La première partie du projet de loi de finances comprenait initialement 29 articles ; l'Assemblée nationale a introduit 28 articles additionnels, nous avons donc 57 articles à examiner. Je ne peux que souscrire aux propos de Bruno Le Maire hier qui invitait à tirer les leçons du rapport de l'inspection générale des finances (IGF) et à mieux préparer les lois en amont. Les articles rédigés à la hâte sur un coin de table posent souvent des problèmes juridiques. Un grand nombre des articles de première partie de ce projet de loi de finances sont en réalité techniques et je concentrerai donc mes propos sur les articles ayant un certain enjeu, en vous renvoyant à mon rapport écrit pour le détail de chaque mesure fiscale proposée.
Le Gouvernement a fait le choix de ne pas remettre en cause les mesures fiscales prises par la précédente majorité, notamment la baisse progressive du taux de l'impôt sur les sociétés (IS) qui commencera à prendre effet en 2018 ou encore l'élargissement du crédit d'impôt pour l'emploi de personnes à domicile. Malgré ce choix qui réduit les marges de manoeuvre du Gouvernement en matière fiscale, celui-ci propose trois dispositions nouvelles ayant un effet significatif dès 2018 : la suppression progressive de la taxe d'habitation, à l'article 3, pour un coût de trois milliards d'euros ; la mise en oeuvre du prélèvement forfaitaire unique (PFU) à l'article 11, dont le coût est estimé à 1,3 milliard d'euros, et la transformation de l'impôt de solidarité sur la fortune en impôt sur la fortune immobilière (IFI) à l'article 12, dont le coût est estimé à 3,2 milliards d'euros.
Notre commission avait créé, avant le renouvellement sénatorial, un groupe de travail sur la taxe d'habitation et entend faire des propositions. Nous avons reçu les réponses au questionnaire que nous avions adressé au Trésor cet été sur la fiscalité locale chez nos voisins. Ce sujet est particulièrement complexe. Soyons francs, nous manquons de temps en période budgétaire pour réinventer entièrement la fiscalité locale alors que nous n'avons pas fini d'évaluer les conséquences de la réforme de la taxe professionnelle...
La réforme proposée ici de manière brutale pour toutes les communes ne saurait constituer le point de départ d'une réflexion. La taxe d'habitation restera inéquitable car elle continuera à être assise sur des bases locatives obsolètes et injustes. Ensuite, elle se concentrera sur 20 % des ménages, alors même que 83,4 % du produit de l'impôt sur le revenu est déjà acquitté par 20 % des contribuables, dont on peut penser qu'il s'agira, dans une large mesure, des mêmes que ceux qui continueront d'acquitter la taxe d'habitation. Sur 36 200 communes pour lesquelles nous disposons de données exploitables, 194 pourraient ne plus compter qu'un seul contribuable, 7 800 moins de dix et 3 200 moins de cinq. Une telle situation soulève une question d'ordre constitutionnel, au regard du principe d'égalité devant l'impôt, qu'il reviendra au Conseil constitutionnel de trancher. Le Gouvernement reconnaît du reste qu'il y a un problème.
Cette réforme se traduira aussi par une aggravation des inégalités territoriales, au détriment des communes les moins favorisées, pour lesquelles le pouvoir de taux effectif sera considérablement limité, voire inexistant. Selon les simulations transmises par la direction de la législation fiscale, 206 communes devraient voir l'ensemble de leurs contribuables exonérés ou intégralement dégrevés de taxe d'habitation. En revanche, la part de contribuables exonérés ne s'élèvera qu'à 35 % à Neuilly-sur-Seine et à 56 % à Paris. Au total, cette réforme apparaît donc à la fois précipitée et incohérente, concentrant sur un faible nombre de contribuables un impôt assis sur des base obsolètes.
Il est symptomatique que la lettre de mission adressée par le Premier ministre à notre collègue Alain Richard, et à Dominique Bur, préfet de région honoraire, prévoie que ces derniers devront « envisager un scénario consistant à supprimer intégralement la taxe d'habitation, à terme, et à compenser cette réforme via une révision d'ensemble de la fiscalité locale ». Le Gouvernement a donc mis la charrue avant les boeufs et a décidé avant de réfléchir ! N'est-ce pas plutôt au Parlement et aux commissions des finances de mener la réflexion, plutôt qu'à des comités ad hoc ? Il convient en tout cas de se donner le temps de mener ces réflexions, qui devront aboutir à une refonte globale de la fiscalité locale. C'est pourquoi je vous proposerai, avec mon amendement de suppression, de reporter la réforme pour nous laisser le temps de faire des propositions abouties.
Autre disposition d'importance, le prélèvement forfaitaire unique, idée simple et séduisante en apparence - qui réjouirait notre ancien collègue Dassault ! - même si sa rédaction occupe 35 pages et 324 alinéas dans le texte qui nous a été transmis par l'Assemblée nationale ; il s'agit de revenir sur l'alourdissement considérable de la fiscalité de l'épargne au cours du précédent quinquennat. À ce stade et sous réserve de l'examen plus approfondi du dispositif, notamment des clauses anti-abus, je vous proposerai un seul amendement visant à maintenir le régime actuel d'abattements applicables aux plus-values de cession réalisées par des dirigeants de PME partant à la retraite. Il importe en effet de préserver le potentiel de croissance des entreprises dont le dirigeant atteint l'âge de la retraite.
L'immobilier est maltraité dans ce budget : outre l'article 52, et la transformation de l'ISF en IFI, il est exclu de l'assiette du nouveau prélèvement forfaitaire unique. Je me suis interrogé sur l'opportunité d'inclure les revenus tirés de l'investissement immobilier dans l'assiette de ce nouveau prélèvement afin de réduire la distorsion fiscale entre investissement mobilier et immobilier que la réforme a accrue, comme je le montre dans mon rapport La « rente immobilière » : mythe et réalités. Je crains d'ailleurs une crise de l'immobilier. Le logement social, cher à Philippe Dallier, sera touché au même titre que le parc locatif privé. Toutefois, le PFU s'applique déjà à une partie des investissements immobiliers indirects, dits « pierre-papier » : ainsi, les dividendes et autres produits répartis par les sociétés d'investissement immobilier cotées (SIIC) sont imposés dans la catégorie des revenus mobiliers et les plus-values de cession relèvent du régime des valeurs mobilières, c'est-à-dire du PFU après réforme. Il en va de même pour les sociétés immobilières d'investissement et de gestion (SII et SIG) et les sociétés à prépondérance immobilière à capital variable (SPPICAV) ou encore les organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM) dits « immobiliers ».
Trois principaux motifs m'ont conduit à écarter, à ce stade, l'intégration des revenus fonciers au dispositif. D'une part, le coût d'une telle extension du prélèvement forfaitaire unique serait très élevé : d'après les déclarations du ministre de l'économie et des finances, en séance à l'Assemblée nationale, il serait de 3,3 milliards d'euros pour l'État. D'autre part, la taxation forfaitaire des revenus du capital est justifiée car ces placements sont très mobiles. Il en va différemment pour les placements fonciers peu mobiles : le risque d'effritement de l'assiette est donc moindre que pour les revenus du capital. Les revenus fonciers ne font pas non plus l'objet d'une double taxation, à l'impôt sur les sociétés puis à l'impôt sur le revenu : le bénéfice d'un taux réduit d'imposition sur le revenu peut donc apparaître moins facile à défendre. Mais surtout, l'intégration des revenus fonciers au prélèvement forfaitaire unique risquerait, paradoxalement, d'alourdir la fiscalité pesant sur les revenus immobiliers de certains contribuables. En effet, au-delà d'une durée de détention de neuf ans, les abattements actuels en matière de plus-values immobilières sont plus avantageux que le PFU. Il semble problématique de remettre en cause ce régime de façon soudaine et inattendue. Le propriétaire qui vendrait un appartement qu'il détient depuis 22 ans serait alors imposé alors qu'il est exonéré dans le régime actuel hors prélèvements sociaux. Enfin, l'articulation entre le PFU et les dispositifs fiscaux dérogatoires en matière d'immobilier devrait être expertisé. Pour toutes ces raisons, l'intégration des revenus fonciers au PFU m'a paru difficile à mettre en oeuvre dans les délais réduits de l'examen du projet de loi de finances sans risquer d'induire des effets contreproductifs sur la taxation de l'immobilier.
L'assiette du nouvel impôt sur la fortune immobilière (IFI), composée des actifs immobiliers non affectés à l'activité professionnelle de leur propriétaire, m'apparaît incohérente. En effet, la « pierre-papier » et l'investissement locatif sont inclus dans le périmètre du nouvel impôt, alors même qu'il s'agit indéniablement de placements productifs, et que l'immobilier représente 18 % de la valeur ajoutée en France et contribue au dynamisme de l'économie française, ce qui n'est pas le cas des dépôts bancaires dormants. Ensuite, l'IFI exclut de son assiette des actifs tels que les liquidités et des biens (voitures, or, yachts, etc.), qui représentent actuellement une part substantielle de l'assiette de l'ISF et peuvent difficilement être qualifiés de productifs. Pour mémoire, les liquidités dans les déclarations d'ISF représentent une base taxable de 69,7 milliards d'impôts et seront désormais exonérées. Si je souscris à la stratégie du Gouvernement visant à exonérer les biens productifs pour taxer les biens improductifs, je ne comprends pas la cohérence de ces dispositions. Ainsi celui qui vendrait un appartement qu'il louait à titre non professionnel pour laisser le produit de la vente sur son compte courant serait exonéré d'IFI tandis que celui qui continuerait à le louer serait imposé !
Si ce nouvel impôt apparaît très discutable sur le plan de l'efficacité économique, il l'est aussi sur le plan de l'équité : l'IFI concentrera l'imposition sur les membres de la classe moyenne supérieure dont la résidence principale s'est fortement appréciée, notamment à Paris, ou sur ceux qui ont reçu en héritage un bien familial. Je montre dans mon rapport que la composition du patrimoine varie en fonction du revenu : les ménages à faible revenu possèdent essentiellement des liquidités, tandis que le patrimoine des classes moyennes est principalement composé de la résidence principale ; au-delà, la part de l'immobilier dans le patrimoine diminue en fonction du niveau de richesse. Les grandes fortunes ne seront donc pas touchées par l'IFI.
C'est un impôt complexe, à cause des clauses anti-abus ; il soulève d'importantes difficultés tant sur le plan juridique que pratique, en particulier pour les actifs situés à la frontière entre les valeurs mobilières et immobilières. Il faudra par exemple dans les contrats d'assurance-vie multi-supports isoler la part qui relève de l'immobilier ; de même, il faudra distinguer la part de dettes immobilières dans les bilans des entreprises. C'est un nid à contentieux !
Afin de masquer l'incohérence de l'assiette retenue, l'Assemblée nationale a voté de multiples surtaxes, concernant les cessions d'or et objets précieux, les droits sur les navires de plaisance, ou encore les taxes sur l'immatriculation des voitures de sport. C'est de l'affichage : il ne reste guère de yachts immatriculés en France tandis que les voitures de sport seront louées auprès des sociétés et non achetées ! Ces taxes rapporteraient en outre moins de 40 millions d'euros, ce qui est sans commune mesure avec le montant de l'exonération de ces biens au titre du nouvel IFI.
J'ai donc la tentation de prendre une mesure plus logique et plus simple consistant à supprimer totalement d'impôt de solidarité sur la fortune. Le problème de l'ISF est que son taux est décorrélé du rendement des actifs. En 1982, le taux des OAT était de 15 % et le taux de l'impôt sur les grandes fortunes était au maximum de 1,5 %, donc le taux d'imposition réel s'établissait à 10 % du rendement. Aujourd'hui, compte tenu du rendement des OAT, de 1,7 % à 30 ans, le taux d'imposition est proche de 100 % du rendement. Il conviendrait de supprimer l'ISF. Le Gouvernement a fait les trois-quarts du chemin, aidons-le à aller jusqu'au bout. Cela ne coûterait que 850 millions d'euros. Je ne vous propose cependant pas à ce stade d'amendements afin que nous puissions échanger au préalable entre nous sur les options possibles, et je vous demanderai de réserver notre vote sur les quatre articles correspondants.
J'en viens maintenant aux autres dispositions de ce texte, dont certaines sont satisfaisantes puisque nous les avons inspirées. Ainsi, je vous proposerai d'adopter les articles qui reprennent des positions traditionnelles de notre commission des finances, en particulier l'article 15 qui revient sur l'extension de la taxe sur les transactions financières (TTF) aux opérations infrajournalières, extension à laquelle notre commission des finances s'est opposée de manière constante. Je vous proposerai de confirmer la suppression de la contribution de 3 % sur les revenus distribués, à l'article 13, qui a de toute manière été censurée par le Conseil constitutionnel.
Contrairement aux précédents projets de loi de finances, l'article 2 se contente d'indexer le barème de l'impôt sur le revenu sur l'inflation, sans en revoir les paramètres. Je ne peux que me réjouir que l'assiette de cet impôt ne soit pas rabotée à nouveau. Cependant, je vous proposerai un amendement afin de faire un geste en faveur des familles, maltraitées fiscalement par le précédent Gouvernement et vers lesquelles le nouveau Gouvernement entend également se tourner pour faire de nouvelles économies puisque la réforme de la prestation d'accueil du jeune enfant entraînera une perte de prestations comprise entre 1 100 et 2 000 euros par an pour quelque 150 000 familles comptant des enfants de moins de trois ans. Je vous proposerai donc de relever le plafond du quotient familial.
Parmi les mesures fiscales de première partie figurent également des dispositions relatives à la fiscalité écologique. Tout d'abord, le Gouvernement a renoncé à l'article 8 qui aménageait dès la fin septembre les modalités d'application du crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE). Ces aménagements étaient trop précipités, même s'il faut éviter les effets d'aubaine. Je vous propose de confirmer la suppression de cet article et le report de la réforme aux travaux réalisés en 2018 pour tenir compte des contraintes des professionnels, tout en restant ouvert à des aménagements.
L'article 9 définit la trajectoire de la composante carbone pour la période 2018-2022 et ses conséquences en matière de tarifs de taxes intérieures de consommation. Ces dispositions alourdiront la fiscalité sur les ménages, notamment les ménages modestes et ceux situés en zone rurale, qui subiront la hausse du prix des carburants. Ainsi, en 2018, la hausse de la composante carbone de 30,5 à 44,6 euros par tonne de CO2, cumulée à la hausse de 2,6 centimes d'euro du tarif de la TICPE applicable au gazole, devrait dégager un rendement de 3,7 milliards d'euros. Cependant, à ce stade je ne vous propose pas de revenir sur ces dispositions qui participent du renforcement de notre fiscalité environnementale dans un contexte de coût de l'énergie relativement bas. Je n'exclus pas en revanche de proposer des amendements sur certains dispositifs de fiscalité énergétique dont la rédaction ne me semble pas opérationnelle le moment venu.
Cette année la dotation globale de fonctionnement ne subira pas de diminution brutale. Je vous proposerai un amendement supprimant la minoration de 65,8 millions d'euros des fonds départementaux de péréquation de la taxe professionnelle (FDPTP) qui bénéficient très majoritairement aux communes fragiles. Je ne vous proposerai pas de revenir sur le montant de TVA attribué aux régions, les promesses du précédent Gouvernement n'étant pas financées. Enfin, je vous proposerai d'harmoniser les dates de la période transitoire de maintien des effets du classement de certaines communes en zones de revitalisation rurale (ZRR).
Enfin je vous proposerai à l'article 26 de tirer les conséquences de l'amendement adopté par notre commission sur l'article 7 du PLFSS supprimant la hausse de CSG sur les retraités. Il s'agit de revoir à la hausse la fraction de TVA affectée à l'assurance-maladie.
L'examen de ce matin n'est qu'un premier échange sur les articles fiscaux. La semaine prochaine, nous devrons nous prononcer sur les articles pour lesquels je vous propose de réserver notre vote aujourd'hui. Je n'exclus pas non plus de vous présenter des amendements sur d'autres thèmes qui me sont chers comme la fiscalité applicable aux donations, les investissements des petites et moyennes entreprises, la fiscalité de l'économie collaborative, l'amélioration des rentrées fiscales en matière de TVA ou encore la taxation des GAFA.