La mission « Administration générale et territoriale de l'État » compte 2,757 milliards de crédits de paiement. Une fois passées les circonstances de l'année en cours, à savoir les rendez-vous électoraux, nous revenons à une situation correspondant au rythme de croisière d'une mission qui - c'est une évidence revendiquée comme telle - n'est pas prioritaire. Le projet de loi de programmation des finances publiques le confirme en retenant un simple maintien des dotations en valeur à l'horizon 2020. Or cette mission porte les moyens de l'administration générale de l'État dans les territoires ; la sourde relégation budgétaire qu'elle subit ne peut nous satisfaire, nous qui sommes témoins au quotidien de l'effacement progressif des territoires dans les préoccupations de l'État.
La crédibilité de la budgétisation de la mission souffre de certains défauts structurels. En premier lieu, la très grande majorité de ses crédits est contenue dans deux programmes réservoirs qui concourent à des politiques publiques mobilisant d'autres missions, si bien que le principe de spécialité budgétaire et la démarche de performances consacrés par la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) se trouvent altérés. Par ailleurs, le principal opérateur de la mission, l'agence nationale des titres sécurisés est financé, hors crédits, par des recettes affectées importantes - plus de 200 millions - dont la justification au cas par cas est plutôt médiocre. Enfin, la mission souffre de sous-budgétisations récurrentes que l'exercice en cours mais aussi le budget présenté illustrent encore - j'en signalerai certaines. Les crédits demandés au titre de la masse salariale, soit les trois quarts de la mission, sont un peu virtuels, car reposant sur des hypothèses dépassées. Si les conditions précises de la politique salariale qu'entend appliquer le Gouvernement ne sont pas entièrement connues, certaines orientations sont claires. La suspension du protocole « Parcours professionnels, carrières et rémunérations » (PPCR) servira à financer la compensation accordée aux fonctionnaires dans le cadre de la hausse de la contribution sociale généralisée (CSG), trains de mesures dont l'impact sur les agents sera négatif et qui devraient être traduites dans le budget pour certaines d'entre elles. Or elles ne le sont pas.
Le programme 307, dont les crédits sont au niveau de 2015, illustre le manque d'attention porté à la mission. Est-ce à dire que rien ne s'est passé depuis ? Certes non ! En application du « plan préfecture nouvelle génération » qui, avec la nouvelle directive nationale d'orientation des préfectures et des sous-préfectures, a incarné les orientations de la gestion du ministère, les guichets du réseau préfectoral ont été fermés aux usagers et 1 300 équivalents temps plein travaillé (ETPT) supprimés, ce qui a prolongé une tendance bien installée. Dans la dernière décennie, le réseau des préfectures et des sous-préfectures a perdu plus de 11 % de ses moyens. La réforme des régions n'est pour presque rien dans ce processus : ce sont les préfectures départementales et, plus encore, les sous-préfectures qui ont été touchées.
La fin de l'accessibilité du réseau pour nos compatriotes, en particulier pour l'obtention des titres d'identité a pu être partiellement compensée par l'effort des mairies sélectionnées pour être les points d'entrée du système mais, dans le processus de dématérialisation qui est presque achevé, 33 000 points d'entrée en mairie ont dû être supprimés. Inutile de trop insister sur le fait que les emplois supprimés dans le réseau des préfectures n'ont jusqu'à présent pas été réaffectés aux priorités affichées, et qu'en particulier, les moyens annoncés pour donner une nouvelle dynamique aux relations entre l'État et les collectivités territoriales mais aussi pour améliorer l'animation des politiques publiques sur le terrain ne sont pas au rendez-vous. Les missions ont été soit abandonnées, soit réduites dans leurs ambitions, y compris la mission constitutionnelle des préfets du contrôle de légalité.
Sans doute faut-il prendre en compte les événements : les nécessités liées à l'accueil des étrangers ont mobilisé des moyens nouveaux restent très insuffisants, compte tenu de l'augmentation de l'activité et de la complexité de certaines situations. On peut en dire autant des besoins liés à la sécurité des Français.
Je relève que le projet de budget ne compte que 30 créations d'emplois sur ces thématiques, alors qu'il supprime 415 ETPT dans le réseau des préfectures. Les créations d'emplois devraient être concentrées dans les services d'éloignement des préfectures dont le tragique attentat de Marseille a illustré certaines difficultés. À ce propos, le ministère de l'intérieur insiste beaucoup sur le renforcement de la lutte contre la fraude documentaire pour justifier les réductions d'effectifs des autres missions. Force est de constater que la multiplication des fichiers dans des conditions parfois hasardeuses, et sur lesquels notre commission des lois a pu exprimer ses préoccupations, laisse des failles dans la prévention de la fraude.
Progressivement privé de ses moyens, comme le sont les services de l'État en province, et en particulier à la campagne, le réseau d'administration générale de l'État a jusqu'à présent relativement échappé à la fermeture souvent redoutée de sous-préfectures. Il est néanmoins préoccupant que près de soixante d'entre elles soient dotées de moins de dix fonctionnaires, y compris les contractuels temporaires, de plus en plus nombreux. Le budget prévu pour informatiser le ministère et pour pourvoir à l'entretien des bâtiments accuse une baisse importante. L'état des 1 500 implantations du réseau est pourtant souvent mauvais et les collectivités territoriales qui en délèguent l'utilisation mais aussi l'entretien à l'État ont bien des motifs de s'inquiéter de son lent délabrement et du risque de non-paiement des loyers.
Bref, le budget pour 2018 ne dissipe en rien le sentiment que l'État s'éloigne résolument du local - usagers comme collectivités - dans une ignorance des besoins, mais aussi de l'intérêt que pourrait revêtir une politique résolue d'aménagement du territoire ; au contraire, il confirme le choix d'une métropolisation du pays.
L'événement majeur de 2018 est la fin du cycle électoral de cette année, ce qui réduit de 344,6 millions les crédits du programme 232 qui finance la vie politique. Les élections présidentielles et législatives auront coûté 417,5 millions d'euros dont une partie n'avait pas été budgétés. Une partie des crédits prévus en 2018 comble cette lacune, de sorte que le financement de la vie politique ne mobilisera l'an prochain qu'un peu moins de 100 millions d'euros, dont 68,7 millions iront aux formations politiques. Cette enveloppe n'a pas été revalorisée depuis 2014.
Ce n'est peut-être pas politiquement correct, mais je pense que la volatilité de l'opinion publique pourrait être mieux prise en compte dans le barème de répartition de l'aide publique réservée aux partis politiques. Par ailleurs, j'observe que l'extension de responsabilités conférées à la commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques par la loi de confiance dans la vie politique ne trouve aucune traduction budgétaire appréciable dans le projet de budget. Enfin, le Gouvernement parie sur l'accord du Parlement à la dématérialisation de la propagande électorale pour les scrutins de l'année prochaine, ce qui supposerait l'abandon d'une position constante. L'enjeu financier est modéré, avec 0,7 million, mais l'enjeu symbolique ne l'est pas.
L'administration centrale du ministère, avec le programme 216, coûte cher. La création de la commission du contentieux du stationnement payant alourdira ce dernier mais, dans le même temps, le fonds interministériel de prévention de la délinquance perd le quart de ses crédits. Le Gouvernement explique qu'il va mettre en oeuvre une nouvelle stratégie dans ce domaine mais pour le moment elle consiste surtout à réaliser des économies sur les structures de réinsertion et de déradicalisation. La Cour des comptes a publié une étude très critique sur la politique sociale du ministère de l'intérieur, qui représente 40,2 millions d'euros dans ce programme, signalant des irrégularités. Il faudra surveiller les suites que donnera le ministère d'autant que celui-ci semble peiner à assumer sa fonction juridique. Les dépenses de contentieux atteignent un sommet en 2017 à plus de 140 millions d'euros, alors que seuls 55 millions avaient été budgétés. Enfin, le tri basé sur des enjeux financiers évoqué par le ministère pour prévenir les contentieux liés aux refus de concours de la force publique me paraît tout à fait contraire au principe d'égalité devant la loi et la justice.
Malgré ces critiques, je vous propose d'adopter les crédits de cette mission.