Intervention de Corinne Imbert

Réunion du 13 novembre 2017 à 16h00
Financement de la sécurité sociale pour 2018 — Discussion générale

Photo de Corinne ImbertCorinne Imbert :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous entamons ce jour l’examen du premier projet de loi de financement de la sécurité sociale de ce quinquennat. Même s’il s’agit d’un projet de loi de financement ô combien important, je n’entrerai pas dans le détail de ses équilibres financiers, d’autres orateurs s’étant largement exprimés sur ce sujet.

Je m’attacherai plutôt, après quelques remarques générales, à aborder plus particulièrement deux sujets : la désertification médicale et l’hôpital, lequel subit, avec ce texte, un nouveau coup de rabot.

En tant que professionnelle de santé, je ne peux que me féliciter du contenu de ce PLFSS dans sa partie santé, que ce soit en matière de prévention, de pertinence des soins ou d’innovation. Le nier serait un manque d’honnêteté intellectuelle et contraire à ce que je pense être bon pour la santé de nos concitoyens.

Je salue également le financement de plus de 4 500 places d’EHPAD et de 1 500 places d’accueil de jour. C’est une bonne nouvelle pour nos territoires et pour les personnes âgées en perte d’autonomie.

Mais j’appelle votre attention, madame la ministre, sur les choix que vous-même et les agences régionales de santé serez amenés à faire. Dans certains départements, des lits d’EHPAD déjà autorisés ne sont pas encore installés. Souvent, les financements ne sont plus là. Je compte sur vous pour que ces lits ne passent pas systématiquement à la trappe ; ils doivent faire l’objet d’un examen attentif.

Malgré ces décisions que j’approuve, je ne peux vous donner, madame la ministre, un satisfecit général. Ce projet de loi présente en effet de grosses lacunes du point de vue financier. Je pense notamment à l’augmentation de la CSG. Je pense aussi aux 4 milliards d’euros d’économies que vous demandez au médicament, à la médecine de ville et à l’hôpital, en arrêtant une progression de l’ONDAM à 2, 3 %.

J’en viens à la question de la désertification médicale, qui concerne des villes, des zones périurbaines et, bien entendu, le monde rural. Le constat est sans appel : un Français sur dix vit dans un désert médical. À l’inverse de l’évolution observée pour le très haut débit, le phénomène du désert médical s’amplifie et s’étend à une grande partie du monde rural.

Le Gouvernement prétend pouvoir régler ce problème en sollicitant les étudiants en médecine et les médecins retraités. Si la décision de favoriser le cumul emploi-retraite pour les médecins est louable, je soutiens l’idée d’exonérer de cotisation vieillesse les médecins pouvant prétendre à une retraite à taux plein, mais qui font le choix, faute de successeur, de prolonger leur exercice en zone sous-dotée.

Mais n’est-ce pas insuffisant ? Ne peut-on pas envisager de soigner avec des médecins diplômés et en âge de le faire ? On ne peut pas continuer à utiliser des méthodes de substitution, il est grand temps de réfléchir à des solutions qui permettront l’installation de nouvelles générations de médecins et le développement de délégations de tâches entre professionnels de santé.

Les départements se mobilisent pour attirer de nouveaux professionnels de santé ; beaucoup font le choix de l’incitation pour remédier aux départs en retraite de nombreux médecins. Prenons l’exemple de la Charente-Maritime, que je connais bien : ce département propose des bourses d’études aux internes en médecine générale, en contrepartie d’une installation de quatre ans au minimum dans une partie du département où se pose la question de la désertification médicale. Plus au sud, l’Aveyron propose un accompagnement personnalisé des futurs médecins souhaitant s’y installer.

La ruralité est dynamique, innovante, mais ces politiques départementales ne peuvent être efficaces si elles ne sont pas accompagnées d’une réforme structurelle de l’organisation de la médecine. La remise à plat du numerus clausus a été une piste longuement évoquée pour faire face à cette situation alarmante. Cette solution a ses adeptes et, surtout, ses opposants, mais force est de constater que, sur trois médecins qui s’installent, un a été diplômé à l’étranger. Aussi, il devient urgent d’innover afin de répondre aux enjeux démographiques.

Le Gouvernement entend régler la question des déserts médicaux en construisant des maisons de santé en grand nombre. Ce sont évidemment des équipements de qualité, qui offrent de très bonnes conditions de travail, mais encore faudrait-il qu’il y ait des médecins pour s’y installer ! Le problème majeur des maisons de santé, c’est qu’elles n’ont pas fait neuf ans de médecine et que les murs ne soignent pas…

La question des déserts médicaux ne peut pas être entièrement réglée par des mesures directement liées à la santé. Ces zones oubliées de la République doivent bénéficier de soutiens supplémentaires de la part de l’État. Tout à fait consciente des attentes des jeunes médecins en termes de qualité de vie personnelle, je pense que l’attractivité de ces territoires passe par la mise en place d’un réseau internet de très haut débit et par le maintien d’un minimum de services publics en zone rurale. C’est une question d’aménagement du territoire – à cet égard, permettez-moi de rappeler que le réseau des officines de pharmacie est exemplaire en matière d’aménagement du territoire national et qu’il constitue une véritable colonne vertébrale en matière d’accès à la santé.

Comme le médecin généraliste est la pierre angulaire des soins de ville, l’hôpital est le pilier de notre système de santé, mais il est l’un des grands perdants du PLFSS pour 2018, puisqu’une économie de plus d’un milliard d’euros lui est encore demandée.

Les gouvernements successifs des cinq dernières années ont pratiqué la politique du « rabot » sur le dos de l’hôpital. Les conséquences sur la qualité des soins et sur les conditions de travail du personnel hospitalier s’en ressentent aujourd’hui. L’hôpital a su prendre le virage ambulatoire, mais ne perdons pas de vue l’intérêt du patient ni celui du personnel, et ne risquons pas la sortie de route. L’intérêt financier prévaut depuis longtemps par rapport à l’intérêt de santé publique, mais n’avons-nous pas atteint les limites de cette politique ? Nous ne pouvons plus demander encore de telles économies à l’hôpital et à l’industrie pharmaceutique.

Le numérique, la télémédecine, avec téléconsultation et téléexpertise, et l’intelligence artificielle sont autant d’outils qu’il faut encore mieux intégrer pour améliorer la prise en charge des patients. Sur cet aspect, vous avez compris les nouveaux enjeux du domaine médical, mais il faudra aller plus loin et plus vite.

L’hôpital public exerce d’autres missions. La recherche demeure une priorité, car elle est source d’innovations médicales et pharmaceutiques. La formation continue des praticiens hospitaliers et non hospitaliers est également l’une des prérogatives de l’hôpital ; cette transmission du savoir est essentielle pour le maintien de la qualité des soins français ; il faut continuer.

Si le Gouvernement n’apporte pas de solutions viables au monde hospitalier, alors il doit se résoudre à donner plus d’autonomie aux hôpitaux, à remettre sur un pied d’égalité les cliniques et les hôpitaux en matière de missions de service public. De grâce, essayons, innovons, faisons preuve d’audace ! Il n’y a rien de pire que la résignation et l’attentisme.

Parce que le vieillissement de la population, l’augmentation des maladies chroniques et l’innovation thérapeutique sont les enjeux d’aujourd’hui et de demain, des réformes structurelles s’imposent. La feuille de soins proposée par le Gouvernement est donc incomplète, trop prudente et parfois inadaptée à la pathologie observée. Les Français sont en droit de réclamer une qualité de soins décente ; les professionnels de santé sont en droit de réclamer des conditions de travail à la hauteur de l’énergie qu’ils dépensent dans l’exercice de leur profession. La tâche est immense et on ne peut plus se permettre d’attendre.

Soigner les soignants est notre mission aujourd’hui ; la santé du monde médical est en effet déclinante.

En conclusion, parce que le patient doit rester au cœur de nos préoccupations, je citerais le cruciverbiste Serge Mirjean, qui disait : « L’hôpital est un établissement public où les malades ont leurs maux à dire. »

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