Intervention de Victorin Lurel

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 15 novembre 2017 à 14h35
Projet de loi de finances pour 2018 — Compte d'affectation spéciale « participations financières de l'état » - examen du rapport spécial

Photo de Victorin LurelVictorin Lurel, rapporteur spécial du compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État » :

Vous avez devant vous un sénateur béotien qui découvre le fonctionnement de ce compte d'affectation spéciale. Ce compte constitue le support budgétaire des opérations conduites par l'État en tant qu'actionnaire via l'Agence des participations de l'État (APE).

J'ai le sentiment qu'il est demandé au Parlement de donner un blanc-seing à l'État : l'exécution budgétaire n'est en effet jamais conforme aux autorisations que nous votons.

Pour préserver la confidentialité des opérations de cession qui pourraient intervenir au cours de l'exercice, la programmation initiale est conventionnellement fixée à cinq milliards d'euros tant en recettes qu'en dépenses. Certes, un déficit de 1,5 milliard d'euros avait été prévu l'an dernier pour tenir compte de l'effort engagé pour restructurer la filière nucléaire, qui correspond au versement du budget général vers le compte opéré par le décret d'avance du 12 juillet 2017. Il faut d'ailleurs rendre hommage à l'action du précédent Gouvernement à cet égard.

Une nouvelle vague de cessions a été annoncée par le Gouvernement, pour un montant de 10 milliards d'euros. On laisse entendre en creux que l'État ne saurait rester actionnaire dans le secteur concurrentiel et qu'il doit se concentrer sur les secteurs stratégiques.

En intégrant les dividendes versés au budget général depuis la création du compte, le solde cumulé du compte spécial atteindrait 73 milliards d'euros. Les versements du budget général ont été de 31 milliards d'euros, ce qui signifie que la participation de ce compte au budget de l'État a été de 42 milliards d'euros - 25 milliards d'euros rien que pour les cinq dernières années !

Les participations de l'État s'élèvent à 140 milliards d'euros et se répartissent entre trois acteurs : l'Agence des participations de l'État, qui gère 100 milliards d'euros, Bpifrance, qui gère 15 milliards d'euros et la Caisse des dépôts et consignations qui gère 24,4 milliards d'euros.

Le Gouvernement nous annonce une cession imminente de participations pour un montant de 10 milliards d'euros. Mais compte tenu des incertitudes et de l'obligation de confidentialité pour ne pas dévoiler d'informations aux marchés, les parlementaires n'ont pas accès aux données et la programmation du compte est fixée conventionnellement à 5 milliards en recettes comme en dépenses. Nous ne savons pas non plus quelles cessions sont envisagées, même si la presse évoque la Française des Jeux ou Aéroports de Paris (ADP).

En outre, l'État a une pratique curieuse : par exemple, il a cédé des actions à Bpifrance, comme celles de Peugeot récemment, mais c'est l'EPIC Bpifrance qui en recevra les dividendes. Ce régime déroge en partie à l'esprit de la loi organique relative aux lois de finances qui prévoit que les dividendes payés en numéraire doivent être versés au budget général, tandis que les dividendes payés en titres sont versés au compte d'affectation spéciale.

Un fonds pour l'innovation de 10 milliards d'euros ? Pourquoi pas, mais cela suppose de redéfinir la politique des participations de l'État. On a rarement réalisé un tel volume de cessions ; en moyenne ces dernières années, elles s'élèvent à 2 milliards ou 3 milliards d'euros par an.

L'argent serait placé, de sorte que le fonds rapporterait 200 millions d'euros chaque année pour financer les innovations de rupture. À l'origine, il s'agit d'une idée de Bpifrance pour compenser la baisse des crédits du programme 192 « Recherche et enseignement supérieur en matière économique et industrielle ».

Je ne comprends pas le mécanisme : comment ces recettes pourraient-elles ne pas alimenter le budget général ? Est-ce une forme de débudgétisation ? Il aurait été plus simple, comme la Cour des comptes l'a évoqué, de modifier le statut de l'Agence des participations de l'État pour l'autoriser à percevoir les dividendes en numéraire en s'accordant sur un dividende annuel que l'Agence devrait verser à l'État. Ensuite, libre à l'État d'utiliser ces ressources pour financer l'innovation.

Surtout, comment vendre 10 milliards d'euros rapidement sans risquer de brader nos participations ni sans remettre en cause la confidentialité des opérations ? Vinci vient d'ailleurs de déclarer qu'il serait candidat au rachat de tous les aéroports.

Je vous ai précisé que l'Agence des participations de l'État gérait un portefeuille de participations évalué à 100 milliards d'euros. Mais elle ne peut pas céder ses participations régaliennes ni celles dans l'énergie ou le nucléaire, vu la restructuration en cours d'Areva. Le montant des participations considérées comme cessibles s'élève en fait à 30 milliards d'euros : on envisage donc d'en céder le tiers.

Je reste persuadé qu'au-delà de nos philosophies et de nos options politiques, chacun reconnaîtra que posséder un matelas de participations de 100 milliards d'euros constitue un puissant levier d'action économique et stratégique. En janvier 2014, une doctrine d'intervention a été établie afin de préciser les principes justifiant les interventions de l'État selon quatre objectifs : la souveraineté, les infrastructures et opérateurs de service public, l'accompagnement de secteurs stratégiques pour la croissance et le sauvetage.

Par ailleurs, l'État a fait deux choix différents au cours de ces derniers mois. S'il a exercé son droit de préemption sur STX France afin de négocier un accord plus équilibré avec l'État italien, il a renoncé, en parallèle du rapprochement entre Alstom et Siemens, à acquérir les titres Alstom prêtés par Bouygues. Nous aurions pourtant pu facilement procéder de la même manière qu'avec Fincantieri pour les titres STX France, avec une location de titres à Siemens. Ainsi, l'État aurait ainsi pu peser davantage sur la stratégie future du nouvel ensemble.

Cela signifie non seulement que la doctrine est à géométrie variable, mais qu'elle est en train de bouger et le Parlement n'est pas informé ! On nous demande de voter pour donner un blanc-seing alors que l'on sait très bien que les prévisions sont formelles et ne seront pas respectées. C'est seulement à l'occasion de la loi de règlement que ne serons informés de ce qui s'est passé. Aussi, je m'en remets à la sagesse de notre commission pour le vote sur ce compte d'affectation spéciale.

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