Intervention de Gilbert-Luc Devinaz

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 8 novembre 2017 à 9h30
Projet de loi autorisant l'approbation de la convention d'entraide judiciaire en matière pénale entre le gouvernement de la république française et le gouvernement de la république algérienne démocratique et populaire — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Gilbert-Luc DevinazGilbert-Luc Devinaz, rapporteur :

Nous examinons aujourd'hui le projet de loi autorisant l'approbation de la convention d'entraide judiciaire en matière pénale entre la France et l'Algérie, qui a pour objet de rationnaliser et de moderniser le cadre actuel de la coopération judiciaire pénale bilatérale. Celle-ci repose toujours sur un protocole judiciaire de 1962 relatif à l'entraide judiciaire en matière civile et en matière pénale.

À titre liminaire, il convient de rappeler que La France et l'Algérie entretiennent des relations politiques et institutionnelles denses, manifestées notamment par la signature, en 2012, de la déclaration d'Alger sur l'amitié et la coopération. Cette coopération s'appuie sur le Comité intergouvernemental de haut niveau (CIHN) et le Comité mixte économique franco-algérien (COMEFA), qui se réunissent annuellement et ont permis la conclusion d'une série d'accords de coopération. Les liens humains sont également toujours forts. Fin 2015, 40 000 Français étaient inscrits au registre des Français établis hors de France en Algérie, dont plus de 90% étaient des binationaux franco-algériens et fin 2016, 600 000 Algériens étaient titulaires d'un titre valide de séjour en France.

Voyons tout d'abord le contexte de la négociation de cette convention, demandée par l'Algérie en 2007, sur la base d'un projet rédigé par la France. La coopération judiciaire en matière pénale avec l'Algérie, c'est-à-dire l'aide à la collecte de preuves destinées à être utilisées dans des affaires pénales transnationales, est très intense et les flux échangés sont parmi les plus importants entretenus avec les pays du continent africain - les premiers s'agissant des demandes reçues par la France et les seconds après le Maroc s'agissant des demandes transmises par la France. Ces échanges connaissent deux difficultés récurrentes, à savoir le maintien de la peine de mort dans le code pénal algérien, même si un moratoire sur les exécutions est en vigueur depuis 1993, et le fait que l'Algérie ne reconnaisse pas la binationalité, ce qui donne lieu à des refus d'exécution des demandes d'entraide de la part des autorités algériennes. Depuis 2010, 506 demandes d'entraide judiciaires ont été adressées par la France à l'Algérie, dont 136 sont toujours en cours. Le délai moyen d'exécution par l'Algérie - 12 mois environ - est relativement satisfaisant. Sur la même période, les autorités algériennes ont adressé à la France, 163 demandes d'entraide, dont 32 sont toujours en cours. Signe d'une coopération bilatérale étroite dans la lutte contre le terrorisme, les demandes visant des infractions terroristes représentent, de part et d'autre, le nombre élevé d'environ 10 %.

Passons maintenant au contenu de cette convention qui s'inspire largement des mécanismes de coopération existant au sein de l'Union européenne et dans le cadre du Conseil de l'Europe. Elle pose le principe standardisé de « l'entraide pénale la plus large possible » et interdit de refuser l'entraide au seul motif qu'elle se rapporte à une infraction fiscale ou en opposant le secret bancaire ou bien encore une compétence juridictionnelle concurrente, ce qui permettra de résoudre les difficultés liées à la double nationalité. Les motifs traditionnels de refus d'entraide sont conservés - infractions politiques, atteinte à la souveraineté, à la sécurité, l'ordre public et autres intérêts essentiels - et la France pourra ainsi la refuser dans un dossier, qui pourrait aboutir à une condamnation à mort en Algérie, en invoquant une atteinte à sa souveraineté et à son ordre public. La partie algérienne a réclamé deux stipulations : l'obligation de rédaction de la demande d'entraide dans les deux langues, sauf urgence, et la mise en place d'un dispositif, inspiré du protocole additionnel de 2015 à la convention franco-marocaine d'entraide judiciaire en matière pénale, dans le cas de l'exercice d'une compétence extraterritoriale. En ce qui concerne ce second point, qui était chacun s'en souvient le point sensible de la convention franco-marocaine, si par exemple, une procédure est engagée auprès d'un juge français par une personne qui n'a pas la nationalité française pour des faits commis par un Algérien en Algérie, la partie algérienne, une fois informée par la partie française, recueillera auprès de la partie française ses observations en vue de l'ouverture éventuelle d'une procédure judiciaire en Algérie. La partie française sera ensuite informée des suites de la procédure algérienne et appréciera alors les suites à donner à sa propre procédure. Ces échanges d'informations permettront d'assurer une conduite efficace des procédures, au regard notamment du principe de territorialité des poursuites, sans préjudice des règles applicables en matière de compétence quasi-universelle.

Si l'inspiration est la même, la rédaction de ces dispositions est très différentes de celles, homologues, du protocole signé avec le Maroc, car elles affirment beaucoup plus clairement que le juge français garde, dans tous les cas, la pleine maîtrise de la procédure, puisque c'est lui qui décidera de sa clôture ou non. Enfin, la présente convention permet aussi d'obtenir de très amples informations en matière bancaire, de recourir à des interceptions de télécommunications, ainsi qu'à des livraisons surveillées pour lutter contre les opérations de blanchiment d'argent et les trafics de stupéfiants. De plus, tenant compte des progrès techniques réalisés depuis 1962, elle prévoit l'audition par vidéoconférence des témoins, des experts et des parties civiles.

En conclusion, je recommande l'adoption de ce projet de loi, d'autant que la présente convention n'entraînera aucune modification des dispositions législatives ou règlementaires actuellement en vigueur. De plus, comme les chiffres cités l'ont montré, ce sont les autorités judiciaires françaises qui en bénéficieront le plus puisqu'elles formulent trois fois plus de demandes d'entraide judiciaire que les autorités algériennes.

L'examen en séance publique est prévu le jeudi 9 novembre 2017, selon la procédure simplifiée, ce à quoi je souscris. Ce texte sera alors définitivement adopté, puisque l'Assemblée nationale l'a déjà adopté, le 2 août dernier, également après un examen en procédure simplifiée.

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