Intervention de Anne-Catherine Loisier

Commission des affaires économiques — Réunion du 15 novembre 2017 à 9h30
Projet de loi de finances pour 2018 — Mission « économie » - examen du rapport pour avis

Photo de Anne-Catherine LoisierAnne-Catherine Loisier, rapporteure :

Madame la Présidente, mes chers collègues. J'ai le plaisir de succéder à Philippe Leroy pour vous présenter le volet « numérique et poste » de cette mission.

J'effectuerai tout d'abord, une brève analyse des évolutions budgétaires pour 2018. Puis je vous proposerai un développement sur le satellite - sujet suscitant de nombreux débats - comme élément du mix technologique nécessaire à la couverture numérique du territoire dans le cadre du plan France très haut débit.

L'analyse budgétaire des crédits sera surtout l'occasion de souligner certains faits saillants. Je commencerai par les crédits « numérique et poste » du programme 134, répartis en deux actions, l'action n° 4 et l'action n° 13.

L'action n° 4 comprend deux principaux postes de dépenses. Le premier concerne la Poste. Il s'agit de la dotation versée par l'État à cette dernière pour compenser la mission consistant à distribuer la presse écrite, six jours sur sept, sur tout le territoire, à des tarifs préférentiels. Il s'agit de l'une des aides à la presse en vigueur dans notre pays. Ce sujet soulève aujourd'hui diverses questions. La première est celle de la distinction entre différents types de presse pour la fixation des tarifs postaux, qui semble fausser la concurrence entre des titres pourtant parfois assez proches. La deuxième est celle de la compensation versée à la Poste au titre de cette activité, structurellement déficitaire. Le projet de loi de finances pour 2018 n'est pas de nature à améliorer la situation, dans la mesure où il diminue de 7,5 millions d'euros le montant de cette compensation, qui descend à 111,5 millions d'euros. Enfin, je m'interroge sur la méthode suivie par les différents gouvernements sur cette question. Alors que les tarifs postaux et le montant de la compensation étaient auparavant fixés au sein d'accords tripartites entre l'État, la Poste et la presse, l'État agit, depuis 2015, de façon unilatérale, dans une certaine opacité - je souligne que le rapport Giannesini, sur lequel les orientations arrêtées en 2016 se reposaient n'a pas été rendu public, et un certain flou : la trajectoire de la compensation avait été fixée en 2016 jusqu'en 2020, mais elle a été remise en cause par l'actuel Gouvernement. Le traitement de cette question pourrait être approfondi avec nos collègues de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication.

Le second principal poste de dépenses au sein de l'action n°4 est celui de la subvention versée à l'Agence nationale des fréquences (ANFR). D'un montant de 32 millions d'euros, elle augmente légèrement dans le projet de budget pour 2018. Cette hausse se justifie par la nécessité de ralentir la baisse régulière du niveau de subvention depuis 2012 afin de permettre à l'Agence de poursuivre l'exercice de ses compétences, qui se sont développées au cours de ces dernières années, dans des conditions satisfaisantes.

L'une des compétences de l'Agence a particulièrement attiré mon attention. Il s'agit de sa mission de protection de la réception de la télévision, en vue de mettre un terme aux brouillages. L'ANFR est en quelque sorte aujourd'hui le service après-vente de la télévision. Un décret du 10 mai dernier crée le successeur du fonds d'aménagement numérique, appelé fonds d'accompagnement de la réception télévisuelle, qui sera opérationnel du 1er janvier 2018 au 31 décembre 2023. Ce fonds, géré par l'Agence, a vocation à prendre en charge les coûts nécessaires pour assurer la continuité de la réception des services de télévision en clair diffusés par voie hertzienne terrestre. Les situations de brouillage, notamment du fait du passage à la TNT puis du déploiement de la 4G, ne peuvent perdurer sur nos territoires : il convient donc de doter ce fonds rapidement afin qu'il puisse être pleinement opérationnel dès le premier janvier prochain.

L'action n° 13 du programme 134 est consacrée au financement de l'ARCEP. À 53,57 millions d'euros en autorisations d'engagement et 27 millions d'euros en crédits de paiement, contre 23,1 millions d'euros l'an passé, sa dotation de fonctionnement est en hausse de 131 % en autorisations d'engagement et 17 % en crédits de paiement. La hausse de ces crédits a vocation à financer la nouvelle stratégie immobilière de l'Autorité, qui entend modifier son emprise immobilière en vue, à terme, d'en réduire les coûts.

L'Autorité est en revanche fragilisée sur les crédits affectés au personnel. Si son plafond d'emploi reste intact, elle s'est vue notifier un schéma d'emplois à -3, et les dépenses affectées au personnel apparaissent en baisse à hauteur de 138 000 euros. L'Autorité considère que ces diminutions remettent en cause sa capacité à exercer ses missions. Ceci est d'autant plus préoccupant que le Gouvernement et le Parlement lui ont régulièrement confié, ces dernières années, de nouvelles missions, et qu'elle les a mises en oeuvre à effectif constant.

J'en viens maintenant au programme 343, qui fera le lien avec le volet thématique de mon rapport. Ce programme est le véhicule budgétaire qui comprend, depuis 2015, les financements affectés par l'Etat au plan France très haut débit. Je souhaite, à ce stade, remettre en perspective le déploiement du très haut débit : il vise à répondre à une explosion des besoins. Cette explosion peut se résumer de la façon suivante : une journée de 2017 équivaut à la consommation de données de la totalité de l'année 2003.

J'en reviens à l'analyse budgétaire, le programme 343 n'est, encore cette année, doté que d'autorisations d'engagement, à hauteur de 208 millions d'euros, les premiers crédits de paiement étant prévus pour 2019. Alors que ces dépenses sont intégrées au Grand plan d'investissement, on peut remarquer que celui-ci est, jusqu'à aujourd'hui, muet sur la question des financements affectés au plan postérieurement à 2022, question qu'avait très justement posée la Cour des comptes dans son rapport de janvier dernier.

Le plan France très haut débit et la couverture mobile du territoire font actuellement l'objet d'âpres négociations entre toutes les parties intéressées, en vue d'en redéfinir les contours. C'est dans ce contexte que l'ARCEP nous a présenté, le 25 octobre dernier, les conclusions de l'avis que nous lui avions demandé. Ces conclusions rejoignent les constats effectués par le Sénat.

L'un des sujets sur la table des négociations est celui de la refonte de la fiscalité des opérateurs télécoms. L'exemple le plus parlant est celui de l'imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux portant sur les stations radioélectriques : plus les opérateurs déploient de stations, pour couvrir le territoire en 2G, 3G et 4G, plus ils sont imposés, à hauteur d'environ 1600 euros par antenne. Cette imposition est vécue par les opérateurs comme étant en contradiction frontale avec l'objectif d'une meilleure couverture numérique du territoire. D'une manière générale, la question de la fiscalité des opérateurs télécoms est un sujet dont notre commission pourrait se saisir.

Je souhaite, enfin, attirer votre attention sur le fait que l'industrie de la fibre semble actuellement en tension, et que la question de savoir si elle pourra fournir les quantités nécessaires à la mise en oeuvre du plan France très haut débit peut être posée.

Aussi, après ce bref exposé d'analyse des crédits, je vous proposerai d'émettre un avis favorable sur les crédits de la mission économie pour 2018, sous les réserves évoquées.

J'en viens au second point du rapport, à savoir la question de la place du satellite dans la couverture numérique du territoire. Le Président de la République a, lors de la conférence des territoires, tenu un discours, semble-t-il, responsable en affirmant qu'il est, je cite, « impossible de tenir la promesse de tirer de la fibre dans tous les logements de la République ». En conséquence, il invitait à envisager l'ensemble des solutions permettant de remplir les objectifs de bon haut débit en 2020 et de très haut débit en 2022.

Le satellite fait partie, avec la boucle locale radio et la 4G fixe, des solutions hertziennes, parfois appelées « alternatives », en ce qu'elles constituent une option différente des technologies filaires ayant surtout vocation à être déployées dans les zones les plus reculées de notre territoire, où ces technologies filaires - à savoir le cuivre modernisé, le câble, et surtout la fibre - apparaissent particulièrement chères à mettre en place. Par exemple, pour les derniers 5 à 10 % de la population à couvrir, le coût par ligne de la fibre de bout en bout jusqu'à l'abonné est estimé entre 3 000 et 10 000 euros. Le coût du satellite est de 750 euros par ligne et ce, partout sur le territoire. Il est donc une solution à considérer pour permettre à nos territoires les plus éloignés de prendre le train du numérique, dans le cadre d'un mix technologique et en attendant l'arrivée de la fibre.

S'il partage avec les réseaux hertziens terrestres certains inconvénients, il est le seul à permettre de couvrir des zones très étendues, sans zone d'ombre et immédiatement après déploiement. Il est d'ailleurs aujourd'hui déployé dans un très grand nombre de pays et continents : aux États-Unis, en Afrique, en Australie ou encore au Brésil. C'est une solution souple : lorsqu'une technologie plus efficace est introduite dans une commune, sa capacité peut être redéployée. Surtout, la totalité du coût de construction est supportée par l'opérateur de satellite, s'il y a un marché à la clé. En revanche, le satellite géostationnaire étant situé à 36 000 kilomètres du sol, il existe un délai de latence incompressible, d'environ 0,5 secondes, ce qui ne peut pas satisfaire aux exigences d'immédiateté, notamment pour les jeux vidéo en ligne. Mais les progrès technologiques du satellite sont aujourd'hui très importants, notamment à travers les constellations, telles que le projet OneWeb, qui prévoit de déployer 900 satellites à partir de 2020 en vue de permettre un accès mondial à internet.

Si le chiffre exact relève du secret des affaires, il y a aujourd'hui assez peu d'abonnés en France : ils sont moins de 100 000. Ces abonnés sont servis par deux satellites construits par Airbus, KaSat et Astra 2F, respectivement opérés par Eutelsat et SES, qui commercialisent leurs capacités auprès des fournisseurs d'accès à internet (FAI). Le premier FAI à fournir des offres satellitaires est Orange, à travers sa marque Nordnet.

Ce faible nombre d'abonnés peut s'expliquer de différentes façons : un problème d'image lié à la première génération de satellites proposant un accès à internet - des accès à internet ont été fournis avec des satellites initialement prévus pour de la télévision, une saturation du satellite KaSat sur la moitié du territoire métropolitain, une très faible commercialisation par les grands opérateurs, historiquement portés sur le filaire, ou encore la limitation en volume de données dans les offres commerciales.

Par ailleurs, le satellite a fait l'objet d'un accompagnement plutôt marginal dans le cadre du plan France très haut débit : l'État participe, à hauteur d'un maximum de 150 euros, aux dispositifs mis en place par les collectivités territoriales visant à aider les particuliers à acquérir un kit composé d'une parabole et d'un modem, généralement facturé aux alentours de 400 euros. Ce dispositif d'accompagnement dépend donc de la décision des collectivités territoriales, et se retrouve sous différentes formes sur l'ensemble de notre territoire, ce qui nuit à sa lisibilité.

Aujourd'hui, la question du degré de mobilisation de la solution satellitaire dans le mix technologique pour atteindre les objectifs 2020 et 2022 est posée dans le cadre de la révision du plan.

Afin que la France adopte, pour la première fois, une position claire sur ce point comme sur celui de la mobilisation des autres technologies alternatives, un travail d'identification du nombre de foyers potentiellement intéressés a été engagé. Un tel travail d'objectivation des besoins et des solutions apparaît en effet fondamental afin de prendre des décisions en connaissance de cause.

Une fois le degré de mobilisation potentielle du satellite acquis, la question des moyens à mobiliser pour remplir l'objectif se posera. On peut ainsi réallouer les capacités de satellites déjà existants ou en cours de construction, ou encore lancer la construction de nouveaux satellites, qui pourraient être opérationnels, selon les industriels, dès 2020 dans le cas où une commande serait passée rapidement.

L'État a financé plusieurs programmes de recherche et développement afin de permettre à notre industrie de répondre aux besoins du marché en matière de satellites internet à grande et très grande capacité. Notre industrie est d'ailleurs aujourd'hui très bien positionnée, à la fois sur les satellites géostationnaires et sur les projets de constellations.

Or - et je souhaitais attirer votre attention sur ce point - Eutelsat envisage de couvrir la France à l'aide du satellite à très grande capacité actuellement en cours de construction par Boeing à la demande de son partenaire américain Viasat. Et à ce jour, aucun satellite n'est en cours de construction en vue de couvrir la France.

La France pourrait donc perdre une occasion de constituer une vitrine à l'export pour son industrie satellitaire. Cela vaut aussi bien pour les nouveaux satellites que pour les stations de connexion sol et les terminaux innovants mis en place par notre industrie. Il me semble donc essentiel, pour l'avenir de notre industrie aérospatiale et nos équipementiers, pour maintenir notre autonomie technologique, que l'ensemble des acteurs (constructeurs, opérateurs, fournisseurs d'accès à internet) trouvent un accord sur ce sujet.

À mon sens, certains éléments sont de nature à favoriser une commande par un opérateur privé. Tout d'abord, la solution satellitaire devrait être prise en compte par le plan France très haut débit dans des conditions optimisées. À tout le moins, la prise en charge devrait être la même sur tous les territoires concernés par la solution satellitaire.

Ensuite, une meilleure information des collectivités locales et des utilisateurs est nécessaire pour en favoriser la commercialisation - toujours et encore, dans le cadre d'un mix technologique.

Enfin, et corrélativement, une discussion doit avoir lieu avec les FAI sur la commercialisation des offres satellitaires et sur les voies et moyens de l'améliorer.

Telles sont, selon moi, les étapes pour engager notre industrie satellitaire française et européenne dans des investissements stratégiques. Stratégiques pour la couverture de notre territoire, face à des besoins de connectivité gigantesques et amenés à s'accroître. Il y a de la place, et nous avons besoin de toutes les technologies existantes. Stratégique aussi pour l'industrie française et l'indépendance technologique de la France. Avant, les satellites diffusaient la télévision, aujourd'hui, le futur du satellite, c'est internet. Mais c'est un autre marché, un autre modèle d'affaires, et notre industrie a besoin de s'asseoir sur les marchés domestique et européen afin de ne pas être dépassée par les technologies et moyens concurrents. La révision du plan France très haut débit constitue donc une opportunité historique pour la filière aérospatiale française.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion