Les crédits de paiement de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » s'élèveront en 2018 à un peu plus de 19,4 milliards d'euros, la plaçant ainsi au rang de sixième mission budgétaire de l'État. Par rapport aux crédits ouverts par la loi de finances initiale pour 2017, ils traduisent une augmentation sensible de 8,9 %. Compte tenu de l'ouverture de crédits supplémentaires de 1,2 milliard d'euros figurant au projet de loi de finances rectificative pour 2017, l'évolution des crédits de cette mission s'établit à 2,1 %.
Bien que révélateurs d'un tendanciel qui ne laisse pas d'interroger, ces chiffres ne peuvent exactement refléter le véritable chemin de dépense de la mission « Solidarité », dont la Cour des comptes a relevé qu'elle faisait depuis 2012 l'objet d'une sous-budgétisation systématique. Elle fait ainsi partie de ces missions dont on a pu dénoncer l'insincérité structurelle, tout en reconnaissant que le fait générateur de la dépense, étroitement lié au nombre de bénéficiaires des deux principales allocations de solidarité versées par l'État (prime d'activité et allocation adulte handicapé), se distinguait naturellement par son caractère imprévisible.
Il n'en demeure pas moins qu'au sein du premier PLF de ce quinquennat, où « le redressement durable des comptes publics par la baisse de la dépense publique » figure au rang des orientations générales clairement assumées, la hausse sensible des crédits de la mission « Solidarité » est à noter. Le dynamisme budgétaire des crédits de solidarité y est justifié par leur vocation à « redonner du pouvoir d'achat aux Français et à valoriser le travail ». Toutefois, il me paraît important de préciser qu'il est difficile de mettre sur le même plan la prime d'activité et l'AAH qui présentent deux natures profondément distinctes.
Entrons maintenant dans le détail de la mission. Le programme 304 « Inclusion sociale et protection des personnes » prévoit précisément une dépense de 5,14 milliards d'euros en 2018 au titre de la prime d'activité. Cette augmentation de plus de 18 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2017 s'explique notamment par l'anticipation d'une revalorisation de la prime de 20 euros par mois à partir d'octobre 2018. J'avais eu, mes chers collègues, l'occasion de vous avertir l'an dernier sur le chiffrage plus qu'incertain des crédits consacrés à la prime d'activité dont le succès n'avait pas été suffisamment anticipé. Instruites par l'expérience des deux années précédentes, les administrations que j'ai interrogées m'ont assuré que les crédits pour 2018 présentaient une fiabilité renforcée du fait de la plus grande maturité de la prime. Le taux de recours s'est stabilisé à 75 % et les pouvoirs publics ont affiné leur connaissance du public ciblé, dont je rappelle qu'il inclut surtout les travailleurs touchant un revenu entre 0,3 et 0,6 Smic. Pourtant, il nous faut rester vigilants, et à plus d'un titre.
Le projet de loi de finances rectificative pour 2017 ouvre 840 millions de crédits supplémentaires, portant le montant total alloué à la prime d'activité pour 2017 à près de 5,18 milliards, soit un montant légèrement supérieur à celui budgété pour 2018. De deux choses l'une : soit le Gouvernement opère une nouvelle sous-budgétisation, soit il entend, parallèlement à l'augmentation du montant mensuel de la prime, en redéfinir les conditions d'éligibilité vers une cible plus étroite. Je rappelle que, dans l'esprit, nous nous étions montrés favorables à un rétrécissement du public éligible à la prime d'activité à une cible économiquement pertinente.
Nous avions émis des doutes sur l'impact de la prime d'activité au regard de l'objectif assumé d'incitation financière au retour à l'emploi. Les chiffres figurant au bleu budgétaire confirment nos craintes : le taux de sortie de la prime d'activité pour dépassement de condition de ressources n'atteint pas les 4 %, ce qui cantonne pour l'heure la prime au statut d'un nouveau minimum social.
L'incitation financière au retour à l'emploi ne nous semblait réalisable qu'à la condition d'un détachement net de la prime d'activité du champ des minima sociaux, pour la concentrer vers les niveaux de revenus professionnels où l'offre d'emploi est la plus dynamique. Or le rétrécissement opéré par le Gouvernement va dans un tout autre sens. L'article 63 du PLF se livre à un élagage surprenant des publics éligibles à la prime, non seulement par l'exclusion des bénéficiaires de rentes et de pensions d'invalidité, mais aussi par la redéfinition de la prise en compte des revenus professionnels mensuels des travailleurs handicapés qui, pour être éligibles, devront passer du seuil prévu par la loi de 29 fois le Smic brut à un seuil défini par décret. C'est, à mes yeux, une mesure difficilement défendable, non seulement sur les plans économique et social, mais aussi en ce qu'elle édifie un mur symbolique entre les travailleurs atteints de handicap et les autres. Le Gouvernement met en avant l'augmentation des crédits dévolus à l'AAH mais cet argument me semble symboliquement contestable : écarter du bénéfice de la prime d'activité, dispositif supposément universel, certains travailleurs handicapés au motif que leur revenu de remplacement connaîtra une augmentation sensible, me paraît de nature à segmenter des publics que l'objectif de société inclusive inciterait plutôt à rapprocher.
De façon plus générale, c'est l'intégration professionnelle des travailleurs handicapés qui me semble menacée par l'article 63 du PLF contredisant ainsi le principe même de la prime d'activité dont on continue à nous assurer qu'elle sert le retour à l'emploi.
Vous aurez donc compris, mes chers collègues, ma triple réserve sur les crédits prévus en 2018 pour la prime d'activité. L'augmentation du taux du recours à la prime doit être fortement tempérée par son échec à faire sortir ses bénéficiaires du travail précaire. Les rallonges de la loi de finances rectificative n'ont pas tout à fait écarté le risque de sous-budgétisation dont on nous avait pourtant promis la fin. Certaines mesures de périmètre présentent enfin un caractère symbolique hautement contestable.
Venons-en maintenant au programme 157, qui retrace les crédits consacrés à l'allocation adulte handicapé (AAH). Leur niveau pour 2018 est annoncé à 9,7 milliards d'euros, soit une hausse de 7,8 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2017 et de 3,3 % au vu des ouvertures supplémentaires de la loi de finances rectificative. Cette augmentation sensible fait écho à une ambitieuse réforme de l'allocation dont le Gouvernement a prévu de faire passer le montant maximal de 810 à 900 euros mensuels d'ici 2019. Je tiens à saluer cet effort. Cette mesure louable, prise en faveur du pouvoir d'achat des personnes handicapées dans l'incapacité d'exercer un emploi, est toutefois accompagnée d'ajustements paramétriques quelque peu inquiétants.
Ces mesures ne sont, pour l'heure, qu'annoncées à l'exposé général du PLF. La première d'entre elles promet un « alignement des règles de prise en compte des revenus d'un couple bénéficiant de l'AAH sur celles d'un couple bénéficiant du RSA ». Il s'agit concrètement d'abaisser le plafond en-deçà duquel un couple d'allocataires peut bénéficier de deux AAH à taux plein : de 2 Smic, ce plafond doit progressivement passer à 1,9 Smic en 2018, puis 1,8 Smic en 2019. Cette redéfinition du plafond a suscité l'alerte de nombreuses associations du monde du handicap.
Tant la secrétaire d'État aux personnes handicapées que l'administration m'ont assuré que cette dévaluation du plafond ne remettait aucunement en cause les gains engendrés par la revalorisation substantielle du montant. Soit. Mais quand bien même elle ne se traduirait pas -et c'est heureux- par un appauvrissement des allocataires, cette réforme repose sur un postulat que, comme les rapporteurs de la commission des finances, je conteste : le rapprochement de l'AAH et du RSA suggère une parenté contestable entre ces deux prestations. Le RSA, parfois augmenté de la prime d'activité, est un minimum social dû au titre de la solidarité nationale et conçu pour inciter à la reprise d'un emploi ; l'AAH est un revenu de remplacement qui vise un public spécifique plus qu'elle ne sert un objectif. Il s'agit d'une aide et non d'une incitation destinée à éviter les « trappes à inactivité ». Les plus fervents défenseurs d'une allocation de solidarité unique se sont d'ailleurs toujours montrés favorables à ce que soit maintenue, autrement que par de simples modulations de montant, la spécificité des bénéficiaires atteints de handicap.
Une autre réforme, celle-ci ni contenue ni annoncée au PLF de cette année, concerne la fusion, à partir de 2019, des deux compléments de ressources - complément de ressources (CR) et majoration pour la vie autonome (MVA) - que peuvent toucher les bénéficiaires de l'AAH 1 dont le taux d'incapacité permanente est supérieur à 80 %. Là aussi, le Gouvernement entend nous apaiser sur l'impact de cette mesure d'économie qu'est censée absorber l'augmentation faciale de l'AAH. On nous a également promis qu'une compensation serait assurée par le mécanisme des allocations logement. Il nous faudra de nouveau rester vigilants : substituer un dispositif universel à un dispositif spécifique ne peut convenir à tous les publics et les personnes lourdement handicapées ne peuvent excessivement se prêter à des réformes de rapprochement conçues sans leur consultation.
Voilà mes principales conclusions sur les deux programmes les plus importants de la mission. Il me paraissait important de relativiser et de remettre en perspective la hausse de crédits prévus pour 2018.
D'abord, ne nous réjouissons pas trop vite du succès enfin rencontré de la prime d'activité ! Même si on ne peut que saluer l'amélioration de son taux de recours, l'engouement créé autour de la prime d'activité en dit surtout très long sur l'atonie criante du marché du travail et sur l'urgence qu'il y a à dégager des solutions structurelles. On se réjouit un peu trop vite des promesses non tenues par le RSA-activité et que la prime d'activité parvient à remplir en oubliant, encore une fois, que le taux de sortie de cette prestation pour dépassement de revenus n'est que de 4 %. La désincitation à l'inactivité est certes une très bonne chose mais elle ne doit pas devenir, par un simple effet de translation, incitation à demeurer travailleur précaire.
Ensuite, maintenons toute notre attention sur les évolutions annoncées de l'AAH pour les deux prochaines années. Il serait peut-être un peu hâtif de baisser la garde au seul motif que l'allocation connaîtra une revalorisation substantielle indéniable. Continuons de défendre la philosophie spécifique de cette allocation et la mission particulière, insoluble entre toutes, que remplit l'État en portant secours aux personnes atteintes de handicap.
J'en viens maintenant à deux autres sujets tout aussi importants et retracés par la mission « Solidarité ». Les mineurs non accompagnés, anciennement mineurs isolés étrangers, font en ce moment l'objet d'une attention politique et médiatique soutenue, dont le Gouvernement a tenu compte dans les crédits qu'il leur consacre pour 2018. Je tiens à rappeler que les conclusions du rapport présenté cet été à notre commission par nos collègues Élisabeth Doineau et Jean-Pierre Godefroy nous mettaient déjà en garde contre l'importante mise sous tension des finances départementales et appelaient à ce que l'État prenne en charge, au titre de sa compétence exclusive en matière migratoire, la phase de mise à l'abri préalable à l'évaluation de la minorité. Le message semble avoir été en partie entendu. L'augmentation des crédits consacrés à l'accueil des MNA passe ainsi de 15,7 millions en 2017 à 132 millions en 2018, soit une hausse de 741 %. Attention cependant, ce chiffre ne révèle aucun transfert définitif de charges, ni aucune modification des principes de prise en charge : il ne fait qu'approcher enfin la réalité des besoins des conseils départementaux. Le forfait remboursé par l'État reste toujours de 250 euros par jour pendant 5 jours -alors qu'on sait que l'évaluation de la minorité peut prendre plusieurs semaines- et le bleu budgétaire tient à préciser le caractère exceptionnel de la prise en charge d'une partie des surcoûts des dépenses d'aide sociale à l'enfance relatives aux MNA. Prenons cependant garde aux chiffres : le défi budgétaire du flux, en constante augmentation, des MNA reste à relever. Les promesses faites par le Premier ministre de transférer à l'État la phase d'hébergement d'urgence et d'évaluation devrait être concrétisée en 2018.
Enfin, les crédits du programme 137 relatif à l'égalité entre les femmes et les hommes méritent une attention particulière que m'ont relayé plusieurs acteurs associatifs. Malgré une très légère augmentation du montant alloué au programme, je dois déplorer la baisse que subissent les crédits de l'action spécifique consacrée à la prévention et à la lutte contre la prostitution et la traite des êtres humains (- 1,8 million d'euros), inexplicable au vu de la forte montée en charge qu'anticipent les associations spécialisées dans l'accompagnement des personnes concernées. Je vous présenterai donc un amendement de transfert de crédits, allant dans le sens d'un soutien à cette mission essentielle de l'État à l'égard de publics particulièrement fragiles.
Sous réserve de l'adoption de cet amendement, je vous propose de donner un avis favorable aux crédits de la mission.