Intervention de Yves Daudigny

Réunion du 13 novembre 2017 à 16h00
Financement de la sécurité sociale pour 2018 — Discussion générale

Photo de Yves DaudignyYves Daudigny :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, ce rendez-vous que constitue la première loi de financement de la sécurité sociale de la nouvelle législature était attendu. Quelle vision d’une sécurité sociale du XXIe siècle ? Quelles réponses apportées aux défis de notre système de santé : allongement de la vie, polypathologies, maladies chroniques, innovations médicamenteuses, inégalités territoriales et financières d’accès aux soins, culture de la prévention – quand 40 % des cancers, selon l’Institut national du cancer, pourraient être évités par des mesures alimentaires, comportementales et d’hygiène de vie –, soins dans la durée exigeant des interventions combinées de professionnels de santé ?

Une considération doit primer toutes les autres : la dimension humaine. Tel est l’héritage des ordonnances d’octobre 1945, le cœur de notre vivre ensemble, dont nous avons la responsabilité de maintenir les fondements de solidarité en leur donnant une efficience dans la réalité d’un monde ouvert à toutes les compétitions et où l’individualisme triomphe.

Madame la ministre, nous jugerons vos propositions sans a priori, en cohérence avec les valeurs que nous défendons, en premier lieu la justice sociale et la lutte contre les inégalités.

La pérennité de notre sécurité sociale repose sur notre responsabilité collective, celle des professionnels, celle des patients, des élus, à retrouver un équilibre financier, condition de la confiance de nos concitoyens en l’avenir, mais aussi enjeu de dignité et de responsabilité envers nos enfants et petits-enfants.

La sécurité sociale était excédentaire en 2001. Son déficit cumulé – régime général et fonds de solidarité vieillesse – a ensuite progressé jusqu’à 28 milliards d’euros en 2010. Il s’élèvera à 5, 2 milliards d’euros en 2017 et à 2, 2 milliards d’euros en 2018 avec, dans une conjoncture économique favorable, le retour à l’équilibre du régime général. Le déficit de la branche maladie, qui depuis 2001 fut supérieur à quatre reprises à 10 milliards d’euros, se réduit à 4, 1 milliards d’euros en 2017 et passera, selon les prévisions, à 800 millions d’euros en 2018.

J’ai une question précise, qui s’adresse plutôt au ministre du budget : quelle est la part, dans ce résultat, du surplus de recettes, évalué par certains à 3, 5 milliards d’euros, qui résulterait de l’écart entre la hausse de la CSG dès le 1er janvier prochain et les baisses de cotisations chômage et maladie ? Madame la ministre, du doute naît la suspicion : pouvez-vous nous éclairer précisément sur ce point ?

Si les déficits – ACOSS, dette restant à amortir par la CADES – représentent 140 milliards d’euros à la fin de 2017, la disparition de la dette sociale peut en effet être envisagée, à la condition, non satisfaite à ce jour, d’excédents à venir des branches ou de recettes nouvelles qui permettraient de couvrir 20 milliards d’euros de déficits cumulés de l’ACOSS. Prenons garde à la dangereuse illusion entretenue par les taux d’intérêt faibles ou même négatifs sur le court terme.

Madame la ministre, nous serons à vos côtés quand vous affirmerez la prévention, premier objectif de la stratégie nationale de santé.

L’article 11 porte l’obligation vaccinale à onze vaccins pour les enfants de moins de 24 mois. Quand une enquête réalisée dans soixante-sept pays en octobre 2016 classe la France championne du monde de la défiance vaccinale, quand des enfants meurent de la rougeole dans notre pays, il est rassurant que l’État prenne ses responsabilités. L’urgence sanitaire impose l’obligation.

En ce mois de novembre sans tabac, créé sur l’initiative de Marisol Touraine en 2016, une nouvelle étape est engagée dans la lutte contre la consommation du tabac, avec l’objectif d’un paquet de cigarettes à 10 euros en 2020. Les prix de vente sont fixés par les fabricants ; je reviendrai dans le cours du débat sur les modalités retenues. J’insiste sur trois points : l’accompagnement par des actions de communication en direction des jeunes avec leur langage, leurs codes ; l’évolution de la profession de buraliste qui structure nos territoires ; l’urgence, que vous avez évoquée tout à l’heure, de la lutte contre le commerce illicite de tabac en France, le plus important d’Europe, avec près de 9 milliards de cigarettes par an.

Une disposition module une taxe sur les boissons sucrées existant déjà afin de mieux lutter contre l’obésité infantile. L’accord sur cette mesure est assez large, même de la part des fabricants. Vous avez indiqué dans le débat, madame la ministre, que la disposition « vise non pas à gagner de l’argent sur la vente des boissons sucrées, mais à inciter les industriels à mettre moins de sucre dans les boissons ». Or il semble que les valeurs adoptées à l’Assemblée nationale conduisent à une forte augmentation du produit global de la taxe. Je défendrai donc un amendement dans l’esprit indiqué.

Je vous ai dit notre soutien, madame la ministre, j’en viens à notre opposition totale sur deux sujets emblématiques.

La CSG, créée par Michel Rocard, s’est appliquée au taux de 1, 1 % pour la première fois en 1991. Augmentée par les gouvernements Balladur, puis Juppé, devenue pour partie déductible, elle progressera en 1999 de 4, 1 points sous le gouvernement Jospin en contrepartie d’une baisse de 4, 75 points des cotisations maladie, mais à l’époque la hausse limitée à 2, 8 points pour les retraités était compensée totalement. L’idée était déjà de rendre du pouvoir d’achat aux salariés. Vous n’êtes pas dans cette continuité, vous n’y êtes pas en raison du transfert assumé entre les générations.

Une redistribution des ménages de plus de 60 ans vers les ménages de moins de 60 ans est-elle juste ? Peut-être l’est-elle au regard de données de l’INSEE ou d’économistes, mais encore faudrait-il juger de la limite de revenus choisie pour départager les retraités contributifs des autres.

Je vous le dis avec force, cette mesure est inacceptable, destructrice du pacte social, quand dans le même temps la suppression d’une partie de l’ISF et la mise en place de la flat tax allégeront de plusieurs milliards d’euros la contribution à la solidarité nationale des familles les plus aisées. Nous présenterons un amendement visant à supprimer cette disposition.

Nous soutiendrons de même un amendement de suppression de l’alinéa 6 de l’article 44 bis.

Madame la ministre, vous avez tort de supprimer le caractère obligatoire du tiers payant, qui va dans le sens de l’histoire. C’est un marqueur social répondant à une des difficultés d’accès aux soins.

Le rapport de l’IGAS est nuancé. Il sépare la part sécurité sociale de la part des complémentaires. La mise en place est techniquement réalisable à brève échéance pour la part sécurité sociale – 16, 50 euros sur une consultation de 25 euros. Or, après la décision du Conseil constitutionnel, seule cette part pouvait voir le tiers payant s’appliquer au 30 novembre. Il était possible d’avancer en deux temps, progressivement, sans bras de fer avec les médecins, puisqu’aucune sanction n’est prévue. Pour les familles modestes, ce n’est pas la même chose de payer 25 euros au lieu des 7, 50 euros de la part complémentaire. Madame la ministre, pouvez-vous nous préciser le calendrier après la remise du rapport ?

Dans la branche maladie, les articles 35 et 36 ouvrent un cadre général pour favoriser les expérimentations en matière d’organisation des soins, pour développer la télémédecine par le financement conventionnel de la téléexpertise et de la téléconsultation. J’en approuve la philosophie, même si des points doivent être précisés ou posent question, comme la composition et le rôle des comités stratégiques et techniques ou le montant alloué au fonds d’innovation. L’enjeu est bien de briser les rigidités, les cloisonnements existants, de remettre en cause le seul paiement à l’acte pour adopter des logiques de parcours ou de séquences de soins, de favoriser l’exercice collectif. Madame la ministre, pouvez-vous nous éclairer sur le lien – s’il y en a un, ce que je souhaite – des articles 35 et 36 avec les logiques de territoires déjà créées grâce aux équipes de soins primaires et aux communautés professionnelles territoriales de santé ?

J’évoquerai enfin trois sujets d’inquiétude.

Premièrement, l’hôpital public n’assure ses missions que grâce au formidable engagement et au total dévouement du personnel soignant – médecins, infirmiers, aides-soignants, personnels paramédicaux – auquel je rends hommage. Quand, chaque année, plus de dix millions de personnes se rendent aux urgences, à l’interface de la médecine et des maux de la société, il y a obligation à redonner du sens à l’hôpital public.

Deuxièmement, l’accès aux médicaments innovants, sujet que vous connaissez bien et que je développerai ultérieurement, pose problème. Je partage les inquiétudes qui ont été précédemment exposées.

Troisièmement, la situation de la santé scolaire est difficile. Une récente enquête indique que les secteurs varient de 1 000 à 46 500 élèves par médecin.

Je terminerai par un élément de contexte et en osant rapprocher deux rapports récents. L’un du FMI, intitulé Lutter contre les inégalités, qui établit un lien entre les investissements dans l’éducation et la santé, la lutte contre la pauvreté et une croissance durable et inclusive ; l’autre du Secours catholique, sous le titre L’état de la pauvreté en France 2017, dont j’extrais ma conclusion : « La solidarité commence par le regard porté sur l’autre. Lorsque ce regard se fait dur, empreint de jugement, il est une véritable violence et entraîne le repli. » Nous sommes au cœur de nos préoccupations pour 2018.

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