement commun, doté de 600 millions d'euros, pour accompagner des projets d'infrastructures dans les pays en développement, et qui pourrait, par effet de levier, générer 8 milliards d'euros d'investissement. Il s'agit notamment, selon M. Rioux, de tenter de rattraper notre retard sur la Chine, qui s'est illustrée par la réalisation de nombreuses infrastructures lourdes en Afrique au cours des dernières années. Si nous ne pouvons qu'approuver cette orientation qui contribuera à rendre la France plus visible dans cette région du monde, il faut encore une fois souligner que la priorité reste de créer les conditions du développement dans les zones défavorisées par des projets d'une taille adaptée au contexte local. C'est là l'un des risques de la croissance rapide de l'AFD qui, tout en changeant d'échelle, doit conserver sa vocation initiale.
Il nous reviendra ainsi de nous assurer que l'agence continue à respecter cette équation complexe de notre politique de développement : tout à la fois oeuvrer pour faire sortir des populations de la pauvreté, agir conformément aux intérêts de la France, notamment au Sahel où nos armées sont engagées, et enfin promouvoir un développement durable conformément à l'accord de Paris de 2015.
Chers collègues, au vu de ces remarques, et singulièrement celle relative aux doutes sur la capacité de respecter la trajectoire budgétaire annoncée pour la mandature, je vous proposerai à titre personnel, dans un positionnement complémentaire avec celui de mon co-rapporteur, de nous abstenir sur ce budget, en signe de notre vigilance pour les années à venir.