Intervention de Laurence Rossignol

Réunion du 13 novembre 2017 à 16h00
Financement de la sécurité sociale pour 2018 — Discussion générale

Photo de Laurence RossignolLaurence Rossignol :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, il est toujours un peu difficile de trouver la bonne distance à l’égard de sujets dont on a eu la responsabilité, entre une indifférence qui serait totalement contrainte et la nécessaire liberté qu’il faut laisser à un ministre et à son gouvernement.

Je veux évoquer devant vous deux sujets que je trouve importants, les modes d’accueil des enfants de moins de 3 ans, sujet qui est traité dans le présent PLFSS, et les violences faites aux enfants, sujet qui ne l’est pas. Enfin, je voudrais attirer votre attention sur deux outils qui sont à votre disposition et sur lesquels vous pouvez donc vous appuyer.

En ce qui concerne, premièrement, les modes d’accueil, le rapport de la Cour des comptes constate, à juste titre, que le gouvernement précédent n’a pas atteint les objectifs de création chiffrés qu’il s’était fixés. Les raisons en sont multiples, malgré les investissements réalisés et les choix budgétaires opérés, particulièrement par la CNAF, puisque, si ma mémoire est bonne, entre 2013 et 2016, 400 millions d’euros ont été consacrés à l’aide à l’investissement et 13 milliards d’euros l’ont été au fonctionnement des crèches. En effet, en dépit des subventions supplémentaires à l’investissement annoncées dans un plan en 2015, les collectivités locales n’ont pas jugé possible de prendre le risque d’engagements supplémentaires pour la création de structures d’accueil, en particulier en termes de fonctionnement.

Je crains que cet état des lieux, quelles que soient votre volonté et celle de la CNAF, ne perdure, les collectivités locales, encore davantage fragilisées par les baisses de dotations annoncées voilà quelques semaines, hésitant à s’engager durablement dans la création d’établissements d’accueil de jeunes enfants.

Sur ce sujet, ma conclusion, madame la ministre, est la suivante : je crois que nous sommes arrivés au moment où notre pays doit se doter d’un service public de la petite enfance. Le fait que l’accueil des enfants de moins de 3 ans ne soit une compétence obligatoire ni de l’État ni des collectivités locales conduit ces dernières, selon leurs choix de société, mais, le plus souvent, selon leurs contraintes budgétaires, à ne pas porter la création de structures d’accueil à la hauteur de l’attente des familles.

Si l’école maternelle fonctionne bien en France, c’est parce que chaque parent sait qu’il peut y trouver une place pour son enfant, dès 3 ans. Si nous voulons réellement que l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes progresse, il est indispensable de faire de l’accueil des moins de 3 ans une politique publique dont la compétence est clairement attribuée et le financement défini.

Deuxièmement, je veux évoquer le sujet des violences faites aux enfants.

Paradoxalement, on a beaucoup mieux pris en compte, depuis une dizaine d’années environ, les violences faites aux femmes. Tout le monde ou presque sait aujourd’hui qu’une femme meurt tous les trois jours sous les coups de son compagnon, mais qui sait que deux enfants meurent probablement chaque jour de violences à leur encontre ? Qui sait que 10 % des enfants sont victimes de violences sexuelles ? Qui sait que 80 % de ces violences ont lieu dans la sphère familiale ? La visibilité sur les violences faites aux enfants est infiniment moins grande, probablement parce que le déni est encore plus lourd, le tabou plus difficile à lever, la famille étant tellement présupposée être un lieu de protection et d’épanouissement qu’il est parfois fort difficile d’admettre qu’elle est aussi, pour les enfants, le premier lieu de violence et de maltraitance. J’en veux pour preuve que l’on en est au cinquième plan de lutte contre les violences faites aux femmes et seulement au premier plan de lutte contre les violences faites aux enfants. Cela dit bien le décalage dans le temps entre les deux prises de conscience !

Les femmes ont un ministère dédié – leur nom figure dans son intitulé. Vous avez, madame la ministre, la responsabilité de l’enfance, de sa protection et de la lutte contre les violences faites aux enfants. Cette lutte est une politique de santé publique. Je sais que vous en êtes parfaitement convaincue ; vous le savez d’autant mieux que la Haute Autorité de santé a déjà produit un premier rapport à ce sujet… D’ailleurs, la reconnaissance de cette lutte comme une politique de santé publique, et pas simplement comme une affaire privée ou de droit pénal, n’a pas été si évidente.

Il faut maintenant poursuivre la mise en œuvre du premier plan de lutte contre les violences faites aux enfants, parce que les choses ne se feront pas d’elles-mêmes. Nous avons, sur ce sujet, tellement d’immobilisme et de résistances à combattre qu’une immense mobilisation est nécessaire, particulièrement des professions de santé, dont je rappelle qu’elles sont quasiment les derniers signalants en matière de violences faites aux enfants, alors qu’elles sont probablement celles qui sont le plus à leur contact.

J’insiste sur la nécessité de mener à bien ce premier plan et, en toute logique, de préparer bientôt le deuxième.

Enfin, je veux attirer votre attention sur deux outils remarquables que vous avez à votre disposition, le Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge, et le Conseil national de la protection de l’enfance.

Souvent, on pense que les conseils sont des « machins » qui ne servent à rien. Bien au contraire, ces deux hauts conseils sont des lieux où la société civile réelle – et non les institutions de la société civile – est véritablement présente. Vous avez là de l’expertise, des relais et de véritables outils, pour peu que ces deux conseils soient dotés des moyens nécessaires à leur fonctionnement.

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