Intervention de Jacques Mézard

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 16 novembre 2017 à 15h00
Audition de M. Jacques Mézard ministre de la cohésion des territoires

Jacques Mézard, ministre :

Je suis toujours heureux de venir m'exprimer devant le Parlement. Vous avez évoqué avec raison les inquiétudes des élus et des territoires. Elles ne datent pas d'hier. Si je voulais botter en touche, je dirais que ce n'est pas en quelques mois que l'on peut changer la donne. Certains territoires sont en effet en grande détresse, qu'il s'agisse de territoires ruraux ou de quartiers défavorisés de la politique de la ville. Je suis heureux que le Président de la République se soit exprimé sur le sujet ; dans certains quartiers la République s'est retirée. Nous avons le devoir d'agir vite sur tous ces territoires. Élu d'un territoire rural enclavé, j'ai constaté que la situation s'était aggravée en trente ans. Je ne jette l'opprobre sur personne. C'est un fait. Il nous faut désormais agir pour rétablir l'accès aux services publics partout.

Ce budget s'inscrit aussi dans la volonté de respecter nos engagements européens en passant sous la barre des 3 % de déficit. La Commission européenne nous surveille. Nous avons intérêt à sortir au plus vite de la procédure de surveillance.

En matière d'aménagement du territoire, le PLF prévoit 176 millions d'euros d'autorisations d'engagement (AE) et 235 millions d'euros de crédits de paiement (CP). La diminution des autorisations d'engagement par rapport à 2017 s'explique par le transfert des moyens alloués aux contrats de ruralité et au pacte État-métropoles vers le programme 119 et une augmentation de 4 % des crédits de paiement du programme. C'est conforme à ce que je vous avais annoncé en juillet : je souhaite honorer les contrats de ruralité signés et poursuivre cette politique.

Les crédits de l'aménagement sont tournés vers deux grandes actions : l'attractivité économique et la compétitivité de tous nos territoires, et leur développement solidaire et équilibré. Pour mener à bien ces actions, le ministère privilégie les politiques contractuelles avec les collectivités, qu'il s'agisse d'investir pour leur développement ou de financer les opérations de maintien des services publics de proximité. Nous sommes attachés au partenariat avec les collectivités, même si ce n'est pas toujours facile - je le sais comme ancien élu local...Il s'agit de proposer des solutions durables et les plus adaptées possibles aux défis d'attractivité des territoires.

Le financement des politiques contractuelles, auquel je connais votre attachement, est assuré. Les contrats de plan État-région (CPER) arrivent à mi-chemin. Nous entamerons, en 2018, la seconde période de la programmation commencée en 2015 qui doit s'achever en 2020. Nous consacrerons 122 millions d'euros en 2018 au financement de ces contrats, et nous devrions constater le versement d'un peu plus de la moitié des financements au 31 décembre 2018 soit 414 millions d'euros sur 802 millions d'euros prévus d'ici fin 2020. Ce chiffrage inclut la clause de revoyure 2016 et les contrats dits spécifiques tels que le pacte Lorraine, les triennaux de Strasbourg ou le contrat de développement territorial pour Calais et le Calaisis (741 millions d'euros hors contrats spécifiques). Comme j'ai pu le constater récemment dans le bassin minier, certains contrats avaient été signés, mais les financements n'avaient pas été prévus ! Nous honorerons la parole de l'État même si cela complique l'équation budgétaire.

Je le redis, les engagements des contrats de ruralité seront honorés et les nouveaux dossiers seront financés par la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL) et la DETR. J'espère que cela rassurera ceux qui étaient inquiets à ce sujet.

En 2018, le programme 112 assurera l'accompagnement financier des projets entamés en 2017 par la couverture en CP des engagements pris. Ainsi, 44 millions d'euros en CP seront consacrés au subventionnement effectif des porteurs de projets au titre de la seconde année d'exécution des contrats, soit une hausse de 73 % par rapport à la première année pour laquelle peu de paiements étaient envisagés. De la même façon, la fraction des pactes État-métropoles engagée sur le programme 112 sera honorée par 15 millions d'euros en crédits de paiement en 2018. Il faut noter que le passage de 15 à 22 métropoles ne facilite pas les choses. Je n'avais pas voté cette loi...

Le programme 119 « Concours financiers aux collectivités territoriales et à leurs groupements » assurera en 2018 le portage financier des nouveaux engagements au titre des contrats de ruralité. Ainsi, il constituera le seul réceptacle des ressources de la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL) dont la gestion sera simplifiée. Au titre de 2017, le fonds de soutien était doté de 812 millions d'euros (662 millions d'euros hors pacte Etat-métropoles) répartis entre les programmes 112 et 119. En 2018, la dotation s'établit à 665 millions d'euros sur le programme 119. L'Assemblée nationale a souhaité hier soir revoir les équilibre de la DSIL, et a notamment fléché 50 millions d'euros de cette dotation pour lesquels un suivi plus fin sera prévu. Cela semble pertinent. Je serai attentif à la position du Sénat.

Les maisons des services au public (MSAP) créées par le précédent Gouvernement sont un vrai succès. Le partenariat avec la Poste est exemplaire. La collaboration avec les communes fonctionne de mieux en mieux. Les communes rurales ne sont pas les seules concernées ; il faut aussi que les services publics reviennent dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville. Conformément aux annonces successives des comités interministériels aux ruralités, les crédits du programme 112 permettront de compléter le maillage territorial existant des 1 150 MSAP, dont 500 sont logées dans des bureaux de poste. Ce maillage se conformera aux conclusions des schémas départementaux d'accessibilité aux services dont le financement est assuré en 2017. Avec un coût moyen de 13 000 euros par MSAP, c'est ainsi 9,4 millions d'euros qui sont attribués au programme pour le financement de l'accessibilité aux services publics (plus de 700 MSAP seront financées par le programme). Par ailleurs, le programme 112 recueillera et procédera à la gestion des fonds des opérateurs nationaux partenaires de cette politique publique. Afin de maintenir un niveau de qualité dans les structures reconnues en MSAP, le programme portera le financement de l'animation nationale du dispositif des MSAP par la Caisse des dépôts et consignations pour un montant de 1,3 million d'euros.

Par ailleurs, le soutien financier aux dispositifs améliorant le maillage territorial des services publics sera maintenu. Le programme couvrira les engagements pris durant les années antérieures à 2017. Un million d'euros sera consacré aux maisons de santé pluridisciplinaires. 2,8 millions d'euros seront affectés au soutien à l'ingénierie territoriale dans les centres-bourgs, opération efficace lancée par le précédent Gouvernement.

La lutte contre la désertification médicale est une priorité. Cette désertification n'est pas l'apanage des territoires ruraux mais concerne tous les territoires fragiles. On manque de praticiens, notamment de spécialistes, mais leur répartition inégale sur le territoire est aussi en cause. On peut sans doute considérer que le plan de la ministre de la Santé ne va pas assez loin, Monsieur le Président, mais il faut noter qu'il constitue un progrès ! Nous financerons ainsi 2000 maisons de santé pluri-professionnelles, soit un doublement de leur nombre d'ici 2022. Les implantations dans les zones sous-dotées seront encouragées. Les nouveaux projets de maison de santé émargent désormais aux volets territoriaux des CPER ou au fonds de soutien à l'investissement local, tandis que le programme soldera les engagements de l'État au titre du plan d'équipement 2010-2013 des maisons de santé pluri-professionnelles.

S'agissant des aides aux entreprises, les crédits relatifs à la prime d'aménagement du territoire pour l'industrie et les services (PAT) se portent à 15 millions d'euros pour 2018. Ils avaient initialement été réduits à 10 millions. La discussion avec Bercy est toujours délicate à ce sujet... J'ai souhaité augmenter les crédits de cette dotation de 5 millions à l'Assemblée nationale. Je suis en effet attaché à cette prime qui permet de trouver des solutions à des cas difficiles et d'aider des territoires où il n'est pas facile de conserver ou créer des emplois industriels. Avec un coût moyen constaté en 2016 de 0,46 million d'euros par opération, une trentaine de primes pourront être versées aux entreprises favorisant l'emploi dans les territoires éligibles. Plus de 1000 emplois pérennes pourront ainsi être créés ou maintenus.

Par ailleurs, le Fonds National d'Aménagement et de Développement du Territoire (FNADT) maintiendra son action en faveur du financement des pôles de compétitivité à hauteur de 2,6 millions d'euros par an.

J'en viens au volet numérique, qui je le sais intéresse particulièrement votre commission. La couverture numérique est une priorité. Comment en effet concevoir une politique d'aménagement du territoire sans évoquer ce sujet ? La place de la France en Europe n'est pas très bonne, c'est un fait. Nous avons cinq ans pour rattraper notre retard. Le Président de la République a fixé lors de la Conférence nationale des territoires de juillet trois objectifs : haut et très haut débit pour tous d'ici 2020, très haut débit pour tous en 2022 et généralisation de la couverture mobile de qualité d'ici 2020. Vous l'avez souligné, ces objectifs sont ambitieux, mais il ne faut pas partir battus ! Cette stratégie est indispensable, tant pour lutter contre les fractures territoriales que pour accompagner les mutations technologiques qui s'accélèrent à une vitesse considérable. J'ai assisté récemment au lancement de la première voiture autonome en France. Chaque jour le numérique et l'intelligence artificielle prennent plus de place dans la vie quotidienne, révolutionnant les transports, la domotique, etc.

Sur le bon haut débit pour tous, nous devons d'une part sécuriser les déploiements de fibre optique portés par les opérateurs privés en zone dense et par les collectivités territoriales en zone rurale, tout en garantissant aux usagers qui ne bénéficieront pas de telles technologies un accès au bon haut débit (8 Mbits par seconde) par une solution alternative.

Nous devons donc accélérer le déploiement dans les zones denses (dites zones AMII) et notamment leur périphérie, où plus de trois millions de lignes ont été déployées, sur les douze millions prévues en 2020. Il reste donc à faire...Pour cela, nous ne pouvons plus nous satisfaire de simples intentions de déploiement et voulons rendre contraignants les engagements, pour être sûrs qu'ils seront réalisés en totalité d'ici à 2020. L'Arcep a été consultée à ce sujet et rendra sa réponse à la fin du mois. Je constate toutefois qu'il y a des évolutions en cours chez les opérateurs.

En ce qui concerne les réseaux d'initiative publique (RIP), 1 600 000 lignes de fibre optique jusqu'à l'abonné seront réalisées d'ici la fin de l'année 2017 tandis que 8 800 000 lignes seront déployées d'ici fin 2022. Le Gouvernement réaffirme donc son soutien aux collectivités territoriales engagées dans le cadre du Plan France Très Haut Débit. Nous nous opposerons à toute tentative de déstabilisation des RIP par quelque opérateur que ce soit qui serait désireux de déployer un réseau de fibre concurrent. Nous voulons maintenir le cadre stable, coordonné et sécurisé qui permet aujourd'hui aux réseaux d'initiative publique de bénéficier de conditions optimales de financement. Dans tous les cas, le Gouvernement entend respecter les choix des collectivités territoriales.

Nous n'oublions pas nos concitoyens qui ne disposeront pas de bon haut débit par les déploiements de fibre optique jusqu'à l'abonné ou jusqu'aux villages. Un travail est engagé, en lien avec les collectivités territoriales, afin d'identifier précisément les lieux concernés, département par département, et trouver une solution d'accès. Nous ne privilégions aucune technologie a priori : très haut débit radio, satellite ou 4G fixe des opérateurs mobile. Il faudra sans doute recourir à un mix technologique pour atteindre l'objectif du haut débit pour tous en 2020.

Sur l'avenir du plan France Très Haut Débit : les 3,3 milliards d'euros consacrés par l'État au financement des RIP sont aujourd'hui presque totalement engagés. Le Premier ministre a annoncé que le Grand plan d'investissement pourrait prendre des engagements au-delà du financement des RIP. Je vous le confirme aujourd'hui. Le Gouvernement sera au rendez-vous des RIP de deuxième génération et de l'objectif du 100 Mbits par seconde en 2025 qui est un nouvel horizon d'ambition, conforme à l'objectif de l'Union européenne de la « Gigabit society » en 2025.

Pour le mobile, l'écart entre la perception du niveau de qualité de service et les déclarations des opérateurs n'est plus tenable. Les élus sont d'ailleurs souvent interpellés par leurs concitoyens. La solution que préconise le Gouvernement pour améliorer le niveau de couverture mobile (en territoire couvert et en débit garanti) repose sur des investissements importants dans de nouveaux équipements sur tout le territoire. Il n'appartient pas au Gouvernement de déterminer a priori le nombre de pylônes nécessaires, mais il lui appartient de fixer un niveau de qualité requis. En ce sens, il a saisi l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep) pour préciser ce nouveau « standard de qualité » attendu à horizon 2020, qui inclurait la voix, le fait d'envoyer des SMS, le téléchargement de fichiers, la téléphonie en mobilité, etc. L'Arcep précisera aussi le montant des investissements supplémentaires correspondants. Elle rendra ses conclusions prochainement C'est sur la base de ces estimations que le Gouvernement arrêtera les éventuelles contreparties sur le niveau des redevances, la fiscalité ou encore la durée des fréquences. Avant la fin de l'année, le Gouvernement arrêtera sa feuille de route sur l'accélération du déploiement du numérique.

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