Intervention de Jean-Pierre Leleux

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 15 novembre 2017 à 9h30
Projet de loi de finances pour 2018 — Mission « médias livre et industries culturelles » - crédits « audiovisuel » et compte de concours financier « avances à l'audiovisuel public » - crédits livre et industries culturelles - examen du rapport pour avis

Photo de Jean-Pierre LeleuxJean-Pierre Leleux, rapporteur pour avis des crédits de l'audiovisuel :

Quelques données chiffrées tout d'abord afin de pouvoir mieux dessiner les enjeux stratégiques de ce budget.

Les crédits alloués à l'audiovisuel public en 2018 sont en baisse de 1 % - soit -36,7 millions d'euros - après une hausse de 100 millions d'euros sur la période 2016-2017. Ils sont ainsi ramenés à 3 816,5 millions d'euros HT contre 3 853,2 millions d'euros HT en LFI 2017. Par rapport à la trajectoire financière définie dans les COM des entreprises, l'écart est de 79,6 millions d'euros. Le montant de la CAP bénéficiera en 2018 de la seule indexation sur l'inflation, soit une hausse de 1euros qui portera son montant de 138 euros à 139 euros en métropole et de 88 euros à 89 euros dans les Outre-mers.

Le ministère de la culture estime que cet effort « est réparti en fonction des capacités contributives de chacune des entreprises et des priorités stratégiques que sont le soutien à la création, l'investissement dans le numérique, l'information et le rayonnement international de la France, notamment porté par le lancement le 26 septembre 2017 d'une version hispanophone de France 24 à destination de l'Amérique latine ».

Le PLF 2018 prévoit une baisse du concours financier de 1,2 % à France Télévisions soit 30,8 millions d'euros. La subvention d'investissement allouée à Radio France diminue de 24,6 millions d'euros par rapport à 2017 du fait du report de la fin du chantier de réhabilitation de la Maison de la Radio. Avec une dotation de fonctionnement en hausse de 1,5 %, soit 8,6 millions d'euros, conforme au COM, la dotation globale de Radio France diminue de 16 millions d'euros.

Le PLF prévoit enfin une hausse de 5,2 millions d'euros de la dotation d'Arte France et de 6,3 millions d'euros de moyens alloués à France Médias Monde, deux sociétés qui ont vu leurs COM faire l'objet d'un avis favorable de votre commission, tout comme l'INA dont la dotation diminue de 0,4 million d'euros. Enfin, la quote-part française au financement de TV5 Monde diminue de 1 million d'euros.

Voilà pour les grandes données quantitatives. Elles sont importantes, mais insuffisantes pour apprécier ce budget à sa juste valeur.

Je souhaiterais pour ce faire vous faire part de quatre éléments de réflexion :

Tout d'abord, ce budget est en baisse et pour votre rapporteur, une baisse n'est pas nécessairement une mauvaise chose si elle permet de faire mieux avec moins, j'y reviendrai.

Sur la méthode ensuite, c'est sans doute là que le bât blesse. Les entreprises ont été prévenues seulement fin août de ces coupes budgétaires. Ce n'est évidemment pas raisonnable compte tenu de leurs engagements contractuels et du manque de marges de manoeuvre à aussi court terme. Comme je l'ai dit, Bercy a sorti ses « grands ciseaux » et il manque à ce budget une vision. Les COM ne sont plus respectés et rien n'a été dit concernant leur avenir sinon que le Gouvernement entendait modifier celui de France Télévisions.

Ma troisième remarque concernera précisément la volonté de mettre à plat l'organisation de l'audiovisuel et son financement. Le Gouvernement entend mettre un terme au statu quo qui a caractérisé le précédent quinquennat, à l'exception de la modification peu satisfaisante décidée en 2013 des modalités de nomination des présidents de l'audiovisuel public... qui faisait suite à une première modification en 2009 qui n'avait pas, non plus, démontré sa pertinence... Le Gouvernement a défini un calendrier qui devrait nous amener à mars 2018 et une loi est attendue d'ici la fin de l'année prochaine. Le projet de loi de finances pour 2019 devrait également comporter une réforme de la redevance, j'y reviendrai également dans un instant.

Ma dernière remarque concernera donc mon état d'esprit face à cet ensemble d'évolutions. Autant il me semblerait légitime de porter un regard réservé sur les seuls éléments budgétaires, autant il m'apparaît nécessaire d'encourager une volonté, qui semble s'affirmer, d'engager une profonde réforme visant à renforcer la légitimité et l'efficacité de l'audiovisuel public. Le rejet de l'amendement déposé à l'Assemblée nationale visant à reporter d'un an l'entrée en vigueur de la loi d'origine sénatoriale supprimant la publicité dans les programmes jeunesse, comme le refus du Gouvernement de rétablir la publicité en soirée, me semblent à cet égard constituer des choix fondamentaux qui illustrent certaines convergences avec les propositions du Sénat.

Je vous proposerai donc de formuler un avis favorable mais vigilant sur ce budget et les intentions qui l'accompagnent, en ayant bien conscience que les arbitrages ne sont pas encore rendus sur la future réforme et qu'il nous revient de veiller à ce que les idées du Sénat inspirent le plus possible cette réforme que nous appelons de nos voeux depuis de nombreuses années.

Sur tous ces sujets, nous sommes en effet au milieu du gué. Le constat est établi - nous y avons participé avec André Gattolin il y a deux ans - mais le pire n'est jamais exclu.

Je prends pour exemple la réforme de la contribution audiovisuelle publique (CAP). Le rapport de la Cour des comptes de juillet dernier acte la nécessité d'une réforme mais il montre aussi que celle-ci n'est pas simple à construire. La réforme « à l'allemande » - c'est-à-dire le remplacement d'une redevance pour service rendu par une taxe universelle de tous les foyers, que nous avons été les premiers à promouvoir, a aujourd'hui de nombreux partisans. Mais la Cour des comptes souligne qu'il subsiste des incertitudes concernant par exemple le nombre de jeunes et de foyers modestes qui seraient concernés, même s'il est acquis que ce sont les CSP+ qui n'ont plus de télévision et les fraudeurs qui seraient les premiers impactés.

Un obstacle important sera levé en 2018 car - à la demande d'Eurostat - la CAP devrait intégrer les prélèvements obligatoires. Or une des réticences à l'idée de généraliser la CAP à tous les foyers tenait précisément au fait que cette nouvelle taxe entrerait dans le décompte des prélèvements obligatoires et donnerait ainsi l'impression d'une hausse des impôts.

Les conséquences de ce changement statistique ne sont pourtant pas que positives puisque, selon la Cour des comptes, le versement aux sociétés de l'audiovisuel public devrait également être qualifié de dépense des administrations publiques (APU) et que ces entreprises pourraient intégrer le secteur des organismes d'administration centrale (ODAC). Une telle évolution - si elle se confirmait - aurait pour effet de supprimer la possibilité pour ces entreprises de recourir à l'emprunt, ce qui n'est pas rien pour, par exemple, Radio France et son chantier.

Mais là n'est pas l'essentiel. On comprend bien que - vu de Bercy - cette intégration de la CAP aux PO change la donne. Alors que le ministère des finances n'a pas prêté une grande attention au secteur de l'audiovisuel ces dernières années, ce changement de périmètre pourrait ouvrir la voie d'un dialogue plus « coercitif » avec les sociétés de l'audiovisuel public dont on vient de voir un premier exemple dans le projet de loi de finances pour 2018. Cette tentation de reprise en main afin de mieux juguler la dépense publique pourrait ainsi se matérialiser dans une rebudgétisation à partir de 2019.

Vous aurez noté, comme moi, que la ministre de la culture a indiqué, lors de son audition, que d'autres voies de réforme existaient en dehors de la taxe au foyer « à l'allemande ». Eh bien ce n'est ni plus ni moins qu'une rebudgétisation qui agite, je crois, les esprits de nos grands argentiers.

Cette évolution ne constituerait pas, je crois, un bon signe pour l'avenir de notre audiovisuel public qui manque cruellement de stabilité et de cap stratégique. La seule gestion budgétaire ne peut constituer un horizon lorsqu'il s'agit de produire des oeuvres audiovisuelles qui mettent entre trois et cinq ans à devenir réalité ou lorsqu'il est question pour France Télévisions de développer une plateforme SVAD ou pour RFI de diffuser en de nouvelles langues africaines. Il faut du temps pour créer de la qualité, de l'audience, de l'influence mais il suffit d'un projet de loi de finances pour remettre tout ce travail en question.

Nous serons donc vigilants pour que le chantier de la réforme de la CAP ne soit pas conduit selon un seul mode comptable mais qu'il serve d'abord à boucler une réforme systémique que nous sommes nombreux ici à appeler de nos voeux. J'ai proposé à la ministre de commencer en 2020 par nommer un président commun à France Télévisions et à Radio France et je crois savoir que cette idée suscite de l'intérêt, y compris au sein des entreprises concernées. Un chemin existe donc pour engager un regroupement qui constitue la seule voie possible pour faire exister notre audiovisuel face aux nouveaux acteurs du privé et aux GAFANs.

Car - et j'en viens maintenant à l'analyse de la situation de chaque opérateur - il apparaît clairement qu'aucune des sociétés de l'audiovisuel public n'a la taille critique pour affronter les investissements nécessaires à leur avenir.

France Télévisions est aujourd'hui sur la sellette compte tenu des économies demandées. Si la baisse des crédits s'élève à 47,8 millions d'euros, l'entreprise chiffre l'effort à 75 millions d'euros compte tenu de l'évolution endogène de la masse salariale et de l'évolution des clauses des contrats. Ces économies devraient porter à 40 % sur les structures et à 60 % sur les programmes en privilégiant les flux et le sport. Concrètement il n'est pas sûr que le service public continue à retransmettre le tournoi des VI Nations.

Cette cure d'austérité a créé une vive réaction du côté des syndicats de l'entreprise qui estiment que le contrat moral avec l'État a été rompu. Des efforts ont été acceptés dans le passé, qui avaient pour contrepartie un effort de développement. C'est ce cap qui fait défaut aujourd'hui. Et l'on sent bien que, faute de feuille de route de la part de l'actionnaire, l'entreprise peine à conduire ses missions actuelles tout en développant de nouveaux services, le tout avec des moyens en baisse. France Télévisions a-t-elle les moyens de se lancer dans un nouveau feuilleton quotidien tout en lançant une plateforme SVAD sans avoir dégagé de véritables marges de manoeuvres financières autres qu'une hausse de la ressource publique aujourd'hui remise en cause ?

J'estime qu'il est temps de réaliser des choix car tout n'est pas possible pour le service public de l'audiovisuel. À cet égard, le rapprochement entre France 3 et France Bleu constitue une piste intéressante si elle permet de mutualiser les moyens. Une expérimentation en Bretagne serait précieuse pour en mesurer le potentiel.

Concernant la plateforme SVAD, on ne peut que se satisfaire du fait que le modèle économique ait été clarifié mais les doutes subsistent quant à l'intérêt même de l'offre, faute de véritables partenaires au-delà des producteurs associés. Pourquoi Arte et TV5 Monde ne sont-ils pas parties prenantes par exemple ? Ce projet ressemble encore trop à un « cavalier seul » dans un paysage où la concurrence est surabondante et très attractive.

Une question reste pendante sur la véritable mission du service public de télévision. Consiste t'elle d'abord à créer une offre payante pour concurrencer des acteurs privés surpuissants - sans avoir nécessairement une offre de programmes comparable - ou ne serait-il pas préférable de privilégier le renforcement de la spécificité de son offre ce qui passe par une plus grande indépendance vis-à-vis des exigences de l'audimat et de la publicité ? Plus la télévision publique s'inscrira dans une démarche commerciale, moins la légitimité de son statut et de son financement s'imposeront aux yeux de nos concitoyens. La question se posera concrètement début mars en Suisse où les citoyens sont appelés à se prononcer par référendum sur le maintien de la redevance et par voie de conséquence sur l'existence même du service public.

Arte France a répondu depuis plusieurs années à cette exigence de spécificité. La qualité de son offre ne cesse de s'affirmer et le nouveau COM, en mettant l'accent sur la production d'inédits, devrait encore accroître cette spécificité. À cet égard, on ne peut que regretter l'absence de coopération entre Arte et France Télévisions alors même que ces dernières sont au coeur du modèle de Arte Deutschland. Toutefois, Arte développe des captations des concerts de Radio France et continue son développement délinéarisé.

Sur le plan budgétaire, votre rapporteur se réjouit du fait que la chaîne ait pu préserver une hausse de ses moyens qui ne devrait pas être impactée par la légère baisse par rapport à l'objectif du COM compte tenu de la mobilisation du report à nouveau.

Le cas de Radio France est très différent et appelle de notre part une grande vigilance. Certes, le déficit de la société devrait se résorber en 2018 conformément au COM mais ce résultat ne s'explique que par une nouvelle hausse de la ressource publique. C'est la hausse de la dotation de fonctionnement à hauteur de 8,7 millions d'euros qui permet d'afficher un retour à l'équilibre des comptes preuve que les réformes sont encore largement insuffisantes pour assurer l'avenir de l'entreprise.

Plus grave encore, le retard du chantier est presque présenté comme une opportunité pour réduire le besoin d'investissement de la société. En réalité, la situation du chantier est alarmante, en raison de la multiplication des malfaçons et de l'insécurité juridique qui caractériserait la conduite du chantier. Pour les syndicats que j'ai interrogés, la situation serait devenue critique et la plus grande inquiétude serait de mise pour 2019 et 2020. Je crois, madame la présidente, qu'il faudra porter la plus grande attention au rapport demandé par le Gouvernement à M. Jean-Pierre Weiss dont la ministre nous a assuré qu'il nous serait transmis.

Un mot tout de même sur les excellentes audiences des antennes de Radio France et sur le succès de la fréquentation de la Maison de la Radio, qui prouvent qu'une offre avec une forte identité permet de fidéliser un public nombreux et exigeant.

Quelques informations sur l'INA pour dire que la baisse de 0,45 million d'euros est mal ressentie mais qu'elle ne remettra pas en cause les projets de l'établissement public. Il devra, en revanche, bien préparer l'après « Plan de sauvegarde numérique ». La mise en oeuvre de ce plan a nécessité pendant des années des recrutements, il est normal de s'interroger sur l'avenir de ces personnels une fois la mission accomplie.

J'en viens maintenant à France Médias Monde dont les audiences sont toujours en hausse sur tous ses supports de diffusion. Là encore, les économies demandées suscitent une réaction d'incompréhension qui est logique puisque la société n'a pas le temps de se retourner sinon en envisageant des départs de cadres et une remise en cause de la diffusion du signal à New York et Los Angeles, deux villes où les contrats de diffusion arrivent à terme.

La soudaineté des ajustements budgétaires demandés crée beaucoup de rancoeur parmi les personnels qui ont déjà accepté de nombreuses réformes. Je rappelle que FMM a un budget très en-deçà de celui de ses concurrents (BBC, Deutsche Welle) et qu'on ne peut utiliser le rabot pour piloter une politique de l'audiovisuel extérieur. Des arbitrages sont là encore possibles mais ils doivent être structurels. Pourquoi, par exemple, le rapprochement des rédactions radio et télévision, interrompu en 2012, n'a-t'il pas été relancé ? L'entreprise a pris les devants en engageant une mutualisation de ses envoyés spéciaux permanents avec Radio France dans cinq capitales (Bruxelles, Beyrouth, Washington, Pékin, Moscou). Un tel regroupement ne pourrait-il pas être élargi à France Télévisions ?

J'évoquerai enfin TV5 Monde : l'attaque informatique de 2015 a failli littéralement « tuer » cette belle entreprise mais tout a été fait pour qu'une telle mésaventure ne se reproduise pas. TV5 Monde est le réseau francophone le plus largement diffusé dans le monde et il est essentiel de favoriser son essor notamment en Afrique et sur Internet.

Madame la présidente, mes chers collègues, me voici arrivé au terme de cette présentation. Vous aurez compris que pour moi ce budget n'a de sens que s'il doit constituer la première pierre d'une réforme à venir de l'audiovisuel dans laquelle le Sénat peut et doit jouer son rôle. C'est dans cet esprit qu'il me semble possible et souhaitable de donner un avis favorable à l'adoption des crédits nonobstant les faiblesses concernant la méthode suivie dans l'annonce du PLF et les points d'inquiétude - notamment à Radio France -. Loin d'être un chèque en blanc, c'est d'abord une mise « pour voir » que je vous propose de mettre sur la table du Gouvernement en espérant que notre démarche sera entendue.

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