Intervention de Jean-Noël Cardoux

Réunion du 13 novembre 2017 à 16h00
Financement de la sécurité sociale pour 2018 — Discussion générale

Photo de Jean-Noël CardouxJean-Noël Cardoux :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, si ce projet de loi de financement de la sécurité sociale traduit une volonté de retour à l’équilibre financier, le choix de privilégier des mesures conjoncturelles a été retenu au détriment de réformes structurelles.

Prenons d’abord le problème du déficit récurrent de l’ACOSS, qui se situe actuellement, selon les sources, entre 17 milliards d’euros et 21 milliards d’euros, quand son plafond de découvert est, je le rappelle, de 30 milliards d’euros.

Une démarche vertueuse, recommandée par la Cour des comptes, aurait consisté à rouvrir la possibilité de transferts entre l’ACOSS et la CADES, possibilité éteinte depuis l’année dernière avec la décision du secrétaire d’État chargé du budget et des comptes publics Christian Eckert d’épuiser les 22 milliards d’euros de reliquat autorisés par le Parlement.

Il aurait en effet été possible de transférer l’ensemble des déficits de l’ACOSS à la CADES en procédant à une augmentation de la CRDS de 0, 25 %, sans toucher à la durée de vie légale de la CADES. C’eût été une démarche vertueuse, permettant de revenir à l’équilibre financier, sans exposer l’ACOSS à la variation des taux d’intérêt, dont on peut craindre qu’elle ne survienne dans les années à venir, tant les marchés financiers sont fébriles. Dans un tel cas de figure, l’ACOSS, déjà lourdement déficitaire, serait dans une situation désastreuse.

Plutôt que de privilégier cette démarche, le Gouvernement a choisi d’augmenter la CSG de 1, 7 %. Il aurait pourtant été possible, un simple calcul le prouve, de ne l’augmenter que de 1, 45 %, tout en augmentant la CRDS de 0, 25 %. Au-delà, différents orateurs l’ont dit, on aurait même pu imaginer de ne pas l’augmenter du tout, en privilégiant une réforme de fond : la création de taux différentiels de TVA.

Il faut le savoir, beaucoup de pays européens ont un taux normal de TVA supérieur à celui de la France : il est de 25 % en Suède et au Danemark, de 23 % au Portugal, de 22 % en Italie et de 21 % en Espagne

En fixant un taux normal à 23 %, sans toucher bien sûr aux biens de première nécessité pour ne pas pénaliser les personnes les plus démunies, nous aurions engrangé des ressources supplémentaires. Nous aurions même pu aller plus loin, et créer un taux de TVA majoré à vocation environnementale qui s’applique aux produits d’importation, et même un taux super-majoré pour les véhicules polluants, à l’image de ce qu’ont déjà fait d’autres pays.

Cette démarche vertueuse n’a pas été retenue.

Je fais pourtant remarquer à tous les sénateurs que, si la CSG est un prélèvement « imposé », la consommation, sauf pour les produits de première nécessité, est le fruit d’un choix.

Je m’attarderai plus longuement sur le RSI. Plutôt que de le réformer en profondeur, le Gouvernement a choisi, avec l’article 11, de l’aligner sur le régime général de la sécurité sociale, dans un texte difficilement compréhensible ne comptant pas moins de 404 articles, dont on peut douter de la constitutionnalité.

Une telle réforme, incluse dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale contre la volonté des principaux acteurs de terrain et après une concertation plus que limitée, pourrait être assimilée à un cavalier législatif.

Cette mesure d’affichage intervient alors que l’organisation du RSI est en voie d’amélioration depuis deux ans. Jean-Pierre Godefroy et moi-même y avions beaucoup travaillé avec acteurs du RSI. Je ne citerai que quelques propositions formulées par les parlementaires, Assemblée nationale et Sénat confondus : possibilité de faire des provisions fiscales pour charges, limitation des acomptes, projet d’autoliquidation. Tout cela allait dans le bon sens.

La réforme que l’on nous propose est le fruit d’une pression exercée par une certaine catégorie de population ; elle résulte de la confusion entre le poids des charges pesant sur les professions indépendantes et la façon dont les charges étaient recouvrées par l’interlocuteur social unique.

Le Gouvernement prend un grand risque en laissant espérer aux indépendants que cette réforme allégera leurs charges.

J’ai demandé à un cabinet d’expertise-comptable d’effectuer le calcul du coût d’un tel alignement sur le régime général pour trois catégories de revenus : 24 000 euros, 48 000 euros et 96 000 euros. Ce simple calcul montre que l’alignement générera pour ces catégories d’indépendants des augmentations de cotisations de 6 000 euros, 11 000 euros et 28 000 euros, respectivement.

C’est, à terme, ce qui risque de se produire. À prestations égales, cotisations égales : c’est automatique ! Vous avez certes avancé devant notre commission, madame la ministre, que ni les unes ni les autres ne changeraient. Vous avez également affirmé, tout à l’heure, que l’accompagnement social mis en place avec beaucoup de courage par les administrateurs du RSI serait maintenu.

Dans ces conditions, pourquoi faire une telle réforme, impliquant trois intervenants au lieu d’un seul – la caisse d’assurance retraite et de la santé au travail, la CARSAT, l’URSSAF et la CPAM –, et alors que le logiciel de l’ACOSS, le fameux SNV2, à l’origine de tous les déboires du RSI, a été à peine toiletté ? Il faudrait que par enchantement, par un coup de baguette magique, un système qui ne fonctionnait pas devienne subitement opérationnel !

Cette réforme n’est-elle pas en fait une convention de gestion déguisée, ne respectant pas la procédure d’appel d’offres ? Le problème doit être exposé ainsi, ce me semble.

Le réveil risque d’être douloureux, alors même que l’assurance chômage des indépendants, un moment évoquée, n’est pas prévue. Beaucoup d’indépendants s’imaginaient pouvoir bénéficier de la garantie chômage : ce ne sera pas le cas. Compte tenu de l’augmentation du coût des prestations chômage qu’elle aurait entraînée, cette réforme était en réalité difficilement envisageable.

Parallèlement à tout cela, une réforme complexe de la Caisse interprofessionnelle d’assurance vieillesse des professions libérales, la CIPAV, est engagée. Elle vise à créer trois ou quatre catégories différentes en fonction des années d’affiliation. Or, depuis quelques jours, des catégories socioprofessionnelles préconisent le dépôt d’amendements visant à les maintenir, selon leur activité, dans le périmètre de la CIPAV. Si de tels intervenants réagissent ainsi, c’est que la concertation a été plus que défaillante. Cela devrait nous amener à y réfléchir de façon plus approfondie.

Et puis, dernière remarque, sur un plan éthique, vouloir uniformiser le statut des salariés et des indépendants, c’est à mon sens la négation d’une approche libérale de notre système économique.

Dans notre esprit, une telle réforme aurait dû faire l’objet d’un texte spécifique et être soumise à une large concertation, souhaitée par tous les acteurs de terrain, au lieu d’être contenue dans 404 articles du présent projet de loi.

Je ne sais pas quels amendements seront adoptés dans les jours qui viennent. Si le texte reste en l’état, notre groupe, dans sa grande majorité, s’abstiendra ; il envisagera également la possibilité de saisir le Conseil constitutionnel sur le fondement de la réforme du RSI telle que présentée aujourd’hui.

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