Vous étiez tous impatients : nous abordons enfin le projet de loi de finances, avec l'analyse des principaux équilibres du budget de l'année 2018.
Nous avons récemment examiné la loi de programmation des finances publiques et détaillé à cette occasion les aspects conjoncturels. Je serai donc bref sur ce sujet. L'Insee a clairement établi que l'Europe bénéficiait d'une embellie conjoncturelle, ce que le commissaire européen Pierre Moscovici nous a confirmé hier. Dans sa lettre à la Commission européenne, le Gouvernement fait état de recettes conséquentes, de TVA notamment, qui facilitent le retour du déficit sous le seuil des 3 % du PIB.
Après une nouvelle année décevante, l'économie française présentait à l'issue de l'exercice 2016 une capacité de rebond supérieure à celle de ses principaux voisins, avec un écart de production deux fois plus important que la moyenne européenne. Déjouant les prévisions initialement pessimistes, l'économie française semble enfin s'orienter depuis le printemps 2017 vers une reprise solide. Pour ne donner qu'un chiffre, le nombre de déclarations d'embauche en contrat à durée indéterminée (CDI) s'est établi en septembre 2017 à un niveau qui n'avait jamais été atteint. Dans ce contexte, le Gouvernement a de nouveau relevé sa prévision de croissance pour l'année 2017, qui s'établit désormais à 1,7 %, contre 1,5 % initialement. L'Insee considère que la croissance atteindra les 1,8 % : la reprise est solide.
Cette accélération de la croissance s'accompagnerait en outre d'un dynamisme des prélèvements obligatoires, qui augmenteraient plus rapidement que le PIB. Ainsi, la trajectoire du Gouvernement est désormais fondée sur une hypothèse d'élasticité des prélèvements obligatoires au PIB de 1,3 en 2017, soit 0,3 point au-dessus de son niveau initial. En 2017, l'amélioration du contexte macroéconomique a ainsi grandement facilité la tâche du nouveau Gouvernement.
Au total, l'effet de l'amélioration de la conjoncture observée depuis le printemps sur le niveau du déficit 2017 peut être estimé à 0,4 point de PIB. En l'absence d'embellie conjoncturelle, la prévision de déficit public pour 2017 serait ainsi nettement supérieure au seuil de 3 % du PIB, en dépit des mesures de redressement mises en oeuvre par le Gouvernement à la suite de la publication des résultats de l'audit des finances publiques par la Cour des Comptes : le rabot sur les APL et les autres mesures d'urgence sont restées inefficaces.
Le président du Haut Conseil des finances publiques avait décrit un scénario macro-économique raisonnable. Les hypothèses de croissance et d'élasticité retenues pour 2017 sont prudentes. S'agissant de la croissance, le Gouvernement est ainsi, ce qui est rare, plus pessimiste que l'Insee, qui a révisé à 1,8 % sa prévision. Il est vrai qu'une hausse du PIB de 0,22 % au dernier trimestre serait suffisante pour atteindre 1,8 % de croissance sur l'année. L'objectif est plus qu'atteignable. Le Gouvernement est très prudent.
S'agissant de l'élasticité des prélèvements obligatoires, le Haut Conseil des finances publiques estime que « des évolutions plus favorables ne sont pas à exclure », en particulier pour les prélèvements sociaux et surtout la TVA. En matière de recettes, une bonne surprise à l'issue de l'exercice 2017 est donc possible.
Pour donner un ordre de grandeur, une révision du taux de croissance à 1,8 % en 2017 se traduirait par une amélioration du solde public d'environ 1,4 milliard d'euros, tandis qu'une élasticité des prélèvements obligatoires supérieure de 0,1 au niveau attendu permettrait un recul du déficit de 2,5 milliards d'euros, toutes choses égales par ailleurs.
Pour 2018, le présent projet de loi de finances fait l'hypothèse d'un maintien du taux de croissance à 1,7 %, en ligne avec les prévisions. Pour l'élasticité des prélèvements obligatoires au PIB, l'estimation du Gouvernement peut même être qualifiée de prudente : après avoir atteint 1,2 en 2016 et 1,3 en 2017, elle reviendrait à 1,0 en 2018.
S'il apparaît aujourd'hui raisonnable, le scénario macroéconomique sur lequel est construit le projet de loi de finances pour 2018 est naturellement entouré de risques, à la hausse comme à la baisse. J'ai choisi d'envisager deux scénarios alternatifs extrêmes fondés sur les prévisions des instituts de conjoncture privés les plus pessimistes et les plus optimistes. S'il faut en croire une vieille plaisanterie, les économistes ont été inventés pour que les météorologues se sentent moins seuls... J'ajouterais que si le pire n'est pas toujours sûr, le meilleur n'arrive pas toujours ! La sensibilité du solde au scénario retenu est importante : le déficit atteindrait 1,9 % du PIB dans le scénario favorable, contre 2,9 % du PIB dans le scénario défavorable.
Quant à la trajectoire budgétaire pour 2018, le Gouvernement prévoit un recul du déficit public de faible ampleur, alors même que le contexte conjoncturel est très favorable. Alors que le déficit devait initialement se réduire de 0,3 point de PIB, l'amélioration ne serait finalement que de 0,1 point de PIB, après prise en compte du contentieux lié à l'annulation de la taxe à 3 % sur les dividendes. À l'issue de l'exercice, le déficit atteindrait ainsi 2,8 % du PIB, soit un niveau très supérieur à celui de l'ensemble de nos principaux voisins. Le commissaire européen aux affaires économiques et financières, Pierre Moscovici, nous le rappelait encore hier : la France est le mauvais élève de l'Europe. Tous les pays ont sensiblement amélioré leur solde public sauf la France et l'Espagne. Pour la première fois depuis la crise, le déficit de l'Espagne s'établirait à un niveau inférieur à celui de la France. Un tel niveau de déficit étant insuffisant pour réduire la dette, la France serait le seul grand pays de la zone euro dont le ratio d'endettement ne diminuerait pas en 2018.
Si la réduction du déficit public prévue l'an prochain apparaît modeste, encore est-il nécessaire de préciser qu'elle résulte pour partie de l'amélioration de la conjoncture. En 2018, le solde conjoncturel s'améliorerait ainsi de 0,2 point de PIB, tandis que le déficit structurel, corrigé par les effets de la conjoncture et des mesures ponctuelles et temporaires, ne se réduirait que de 0,1 point de PIB.
Là encore, la réduction du déficit structurel anticipée par le Gouvernement apparaît significativement inférieure à celle prévue par les principaux pays de la zone euro qui demeurent éloignés de leur objectif à moyen terme (OMT) de solde structurel, à l'exception de l'Espagne.
En outre, elle apparaît difficilement compatible avec nos engagements européens. Pierre Moscovici nous a en effet rappelé hier que le volet préventif n'était pas moins exigeant que le volet correctif. La commission européenne a adressé une lettre au Gouvernement à ce sujet. En 2018, l'écart par rapport à l'objectif fixé par le Conseil européen atteindrait 0,5 point de PIB, soit la déviation maximum autorisée sur deux années. Autrement dit, la France aura épuisé dès l'exercice 2018 ses marges de manoeuvre, au risque de conduire la Commission européenne à ouvrir à son encontre une procédure pour déviation significative à l'issue de l'exercice 2019.
À cet égard, il doit être souligné que la réduction du déficit structurel prévue par le Gouvernement, aussi modeste soit-elle, n'est nullement garantie. En effet, tant l'OCDE que le FMI anticipent en 2018 une dégradation du déficit structurel de la France dans leur scénario central, contrairement au Gouvernement.
Ce redressement limité de la situation structurelle des comptes publics tient d'une part à la volonté louable du Gouvernement de ne pas différer la nécessaire baisse des prélèvements obligatoires ; d'autre part, au choix critiquable de reporter une part significative de l'effort de maîtrise de la dépense.
L'an prochain, le Gouvernement entend procéder à une baisse significative des prélèvements obligatoires, pour près de 7 milliards d'euros. Ce choix tranche avec la politique de choc fiscal menée lors du précédent quinquennat, dont nous avions souligné les effets délétères sur la compétitivité de l'économie et le consentement à l'impôt. Le « ras-le-bol fiscal » est une formule que je n'ai pas inventée.
Si les modalités et la composition des baisses d'impôts apparaissent critiquables - nous y reviendrons -, j'observe qu'elles devraient faire reculer la part des prélèvements obligatoires dans la richesse nationale. Malheureusement, ces baisses d'impôts s'accompagnent d'un effort de maîtrise de la dépense plus faible qu'escompté.
Dans le cadre du débat d'orientation des finances publiques, le Gouvernement s'était donné l'objectif inédit de stabiliser la dépense publique en volume en 2018. Cette ambition louable et inédite est finalement revue à la baisse avec une croissance de la dépense publique en volume de 0,5 %. Cela représente 14 milliards d'euros d'économies, contre 20 milliards d'euros dans le scénario initial.
Pour réaliser les 14 milliards d'euros d'économies prévues, tous les sous-secteurs des administrations publiques sont naturellement mis à contribution. S'agissant des collectivités territoriales, les économies en dépense intégrées aux prévisions pour 2018 sont supérieures à celles exigées dans le cadre du mécanisme de contractualisation. En effet, le Gouvernement fait l'hypothèse d'une croissance en valeur des dépenses de fonctionnement des administrations publiques locales de 0,5 %, et non de 1,2 % comme il l'avait prévu au titre de la contractualisation. En complément des économies prévues dans le cadre du mécanisme de contractualisation, il compte ainsi l'an prochain sur un effort supplémentaire réalisé sur une base volontaire par les collectivités territoriales pour respecter sa trajectoire de dépense, en lien avec la faiblesse de l'inflation.
S'agissant des administrations de sécurité sociale, le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2018 intègre un montant d'économies de 5,4 milliards d'euros sur le champ du régime général, dont 80 % concernent l'Ondam. Or, s'agissant de l'Ondam, la plupart des mesures proposées relèvent de leviers traditionnels déjà largement exploités (baisse des prix des médicaments, développement des génériques, etc.) et dont le potentiel d'économies finira par s'amoindrir.
Quant au budget de l'État, l'exercice 2018 devrait voir une dégradation marquée du déficit budgétaire. Le projet de loi de finances pour 2018 prévoit une détérioration significative du déficit budgétaire de l'État, qui passerait de 76,5 milliards d'euros en 2017 à 82,9 milliards d'euros en 2018. Cette dégradation résulte pour 6,6 milliards d'euros de la hausse des dépenses et pour 10 milliards d'euros de mesures nouvelles en recettes, cependant plus que compensées par l'évolution spontanée de ces mêmes recettes qui devrait atteindre 10,2 milliards d'euros en 2018.
Au total, les recettes de l'État devraient donc contribuer à améliorer le solde de 200 millions d'euros tandis que la dynamique des dépenses le dégraderait de 6,6 milliards d'euros - conduisant à relativiser l'affirmation du Gouvernement selon laquelle l'augmentation du déficit résulterait exclusivement des mesures de baisse d'impôt supportées par le budget de l'État.
Ainsi, la suppression de la contribution exceptionnelle de solidarité pèse pour 1,5 milliard d'euros, tandis que la hausse de la contribution au budget européen représente 2,3 milliards d'euros. Le troisième programme d'investissements d'avenir conduit à augmenter les dépenses de 1,1 milliard d'euros. Enfin, les dépenses pilotables de l'État devraient progresser de 1,7 milliard d'euros par rapport à l'exécution prévisionnelle pour 2017 qui intègre déjà un dérapage de 4,2 milliards d'euros par rapport à la loi de finances initiale pour 2017.
La décision du Conseil constitutionnel du 6 octobre 2017 relative à la contribution de 3 % sur les dividendes conduit à revoir à la hausse la prévision de déficit pour 2018 de 4,5 milliards d'euros au regard des mesures déjà annoncées par le Gouvernement. Au total, le déficit budgétaire de l'État serait donc dégradé de 10,5 milliards d'euros par rapport à la prévision révisée pour 2017.
L'évolution du déficit budgétaire renvoie évidemment à la dynamique des recettes et des dépenses. Les recettes totales nettes de l'État, globalement stables, devraient s'élever à 302 milliards d'euros en 2018 soit une très légère diminution de 0,4 %. Cette évolution recouvre une hausse de 2 % des recettes non fiscales et une baisse de 0,5 % des recettes fiscales nettes de l'État.
Cette réduction résulte de plusieurs mouvements de sens contraire. Les mesures nouvelles représenteraient une baisse de 10 milliards d'euros, contre une évolution spontanée de 10,2 milliards d'euros. La suppression de la taxe de 3 % sur les dividendes diminuerait de 1,8 milliard d'euros les recettes fiscales de l'État quand les mesures de transfert auraient un impact positif de 200 millions d'euros.
La baisse de 0,5 % des recettes fiscales nettes de l'État recouvre des mouvements contrastés selon l'impôt considéré. Ainsi, la taxe sur la valeur ajoutée augmenterait de 2,3 milliards d'euros et la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques croîtrait fortement, quand l'impôt sur le revenu serait quasiment stabilisé.
Les principales mesures nouvelles prévues par le projet de loi de finances pour 2018 représentent une réduction des impôts d'environ 5,5 milliards d'euros. En effet, le chiffre d'une réduction des impôts d'environ 10 milliards d'euros intègre l'incidence de mesures qui ont en réalité été adoptées sous la précédente mandature. Je vois que Claude Raynal, thuriféraire du gouvernement précédent, m'approuve.