Intervention de Hélène Conway-Mouret

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 22 novembre 2017 à 9h40
Projet de loi de finances pour 2018 — Mission « défense » - programme 146 « équipement des forces » - examen du rapport pour avis

Photo de Hélène Conway-MouretHélène Conway-Mouret, co-rapporteure :

On ne peut pas évoquer le budget de la défense prévu pour 2018, le dernier avant la prochaine LPM, sans se projeter, déjà, dans cette future programmation militaire.

La future LPM se trouve d'ores et déjà contrainte par la trajectoire fixée par le projet de loi de programmation des finances publiques, texte adopté en première lecture par le Sénat le 9 novembre dernier, et qui attend à présent la réunion d'une CMP.

Ce projet de loi décrit pour la mission « Défense » une progression a priori significative : hors pensions, après la hausse de 1,76 milliard d'euros prévue pour 2018, ce seraient 1,7 milliard supplémentaire en 2018 puis à nouveau en 2019. Et la ministre des armées a précisé que l'augmentation se poursuivrait au même rythme jusqu'en 2022. Entre 2018 et 2022, 190 milliards d'euros seraient ainsi consacrés à la défense.

Cette programmation financière s'inscrit dans l'objectif d'affecter l'équivalent de 2 % du PIB à la défense en 2025, suivant un engagement du Président de la République pendant la campagne de son élection.

On peut certes se féliciter d'une orientation positive pour l'ensemble de notre outil de défense. Mais on doit aussi rappeler que notre commission, dans son rapport d'information sur les moyens de la défense, au printemps dernier, avait évalué les besoins d'accroissement des moyens des armées, pour faire face à leurs missions, à 2 milliards d'euros par an, dès 2018. Cette trajectoire devait permettre de régénérer, dans un premier temps, les forces conventionnelles, avant de moderniser, dans un second temps, les forces nucléaires. Ce qu'annonce aujourd'hui le Gouvernement s'avère sensiblement en-deçà, en termes de montants comme de calendrier.

En outre, en prévoyant que les crédits de la mission « Défense » soient portés à 41 milliards d'euros en 2022, la programmation envisagée reporterait à la prochaine législature, et concentrerait sur trois années, de 2023 à 2025, plus de la moitié de l'effort à accomplir pour atteindre, à l'horizon fixé, un budget représentant 2 % du PIB, c'est-à-dire 50 milliard d'euros. Le doute semble permis quant à la soutenabilité d'une hausse si rapide, prévue en fin de période !

Par ailleurs, deux séries d'éléments paraissent dès à présent risquer de contrarier, peu ou prou, l'effort annoncé.

Les premières difficultés tiennent au financement des surcoûts d'opérations.

D'une part, comme l'a signalé Cédric Perrin, le Gouvernement a décidé un « resoclage » budgétaire des surcoûts d'OPEX. La mesure serait progressive : la provision pour OPEX, fixée à 450 millions d'euros depuis 2014 conformément à la LPM, passera à 650 millions l'année prochaine puis augmenterait encore de 200 millions en 2019 et de 250 millions en 2020, pour atteindre alors 1,1 milliard d'euros.

De fait, les surcoûts d'OPEX réels n'ont jamais été inférieurs, depuis 2013, à 1,1 milliard d'euros. Au nom du principe de sincérité budgétaire, la Cour des comptes, notamment, avait préconisé une inscription de crédits pour OPEX en loi de finances initiale qui soit, à tout le moins, plus réaliste.

Cependant, il s'agit en pratique d'un transfert de la charge d'OPEX, de l'interministériel vers le ministère de la défense, dans la mesure où, jusqu'à présent, les surcoûts d'OPEX dépassant la provision initiale de 450 millions étaient pris en charge par la solidarité interministérielle, comme le prévoyait la LPM. Donc, à périmètre « 2017 » constant, et toutes choses égales par ailleurs, la hausse de la mission « Défense » figurant dans le projet de loi de programmation des finances publiques doit être ramenée à 1,5 milliard d'euros en 2018 et en 2019, et à 1,45 milliard en 2020. On peut s'interroger sur la suffisance de cette programmation budgétaire, au regard des besoins des armées. Et on peut redouter, par conséquent, les impasses financières auxquelles risque de se trouver acculée la LPM en préparation...

D'ailleurs, la trajectoire sur laquelle le Président de la République s'était engagé pour affecter à la défense 2 % du PIB en 2025 avait été tracée, de façon expresse, « hors surcoûts OPEX » : ce n'est pas le cas dans la programmation actuelle du Gouvernement.

Au demeurant, nous souscrivons aux propos du Général Lecointre, chef d'état-major des armées : dans le financement de ces surcoûts, le maintien d'un complément interministériel est important pour montrer que ce ne sont pas les armées qui décident de leurs engagements.

D'autre part, une relative incertitude pèse sur les modalités de financement, à l'avenir, des surcoûts d'opérations intérieures.

Je rappelle que la LPM actuelle ne comporte pas, pour ces OPINT, des dispositions équivalentes à celles qui visent les OPEX ; l'initiative que notre commission avait prise en ce sens, en 2015, n'a pas prospérée à l'Assemblée nationale. Les régulations budgétaires de fin 2015 et fin 2016, certes, ont établi un précédent favorable pour la défense, en assurant la couverture des surcoûts d'OPINT par la solidarité interministérielle, comme tend à le faire, à nouveau, le projet de collectif de la fin 2017. Mais, en dehors de cette pratique répétée, il n'y a pas de règle.

Le Général Lecointre, que j'ai interrogé ici même la semaine dernière, a affirmé que - je le cite - « le financement des OPINT relève des mêmes modalités de financement que les OPEX ». Le recours à la solidarité interministérielle serait donc maintenu pour l'avenir. C'est essentiel, alors notamment que l'opération « Sentinelle », même révisée dans son mode opératoire, se trouve pérennisée. Le cas échéant, il nous faudra veiller à inscrire la règle du financement interministériel dans la prochaine LPM, afin d'éviter un financement par la défense qui, par définition, limiterait d'autant les hausses budgétaires annuelles prévues.

Une seconde série de difficultés pour la prochaine LPM tient aux capacités d'investissement de la défense.

À cet égard, le premier problème est lié à l'accroissement des engagements non couverts par des paiements.

En effet, parmi les mesures prises par le ministère des armées afin de faire face à l'annulation de 850 millions d'euros sur le programme 146 en juillet dernier, et comme Cédric Perrin l'a mentionné, les trésoreries de certaines organisations internationales ont été mises à contribution. Concrètement, les versements prévus en 2017 pour l'OCCAr et la Nahena ont été annulés et reportés à 2019, les besoins étant couverts jusques là. Plus de 400 millions d'euros ont ainsi été économisés pour 2017, mais c'est une simple mesure de « cavalerie budgétaire » : in fine, les versements à l'OCCAr et à la Nahena devront bel et bien être effectués.

L'opération n'aggrave pas le report de charges, au sens comptable de la notion, c'est-à-dire la somme des paiements dus l'année n mais différés à l'année n+1. En revanche, elle vient alimenter les « restes à payer », c'est-à-dire les engagements passés mais non encore couverts par des paiements. Or ces restes à payer, fin 2016, s'élevaient déjà à près de 36 milliards d'euros pour le programme 146, et à plus de 50 milliards pour l'ensemble des programmes de la mission « Défense » (soit près de la moitié du total des restes à payer de l'État).

Ces montants extrêmement importants sont bien sûr inquiétants, parce qu'ils mettent en cause la soutenabilité même des engagements et, par voie de conséquence, celle de la trajectoire financière de la programmation militaire en préparation pour les années 2019 et suivantes.

Un second problème, pour le maintien des capacités de la défense à investir, résulte de la nouvelle règle de stabilisation des restes à payer, que tend à introduire à partir de 2018, pour l'ensemble des missions de l'État, l'article 14 du projet de loi de programmation des finances publiques. Ces engagements non encore couverts par des paiements devraient ainsi être contenus, sur la période 2018-2022, à leur niveau de fin 2017 ; en d'autres termes, chaque année, le montant des engagements ne devrait plus excéder celui des crédits de paiement ouverts.

Cette disposition pourrait entraîner des effets particulièrement handicapants pour la défense, dans un moment annoncé comme celui de la « remontée en puissance » des moyens. En effet, la Cour des comptes estime que le modèle d'armée défini à l'horizon 2025 appelle, d'ici là, des dépenses d'équipement neuf à hauteur de 10 milliards d'euros. Il s'agit des besoins de la dissuasion - notamment, à partir de 2020, le programme de sous-marins nucléaires lanceurs d'engins de nouvelle génération, nécessaire à la modernisation de la composante océanique -, mais aussi d'autres grands besoins, par exemple le renouvellement du porte-avions.

Or ces investissements sont effectués sur des marchés d'équipement par nature pluriannuels, qui impliquent nécessairement un décalage entre les engagements requis par les commandes et les paiements auxquels donnent lieu les livraisons.

Pour éviter la paralysie du ministère des armées, deux amendements identiques ont été adoptés par le Sénat, à l'initiative notamment de la quasi-totalité des rapporteurs pour avis sur la mission « Défense » et du président de notre commission, et avec l'avis favorable de la commission des finances. Ces amendements soustraient, à la règle du plafonnement des restes à payer de l'État, les investissements qui entrent dans le périmètre de la LPM. Espérons qu'ils survivent à la CMP qui doit se réunir !

C'est un enjeu essentiel pour la défense : il s'agit ainsi de sécuriser la trajectoire prévisionnelle des investissements de la LPM actuelle et de la LPM future. C'est aussi un enjeu économique et technologique : l'industrie de défense représente pour la France plus de 1 000 entreprises et 200 000 emplois directs et indirects qui, parce qu'ils répondent à des besoins de souveraineté, dépendent directement de la commande publique. Je rappelle que les crédits d'investissement de la défense représentent le premier budget d'investissement de l'État : plus de 80 % des crédits d'investissement prévus dans le PLF 2018.

Brièvement, quelques mots sur l'avancement de certains programmes d'armement, en fonction des développements prévus pour 2018, en complément de ce qu'a exposé Cédric Perrin.

L'année prochaine seront livrés, notamment, 8 000 fusils d'assaut HK 416 F de nouvelle génération, « arme individuelle future » destinée à remplacer le FAMAS. Mais les opérations seront longues : il restera encore près de 95 700 nouveaux fusils à commander et de 103 700 à livrer ! Ces livraisons ont en effet été étalées de 2017 jusqu'à 2028, sur un rythme d'environ 10 000 fusils par an.

L'année prochaine, par ailleurs, seront livrés à l'armée de l'air trois avions Rafale neufs. Il s'agit de la fin de la livraison de six avions qui avait été décalée, en 2016, afin d'honorer la commande de l'Égypte ; les trois premiers ont été livrés en 2017. Cette réalisation permettra de respecter, en volume à défaut du calendrier, la prévision de la LPM en matière de Rafale, et de donner corps avant la fin 2018 à un second escadron nucléaire Rafale, en remplacement des Mirage 2000N.

J'ajoute que le développement du standard F4 du Rafale devrait être lancé fin 2018. L'objectif, notamment, est de disposer d'une flotte dont tous les appareils auraient, à terme, le même standard, ce qui faciliterait le soutien logistique et la formation des pilotes.

Il convient aussi de rappeler que le conseil des ministres franco-allemand qui s'est tenu le 13 juillet dernier, à Paris, a annoncé une coopération en vue d'un nouveau système de combat aérien. La France et l'Allemagne ont en effet convenu de développer un système pour remplacer, sur le long terme, leurs flottes actuelles de Rafale et d'Eurofighter ; une feuille de route conjointe en la matière est prévue d'ici mi-2018. Cette annonce est intervenue dans un contexte où le Royaume-Uni a décidé d'acquérir des avions F-35, produits par le groupe américain Lockheed Martin, ce qui semble de fait entraver une éventuelle coopération franco-britannique pour la réalisation du successeur du Rafale... alors même que Londres est engagé avec Paris, depuis 2014, dans un projet de recherche pour le futur système de combat aérien.

Je noterai pour finir la commande, l'an prochain, d'un cinquième sous-marin d'attaque (SNA) Barracuda. La livraison du premier sous-marin de la série est aujourd'hui prévue pour 2020, la livraison du second en 2021. Il s'agira d'un retard de plus de deux ans par rapport aux prévisions initiales, imputable à un problème de qualité du travail industriel. Naval Group nous a confirmé que les problèmes rencontrés, en dernière analyse, relèvent de la difficulté de reconstituer les savoir-faire propres au domaine nucléaire sur le site de Cherbourg.

Pour conclure, j'indique que j'émets, moi aussi, une appréciation positive sur les crédits inscrits au programme 146 dans le PLF 2018, avec la même réserve que mon collègue, tenant à la condition que l'on pourrait mettre à notre votre de la mission « Défense ».

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