Intervention de Antoine Karam

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 22 novembre 2017 à 9h00
Projet de loi de finances pour 2018 — Mission « enseignement scolaire » - crédits « enseignement scolaire » et « enseignement technique agricole » - examen du rapport pour avis

Photo de Antoine KaramAntoine Karam, rapporteur pour avis des crédits du programme 143 « Enseignement technique agricole » :

Voici la première année que je vous présente le budget de l'enseignement agricole. J'en profite pour rendre un hommage respectueux à notre collègue Françoise Férat, inlassable défenseur de l'enseignement agricole, qui a eu la charge de rapporter ce budget pendant seize ans. S'il s'agit de la première fois que je m'intéresse à son budget, j'ai appris, pendant mes dix-huit années à la tête de la région Guyane, à connaître et à estimer l'enseignement agricole, composante encore trop méconnue du système éducatif.

J'en viens au budget à proprement parler : il est prévu pour l'année 2018 une augmentation de 2,5 % des crédits, comparable à celle observée pour le ministère de l'éducation nationale. Cette parité procède de la priorité accordée par le Gouvernement à l'éducation et à la formation professionnelle.

Du point de vue des effectifs, ce budget marque une consolidation après cinq années de créations de postes : aucune création d'emploi n'est prévue en 2018. Le plafond d'emplois n'augmente qu'à la mesure de l'extension en année pleine des créations d'emplois de la rentrée 2017.

Alors que la situation budgétaire impose des choix difficiles, la comparaison avec l'éducation nationale révèle une situation relativement favorable.

En effet, comme vous l'a présenté Jean-Claude Carle, le Gouvernement a fait le choix d'une priorité forte au premier degré. Elle est compensée par la stabilité des crédits dans le second degré et des suppressions d'emplois, auxquelles échappe pourtant l'enseignement agricole. Il convient également de préciser que les effectifs d'élèves de l'enseignement agricole connaissent une tendance à la baisse et que les effectifs par classe y sont singulièrement plus faibles ; autant d'arguments mobilisés par Bercy en faveur d'une diminution des crédits, qui n'ont - et je m'en réjouis - pas été entendus.

Au total, les crédits du programme 143 augmentent de 35 millions d'euros. En l'absence de créations de postes, l'augmentation de 21 millions d'euros des dépenses de personnel provient essentiellement du glissement vieillesse-technicité, c'est-à-dire de l'augmentation naturelle des dépenses compte tenu de l'avancement des agents et de l'extension en année pleine des créations de postes passées. Le report d'un an de l'application des mesures indemnitaires dans le cadre de l'accord PPCR devrait se traduire par une moindre dépense, probablement inversée par la compensation de la hausse de la CSG.

Les crédits qui ne relèvent pas des dépenses de personnel augmentent de 14 millions d'euros, soit une hausse de 2,8 %.

Cette croissance permet de financer l'amélioration de la situation financière des établissements publics. Quatre millions d'euros majorent les dotations en faveur des assistants d'éducation, permettant de rattraper le niveau de financement de l'éducation nationale, quand un autre million vient aider les établissements à assumer les charges de pensions pour les emplois gagés des centres de formation d'apprentis (CFA) et des centres de formation professionnelle et de promotion agricole (CFPPA). De plus, les fonds consacrés aux aides sociales et à l'accompagnement des élèves en situation de handicap augmentent de plus de cinq millions d'euros ; ils financent la revalorisation des bourses, la création de l'aide à la recherche du premier emploi en direction des jeunes diplômés et la professionnalisation de l'accompagnement des élèves en situation de handicap. Enfin, deux millions d'euros sont prévus en faveur de la modernisation des systèmes d'information.

J'en viens aux relations avec les établissements privés, qui accueillent plus de 60 % des élèves de l'enseignement agricole. On y distingue l'enseignement privé du temps plein - analogue à l'enseignement sous contrat « classique » - et celui du rythme approprié, dispensé par les maisons familiales rurales (MFR) qui proposent une pédagogie originale centrée sur l'alternance.

Ces établissements sont financés par des subventions de l'État versées en application et selon les modalités déterminées par la « loi Rocard » du 31 décembre 1984. Le principe retenu est celui de la parité de financement entre le public et le privé du temps plein, le privé du rythme approprié étant financé selon un calcul spécifique. Or, dans un contexte de restriction budgétaire, l'État a cherché à déroger aux dispositions de la « loi Rocard ». À la suite d'un imbroglio budgétaro-judiciaire en 2002, des accords ont été conclus avec l'enseignement privé afin d'encadrer le montant des subventions versées : les protocoles en date ont été conclus en 2013 puis reconduits pour un an en 2016. Ils expireront donc au 31 décembre de cette année.

De nouveaux protocoles doivent être conclus d'ici là ; au moins pour le privé du temps plein, les négociations semblent être au point mort. Les fédérations exigent, à défaut de l'application de la « loi Rocard » qui semble hors de portée, une revalorisation substantielle que le ministère ne semble pas prêt à accepter. En attendant le règlement de cette question, le PLF 2018 maintient les crédits au même niveau qu'en 2017. Je formule le voeu que ces négociations aboutissent : l'enseignement privé est une composante essentielle de l'enseignement agricole et mérite un traitement équitable. De plus, le plafonnement des subventions pousse au statu quo voire au déclin des effectifs d'élèves. Il tend à entraver son développement alors que certains territoires, en particulier Mayotte et la Guyane, ont besoin de l'enseignement agricole.

Mes chers collègues, que l'enseignement agricole soit une filière de réussite et d'excellence, voilà une réalité trop méconnue, y compris dans l'éducation nationale.

Je ne m'étendrai pas sur les résultats enviables de l'enseignement agricole en matière d'insertion professionnelle. Sept mois après la sortie de formation, l'écart en matière de taux d'insertion par rapport aux titulaires d'un diplôme équivalent de l'éducation nationale s'établit à 12,7 points en faveur des titulaires d'un BTS agricole, et respectivement à 18,1 et à 5,2 pour les titulaires d'un baccalauréat professionnel et d'un CAP agricoles. Les poursuites d'études dans l'enseignement supérieur sont nombreuses et en augmentation.

Cela est d'autant plus remarquable que la part de boursiers est supérieure à celle observée dans l'éducation nationale et que les élèves issus de catégories sociales moins favorisées y sont plus nombreux ; contrairement aux idées reçues, seuls 13 % des élèves sont issus d'une famille d'agriculteurs exploitants.

Pourtant, la baisse des effectifs observée depuis 2008 se poursuit : à la rentrée 2017, les effectifs diminuent de 1,7 %. La décroissance est observée dans l'ensemble des niveaux d'enseignement, elle est particulièrement marquée au collège et en BTS et CPGE. Les effectifs s'élèvent, toutes familles confondues à moins de 162 000 élèves, soit une baisse de 5 % en dix ans. Ce phénomène est d'autant plus étonnant qu'il va à rebours des évolutions démographiques : l'éducation nationale constate en effet une hausse des effectifs en lycée général et technologique et dans l'enseignement supérieur court. Une partie non négligeable de ce phénomène peut être attribuée à la dévalorisation de l'enseignement agricole dans les représentations ainsi qu'à la réticence de l'éducation nationale à y orienter.

Que faire ? Si le ministère n'est pas inactif dans la promotion de l'enseignement agricole, ses actions sont trop dirigées vers le monde agricole : pour se rendre sur leurs sites Internet, encore faut-il savoir qu'ils existent ; tout le monde ne se rend pas non plus au salon de l'agriculture ou à celui du machinisme agricole.

Il me semble nécessaire de lancer une grande campagne de promotion, associant l'éducation nationale, visant à mettre en avant les réussites de l'enseignement agricole et la diversité des formations et des métiers auxquels il prépare. D'autres modalités pourraient être envisagées : je propose par exemple l'organisation de stages de découverte, qui pourraient être proposés pendant les vacances scolaires à des jeunes de collège dans des établissements de l'enseignement agricole. Cela permettrait de faire découvrir leurs spécificités, comme l'internat ou les exploitations, et les formations proposées.

Le développement de l'enseignement agricole est un enjeu majeur. Comme je vous le disais, il y a un réel besoin dans certains territoires. Alors que le Gouvernement réfléchit à la réforme de la formation professionnelle ou que la résorption de la difficulté scolaire est érigée en priorité, nous avons besoin de l'exemple de l'enseignement agricole, qui est riche en enseignements.

Enfin, j'appelle de mes voeux un renforcement de la coopération avec l'éducation nationale et des mutualisations : il faut s'extraire des clivages qui sont d'un autre âge et qui mènent à une vraie perte d'efficacité. Il s'agit surtout d'améliorer l'efficience et la qualité du service rendu aux élèves. Derrière la bonne volonté des discours officiels, la coopération est en réalité très diverse et très dépendante de la bonne volonté des interlocuteurs au niveau local. Elle pourrait être utilement approfondie en matière de formation initiale et continue des enseignants, d'affectation de ses derniers, de remplacement, d'accompagnement des élèves en situation de handicap et d'élaboration de la carte des formations. Une réflexion est en cours pour élaborer une convention entre les deux ministères, en vue d'une coopération renforcée sur un grand nombre de sujets. Cette convention devrait être signée d'ici la fin de l'année 2017 et déclinée par les services déconcentrés en 2018. Espérons qu'elle se traduise par des actions concrètes, qui bénéficieront en premier lieu aux élèves.

Compte tenu de l'ensemble de ces observations, je vous propose de donner un avis favorable à l'adoption des crédits affectés à l'enseignement agricole au sein de la mission « Enseignement scolaire ».

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