Intervention de Didier Marie

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 15 novembre 2017 à 10h00
Proposition de loi relative aux modalités de dépôt de candidature aux élections — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Didier MarieDidier Marie, rapporteur :

Entre 2014 et 2017, près d'un million de citoyens se sont portés candidats à une élection européenne, nationale ou locale, ce qui atteste de la vitalité de notre démocratie. Tous ont déposé une déclaration de candidature auprès des services de l'État. Obligation ancienne, la déclaration de candidature a été progressivement renforcée, notamment depuis la fin des années 1980 et la loi du 30 décembre 1988 imposant aux candidats de joindre les documents officiels attestant qu'ils respectent les règles d'éligibilité fixées par le code électoral.

Si la grande majorité des opérations de dépôt et d'enregistrement des candidatures se sont déroulées sans difficulté, des partis et groupements politiques, souvent situés à l'extrémité de l'échiquier politique, ont profité de l'inattention voire de l'état de faiblesse de certains citoyens pour les inscrire, à leur insu, sur une liste de candidats.

Lors des élections municipales de 2014, le ministère de l'intérieur a ainsi identifié près de trente « candidats malgré eux » en Seine-Maritime : vingt-deux au Grand-Quevilly, six à Elbeuf où j'ai été maire, un à Lillebonne ; mais aussi huit à Giberville (Calvados), trois à Barfleur (Manche), un à Annemasse (Haute-Savoie), un à Noisy-le-Grand (Seine-Saint-Denis) et un à Puteaux (Hauts-de-Seine). À Orléans, une nonagénaire atteinte de la maladie d'Alzheimer a été inscrite, malgré elle, sur la liste « Orléans Bleue Marine ».

À Vénissieux, une personne a déposé une déclaration de candidature au nom de la liste « Vénissieux fait front ». 19 des 48 colistiers ont affirmé avoir été trompés, la tête de liste ayant indiqué, à tort, qu'il avait le soutien du Front national, alors qu'elle en avait été exclue quelques semaines plus tôt. Le juge administratif a annulé l'élection et déclaré la tête de liste inéligible. Ces manoeuvres frauduleuses ne concernent pas seulement les élections municipales. Ainsi, lors des dernières élections départementales de mars 2015 dans le Puy-de-Dôme, un binôme a été investi contre son gré, recueillant 14,34 % des voix au premier tour sans faire campagne et faussant ostensiblement les résultats du scrutin.

Il est difficile de recenser avec précision le nombre de « candidats malgré eux » signalés. Toutefois, ces manoeuvres frauduleuses portent une atteinte grave à la sincérité des scrutins : à défaut de pouvoir retirer leur candidature avant l'élection, les personnes abusées ont pour seule solution de saisir le tribunal administratif. Ces manoeuvres sont donc lourdes de conséquences pour le bon fonctionnement de la démocratie : elles dupent les électeurs, ruinent la confiance qu'ils peuvent avoir dans les institutions et pénalisent l'ensemble des listes candidates. Elles engendrent également des dépenses publiques nouvelles lorsqu'elles provoquent la convocation d'élections partielles.

L'inscription de « candidats malgré eux » présente, enfin, des conséquences non négligeables sur les citoyens dupés comme cette personne âgée de Giberville, qui a toute sa vie voté communiste, le proclame haut et fort, et s'est retrouvée sur la liste du Front national. Le préjudice psychologique est terrible...

Ainsi, ces « fraudes au consentement » et ces « bourrages de liste », pour reprendre l'expression d'une collègue députée, représentent un problème ancien mais qui prend de plus en plus d'ampleur. Il doit donc être traité avec vigueur et pragmatisme.

Dans ce contexte, la proposition de loi n° 362 (2016-2017) relative aux modalités de dépôt de candidature aux élections, déposée par notre collègue députée Laurence Dumont et plusieurs de ses collègues, adoptée par l'Assemblée nationale le 1er février 2017 et inscrite à notre ordre du jour du 22 novembre 2017, tend à renforcer les dispositifs mis en oeuvre en amont de l'enregistrement des candidatures pour s'assurer que tous les colistiers ou suppléants consentent réellement à se présenter au suffrage des électeurs. Concrètement, le texte prévoit deux formalités supplémentaires lors du dépôt des déclarations de candidature : d'une part, l'apposition d'une mention manuscrite des colistiers ou suppléants confirmant leur volonté de se présenter à l'élection et, d'autre part, la transmission aux services de l'État d'une copie du justificatif d'identité des candidats.

Les articles 1er, 3 et 4 s'appliquent aux élections à scrutin de liste - municipales, régionales et européennes. L'article 2 concerne les élections départementales et l'article 2 bis les élections sénatoriales. L'article 5 étend l'application de la proposition de loi aux élections municipales de Nouvelle-Calédonie et à l'élection des conseillers aux assemblées de Guyane et de Martinique.

Je souscris pleinement aux objectifs de cette proposition de loi qui semble faire consensus : elle a été votée à l'unanimité à l'Assemblée nationale, elle reçoit l'appui du Gouvernement, ainsi que des associations d'élus.

D'aucun pourrait objecter que ses dispositions relèvent du domaine réglementaire. Nous nous sommes interrogés sur ce point, mais force est de constater que cette difficulté n'a été soulevée ni par les députés ni par le Gouvernement. En outre, les difficultés politiques qu'implique l'inscription de « candidats malgré eux » sur les listes justifient que le Parlement se positionne fermement sur cette question. Enfin, je vous rappelle que la déclaration de candidature constitue un acte essentiel pour l'exercice des droits civiques des citoyens et que le législateur a déjà précisément encadré cette procédure dans la partie législative du code électoral (fixation d'un délai limite de dépôt des candidatures, définition des documents à transmettre aux services de l'État, etc.).

Quant à ceux qui craignent un excès de formalisme, je reprendrai les propos de notre collègue député Guy Geoffroy : « Cela vaut la peine (d'être) astreint à respecter un peu plus de formalisme et à écrire un peu plus à la main tous les cinq ou six ans pour pouvoir s'engager dans le débat démocratique et devenir un élu de la République (...) car l'objectif est de lutter contre tous les types de détournement, toutes les fraudes ».

Pour prévenir tout formalisme excessif, il appartiendra au pouvoir réglementaire de garantir la simplicité de la réforme. Je rappelle que la volonté de se présenter aux élections prime sur d'éventuelles erreurs formelles et non substantielles. L'objectif de la proposition de loi est de lutter contre l'inscription de « candidats malgré eux » dans les déclarations de candidature, non de contraindre l'ensemble des candidats à un excès de formalisme.

Si les objectifs du texte sont partagés, je vous propose de préciser ses dispositions et de les étendre à l'ensemble des scrutins en apportant les compléments suivants. Il s'agirait, d'une part, de prévoir la transmission d'une copie du justificatif d'identité des candidats et des suppléants aux élections au scrutin majoritaire uninominal ou plurinominal - soit les élections législatives, les élections départementales et les élections sénatoriales dans les circonscriptions élisant moins de trois sénateurs. D'autre part, je vous propose d'étendre les dispositions du texte à l'ensemble des scrutins, en y incluant les communes de moins de 1 000 habitants, la métropole de Lyon, les instances représentatives des Français établis hors de France et diverses élections ultramarines.

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