Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes très chers collègues, « il suffit de passer un peu de temps à l’extérieur de notre territoire pour le constater : toutes les puissances renforcent aujourd’hui les moyens de leur politique étrangère. Si nous voulons rester maîtres de notre destin et assurer notre souveraineté, il faut que nous disposions d’un instrument diplomatique efficace, agile et capable de défendre nos intérêts ».
Monsieur le secrétaire d'État, sans doute ces phrases ne vous sont-elles pas étrangères : ce sont celles de M. le ministre Le Drian lui-même, prononcées il y a à peine quelques jours devant l’Assemblée nationale. J’y souscris pleinement.
Toutefois, j’ai malgré tout le regret de vous dire que, en matière de diplomatie culturelle, nous avons depuis de trop nombreuses années été bercées de bonnes paroles, alors que, sur le terrain, nos outils se paupérisaient d’année en année et que, paradoxalement, le besoin et la demande de France n’avaient jamais été aussi importants – après le Brexit, ils sont même plus forts encore. Les propos de M. le ministre des affaires étrangères sont-ils donc d’énièmes vœux pieux ou sont-ils enfin annonciateurs d’un changement d’attitude à l’égard de notre politique culturelle extérieure ?
À l’occasion de chacun de nos déplacements à l’étranger, nous ne manquons pas de visiter l’Institut français, l’Alliance française, le lycée français ou l’antenne de Campus France qui portent nos couleurs et nos valeurs dans le monde. Et nous suivons bien sûr avec attention l’offre audiovisuelle extérieure, qui fait partie intégrante de notre diplomatie culturelle globale.
Tous ces opérateurs qui agissent sur le terrain, parfois dans des conditions difficiles, sont remarquables et je tiens à leur rendre hommage pour leur inaltérable engagement à valoriser la culture et la langue françaises, mais aussi à susciter les échanges et les coopérations interculturelles.
Sachez également, monsieur le secrétaire d'État, que notre commission a créé, sur mon initiative, une mission d’information sur la francophonie au XXIe siècle, qui a publié en début d’année un rapport sous la signature de nos collègues Louis Duvernois et Claudine Lepage. J’espère que ces travaux pourront utilement contribuer aux réflexions en cours dans le cadre du « Plan de promotion de la langue française dans le monde » récemment annoncé par le Président de la République.
Revenons, mes chers collègues, au sujet qui nous réunit ce soir : l’un des fers de lance de notre diplomatie culturelle, l’Institut français.
Le Sénat garde un œil très attentif sur l’Institut, à la création duquel il a contribué en 2010. Vous savez que notre ambition initiale – j’ai une pensée pour Jacques Legendre – était de lui rattacher le réseau des instituts français, mais ce projet a fait long feu et son abandon nous laisse un goût d’inachevé.
Plus grave, depuis sa création, chaque année sans exception, les moyens alloués à l’Institut français se sont réduits comme peau de chagrin. Est-ce ainsi que les gouvernements successifs ont entendu donner son envol au nouvel opérateur ? En 2018, certes, les moyens se stabilisent enfin, mais à quel maigre étiage !
Rendons-nous à l’évidence : l’Institut est aujourd’hui exsangue et ne peut plus assurer l’ensemble des missions qui lui sont confiées, en dépit de l’engagement exemplaire de ses personnels. Arrive un moment où il faut choisir : soit on réduit la voilure, soit on met des moyens au service des ambitions !
Monsieur le secrétaire d'État, nous sommes en période budgétaire, et vous ne m’en voudrez donc pas de rappeler quelques chiffres qui doivent nous alarmer. Depuis sa création, en 2011, l’Institut a vu son budget fondre de 24 %, ce qui, compte tenu de ses charges fixes, a conduit à diminuer ses crédits d’intervention de 35 %.
Les coupes sont extrêmement alarmantes : 43 % de baisse au cours du précédent quinquennat pour le département du cinéma, 44 % pour le département de la langue française, du livre et des savoirs, et même 55 % a pour le département de la coopération artistique ! S’agissant des collaborations de l’Institut avec les collectivités territoriales que nous représentons, les moyens alloués ont baissé de 35 % en à peine trois ans.
En février dernier, lorsque le contrat d’objectifs et de moyens de l’Institut français nous avait été soumis ici au Sénat, notre commission de la culture, de l’éducation et de la communication avait émis les plus grandes réserves : d’un côté, des ambitions immenses, auxquelles nous ne pouvions que souscrire ; de l’autre, s’agissant des moyens, des subventions notoirement insuffisantes sans aucune visibilité pluriannuelle, pour un opérateur qui porte pourtant la voix de la France et de la francophonie, qui valorise nos industries culturelles et créatives, qui promeut le français à l’étranger et qui, faute d’une rebudgétisation rapide, devra probablement baisser pavillon.
C’est la raison pour laquelle j’ai demandé l’organisation de ce débat en séance publique, une initiative à laquelle mon collègue de la commission des affaires étrangères, le président Christian Cambon, a bien voulu souscrire, ce dont je le remercie. Je remercie aussi par avance l’ensemble des collègues qui participent ce soir à ce débat.
Ce débat m’a paru utile pour évoquer ensemble les missions, les moyens et les perspectives d’avenir de l’Institut, mais aussi, car il ne faut pas les oublier, des alliances françaises, qui concourent également au rayonnement de la langue et de la culture françaises, avec des moyens toujours plus réduits.
La question d’une nouvelle articulation entre l’Institut français et la Fondation Alliance française devra également être évoquée, mais prenons garde de nous précipiter sur des solutions simplistes dans le seul but de gérer la pénurie.
Mes chers collègues, je vous invite donc à un large débat pour que, collectivement, nous prenions enfin nos responsabilités et réfléchissions à bâtir une politique culturelle extérieure digne du grand pays qui est le nôtre.