Intervention de Jean-Yves Leconte

Commission des affaires européennes — Réunion du 16 novembre 2017 à 8h40
Institutions européennes — Régime électoral du parlement européen : communication de mme fabienne keller et m. jean-yves leconte

Photo de Jean-Yves LeconteJean-Yves Leconte :

Comme l'a indiqué Fabienne Keller, la présentation du rapport de la commission des affaires constitutionnelles du Parlement européen a été retardée en raison du Brexit. Ce report était également lié au souhait de plusieurs députés européens d'inclure dans l'initiative le principe d'une liste transnationale, qui pourrait reprendre les sièges laissés vacants par l'éventuel retrait du Royaume-Uni. Cette option ne figure pas dans le document présenté le 11 septembre dernier. Et pour cause, elle relève de la réforme de la loi électorale dont nous avons déjà débattu au sein de cette commission en mars 2016.

L'idée d'une liste transnationale dépasse le cadre du Parlement européen. Au Conseil, elle a également été portée par le gouvernement italien en avril 2017. Elle a recueilli le soutien de la Grèce. L'Italie souhaite, en outre que le candidat à la présidence de la Commission soit élu sur cette liste. Les têtes de liste au sein de cette circonscription commune seraient, ainsi, les candidats de chaque famille politique à ce poste. C'est ce qu'on appelle en allemand les « Spitzenkandidaten ». Dans son discours du 26 septembre dernier sur l'avenir de l'Union européenne, le Président de la République a appelé à la mise en place d'une circonscription transnationale atteignant la moitié des sièges au Parlement européen pour le scrutin de 2024. Il n'a pas évoqué pour autant la question des « Spitzenkandidaten ». En attendant, le Gouvernement porte, dans les discussions actuellement menées au Conseil sur la réforme de la loi électorale, un projet d'une circonscription européenne comprenant une cinquantaine de députés élus sur la base de listes transnationales. Cette option est compatible avec le rapport de la commission des affaires constitutionnelles qui prévoit que 51 sièges seront disponibles après le Brexit. Le Gouvernement souhaite une mise en oeuvre dès 2019. Cette ambition peut cependant paraître élevée. L'idée ne fait pas consensus au sein du Conseil et l'Acte électoral de l'Union doit être adopté à l'unanimité puis soumis à ratification au sein de chaque État membre.

Le principe d'une liste transnationale peut apparaître séduisant. Il peut être envisagé comme un moyen de renforcer le débat européen en le soustrayant aux enjeux nationaux. Il s'agit d'accroître l'audience des partis transeuropéens, de stimuler un véritable débat européen au moment du scrutin, et contribuer ainsi au développement d'un véritable espace de débat public européen, essentiel à la démocratisation de l'Union européenne. Chaque citoyen disposerait de deux voix, l'une pour le cadre national et l'autre pour le cadre européen.

Dans son discours sur l'état de l'Union, prononcé le 13 septembre 2017, le président de la Commission européenne s'est également montré favorable à la mise en place d'une circonscription européenne et a rappelé son attachement au principe des « Spitzenkandidaten ». Il n'a pas, pour autant, précisé le nombre de députés élus au sein des listes transnationales ni envisagé d'aller au-delà de ce qui avait été opéré en 2014 pour l'élection à la présidence de la Commission.

On peut comprendre cette prudence. Le projet français ne prévoit d'ailleurs pas spécialement l'élection des candidats à la présidence de la Commission via la circonscription transnationale. Celle-ci implique en effet une révision des traités. Ces derniers prévoient pour l'heure que le candidat à la présidence de la Commission européenne est présenté par le Conseil européen en tenant compte des résultats aux élections européennes. La pratique observée lors du dernier scrutin européen tend à souligner que le dispositif actuel permet de respecter le choix des électeurs. Le candidat officiel du Parti populaire européen Jean-Claude Juncker, vainqueur des élections, a été désigné par le Conseil européen. La procédure actuelle offre par ailleurs de la souplesse en cas de majorité incertaine au Parlement européen, le Conseil pouvant présenter un candidat qui n'était pas tête de liste de chacun des partis mais à même de réunir sur son nom une coalition.

Nous avons adopté en mars 2016 une position réservée sur ce sujet. Nous estimions, en effet, que le projet de circonscription commune ne garantissait pas de donner une meilleure visibilité au scrutin et de renforcer le débat européen. Les électeurs seraient amenés à effectuer un double choix le jour du vote, en faveur d'une liste transnationale et d'une liste nationale. Le système peut apparaître complexe là où toute démarche doit s'orienter vers un renforcement de la lisibilité du scrutin.

S'opère de surcroît une distinction entre députés européens issus de la première liste, conduite dans le projet du Parlement européen par le candidat à la présidence de la Commission européenne, et ceux de la deuxième, moins prestigieuse. La question des partis ne bénéficiant que d'une assise nationale est par ailleurs posée : dans quelle mesure peuvent-ils s'inscrire dans une circonscription par essence européenne ? Plus largement, la mise en place d'une circonscription commune rend encore plus nécessaire une harmonisation du droit électoral concernant les élections européennes. Le droit doit être le même entre la circonscription commune et celles mises en place au sein des États membres. Or, force est de constater que cette harmonisation est encore loin d'être acquise. Je pense notamment à la date des élections qui n'est pas forcément la même d'un pays à l'autre.

Dans ces conditions, nous jugions que le projet de circonscription pouvait de fait s'avérer contraire aux traités et à certaines traditions nationales. Il apparaissait, de surcroît, difficile à mettre en oeuvre compte tenu des décalages entre partis nationaux et formations politiques européennes. La Commission a bien présenté, en septembre dernier, une réforme du financement des partis politiques européens et des fondations qui leur sont associées. Il convient cependant de relever que le texte n'aborde pas la question du financement de la campagne électorale et ne vise que les subventions accordées aux partis comptant des élus.

Nous avions finalement retenu le principe d'une circonscription commune réservée aux citoyens des États membres résidant dans les pays tiers. C'est dans ce cadre que cette idée nous paraissait la plus adaptée. Elle réunirait l'ensemble des citoyens résidant hors de l'Union européenne. Si 23 pays, dont la France, prévoient le droit de vote pour les expatriés depuis leur lieu de résidence, ce droit n'est pas forcément applicable aux élections européennes : la Belgique, le Danemark, l'Italie et le Portugal n'accordent le droit de vote qu'à leurs ressortissants qui résident dans un autre État de l'Union. L'Allemagne réserve ce droit de vote aux citoyens qui résident dans un autre pays depuis moins de vingt-cinq ans. Au Royaume-Uni, seules certaines catégories de résidents à l'étranger sont concernées, à l'instar des citoyens vivant à l'étranger depuis moins de quinze ans. À l'inverse, Chypre, la Grèce, l'Irlande ou Malte n'ont pas adopté de dispositions pour les résidents dans les pays tiers, quel que soit le scrutin. Pour la France, il peut même y avoir un double droit de vote pour les citoyens résidant dans un pays tiers mais disposant toujours d'une adresse en France. Par ailleurs, dans les pays qui l'autorisent, les citoyens résidant à l'étranger sont parfois tenus de voter uniquement en personne, le vote par correspondance n'étant pas possible, ce qui peut poser des difficultés. De fait, notre projet de circonscription commune permettrait de garantir aux citoyens de l'Union résidant dans les pays tiers le droit à une représentation au Parlement européen. Reste à déterminer la composition de cette circonscription et l'Autorité chargée du contrôle de la sincérité du scrutin au sein de celle-ci.

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