Intervention de Françoise Nyssen

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 22 novembre 2017 à 15h10
Projet de loi de finances pour 2018 — Mission « culture » - Audition de Mme Françoise Nyssen ministre de la culture

Françoise Nyssen, ministre de la culture :

C'est un budget non seulement préservé - comme s'y était engagé le Président de la République - mais conforté que je vous présente aujourd'hui. L'effort de l'État en faveur de la culture s'établira à près de 10 milliards d'euros l'an prochain.

Vous m'aviez donné l'occasion de m'exprimer largement, le 25 octobre dernier, sur ma politique en matière d'audiovisuel, ainsi que sur le livre et les industries culturelles. Je suis très heureuse de vous présenter aujourd'hui le budget de la mission « Culture ». Il s'établira à plus de 2,9 milliards d'euros, en hausse de près de 1,5 % par rapport à 2017, en tenant compte des débats intervenus à l'Assemblée nationale. Dans un contexte budgétaire contraint, le budget ainsi alloué au ministère de la culture en 2018 constitue un signal fort.

C'est la marque du rôle primordial attaché à la culture dans le projet présidentiel. Primordial comme levier d'émancipation, d'abord - l'accès à la culture peut aider ceux qui souffrent d'exclusion, dans notre pays, à relever la tête et à revenir dans le jeu ; primordial comme vecteur de cohésion, aussi, car tout ce que nous avons en commun - la langue, l'Histoire, le patrimoine, les valeurs - donne du sens à la solidarité.

Mais pour que la culture joue ce double rôle, il faut lutter contre les inégalités et les fractures qui la traversent elle-même. Tous les citoyens n'ont pas aujourd'hui la même autonomie dans leurs choix culturels : certains sont contraints par des déterminismes, par des barrières géographiques, sociales, économiques ou psychologiques.

Une grande partie de nos concitoyens n'a pas accès à l'offre et aux services culturels que ce ministère soutient. C'est à eux que je souhaite m'adresser en priorité. Nous irons au-devant de ceux que ce ministère n'a pas réussi à toucher jusque-là : dans les zones rurales et périurbaines, dans les villes moyennes, les outre-mer, les quartiers des politiques de la ville.

Pour cela, j'ai pris un parti clair : la politique culturelle que je porte est une politique culturelle de proximité. Ce budget en est la traduction directe : les moyens sont rééquilibrés en faveur des territoires. Sur la mission « Culture», les crédits déconcentrés auprès des directions régionales des affaires culturelles (DRAC), les directions régionales de l'action culturelle, seront portés, en 2018, à un niveau sans précédent : ils augmenteront de près de 43 millions par rapport à 2017, pour s'établir à 813 millions d'euros.

J'ai par ailleurs demandé à mes services d'examiner les missions et les crédits aujourd'hui gérés à Paris qui devraient ou qui pourraient être déconcentrés.

Pour conduire cette politique de proximité, nous nous appuierons sur nos opérateurs, dont le rôle national doit être pleinement mis en valeur. Nous soutiendrons aussi les associations, qui constituent un vecteur essentiel d'animation de la vie culturelle locale.

Nous coopérons encore plus étroitement avec les collectivités territoriales : j'ai proposé aux associations d'élus de bâtir pour cela un nouveau cadre de contractualisation, plus souple, plus solidaire. Nous avons travaillé ensemble à une déclaration commune qui marque notre volonté de refonder le dialogue entre l'État et les collectivités territoriales en partant des projets dans les territoires, au profit notamment des plus fragiles et des plus éloignés de la culture et en systématisant l'éducation artistique et culturelle.

Nous nous appuierons sur quatre relais privilégiés. L'école, pour commencer. Pour que la culture soit un levier d'émancipation pour chaque citoyen, elle doit occuper une place structurante dans le développement de chaque enfant. Nous allons la mettre au coeur du nouveau modèle d'école bâti par le Gouvernement. C'est une ambition que je porte avec Jean-Michel Blanquer. Nous avons défini deux priorités : la pratique artistique et la lecture. Nous allons, d'ici à 2022, en faire une réalité hebdomadaire pour tous, de la maternelle au lycée.

Le budget de l'éducation artistique et culturelle augmentera significativement dès l'année prochaine : il sera donc de 114 millions d'euros, en hausse de 35 millions. Nous allons également renforcer le pilotage ministériel de cette politique. Les crédits étaient jusque-là dispersés : nous avons souhaité les rassembler au sein d'un seul et même programme et les renforcer.

Pour développer la pratique artistique, nous allons généraliser à court terme un outil simple et concret : les chorales. Trois millions seront consacrés à leur développement l'an prochain, aux côtés des moyens mobilisés par le ministère de l'Education nationale. L'objectif est qu'un établissement sur deux soit doté d'une chorale à la rentrée de septembre 2018, contre un établissement sur quatre aujourd'hui, et d'atteindre 100 % des établissements dès l'année suivante. Je souhaite aussi qu'une « Fête de la musique à l'école » voie le jour : la première édition aura lieu le 21 juin 2018.

Nous développerons dès l'année prochaine les jumelages entre établissements scolaires et établissements culturels locaux : nos structures labellisées, les structures soutenues par les collectivités, comme les conservatoires, et les lieux patrimoniaux. L'objectif est d'atteindre 100 % d'écoles jumelées d'ici à 2022, pour favoriser les sorties et les activités culturelles. Nous soutiendrons aussi toutes les actions entreprises hors temps scolaire, évidemment.

Dans le prolongement de cet effort massif en direction des jeunes, nous mettrons en place le « Pass culture » : un passeport culturel pour accompagner l'entrée dans l'âge adulte et la citoyenneté. Il prendra la forme d'une application mobile qui permettra aux jeunes d'avoir un accès géolocalisé à l'offre de spectacles, aux différents biens culturels et aux pratiques artistiques. Pour le construire, je souhaite associer toutes les parties prenantes : les futurs usagers d'abord - c'est-à-dire les jeunes -, les partenaires publics et privés de l'offre et les collectivités territoriales. Nous créerons un premier événement de concertation et de coconstruction, un « Open Lab » qui aura lieu en décembre. L'offre et son éditorialisation seront testées auprès des jeunes et une première version du Pass sera prête pour la rentrée de septembre 2018. Cinq millions d'euros sont prévus dans le budget 2018 pour mener ces étapes et concevoir l'outil.

Le second relai de notre politique culturelle de proximité, ce sont les bibliothèques. C'est un service public ouvert à tous et accessible sur tout le territoire. On en compte plus de 16 000 : c'est autant que de points de contact de La Poste. 90 % de nos concitoyens en ont une à moins de 20 minutes de chez eux. Elles sont le premier réseau culturel de proximité.

Comme vous le savez, j'ai confié une mission à Erik Orsenna, qui me rendra ses conclusions d'ici la fin de l'année. L'objectif est d'aider les bibliothèques à ouvrir plus largement. L'État apportera un accompagnement financier. Avec Gérard Collomb, nous avons engagé une mission conjointe de nos inspections pour quantifier les moyens à mobiliser.

Mais tout ne se résume pas à des moyens financiers. L'objectif est aussi d'aider les bibliothèques à ouvrir « mieux », pour devenir ce que j'appelle des « maisons de services publics culturels », c'est-à-dire des lieux qui proposent - comme elles sont déjà nombreuses à le faire - davantage que le seul prêt de livres : des services d'aide aux devoirs, des cours de français ou de langue étrangère, des ateliers d'aide à la rédaction de curriculum vitae...

Nous allons accompagner ce mouvement dès l'année prochaine. Les DRAC se rendront disponibles pour réunir autour de la table les différentes parties prenantes - élus, bibliothécaires, structures sociales et associations locales - et accompagner les projets d'ouverture. J'ai posé un objectif : à la fin de l'année 2018, je souhaite que nous ayons aidé 200 bibliothèques, soit deux par département, à s'engager dans une transformation.

Le troisième relais de notre politique culturelle, de proximité, c'est le patrimoine, l'une des ressources culturelles les plus équitablement réparties sur notre territoire. Sur près de 45 000 monuments historiques protégés en France, la moitié se situe dans des communes de moins de 2 000 habitants.

J'ai présenté, vendredi dernier, ma « stratégie pluriannuelle en faveur du patrimoine », faite de 15 grandes mesures.

Comme vous le savez, elle s'appuiera sur un budget renforcé. Les moyens dédiés à l'entretien et à la restauration du patrimoine s'établiront à 326 millions d'euros en 2018, en hausse de 5 % par rapport à 2017. C'est un niveau qui n'a pas été atteint depuis dix ans. Ce budget sera sécurisé sur la durée du quinquennat : les 326 millions seront reconduits chaque année.

Nous dirigerons un effort particulier vers les petites communes et vers les territoires en situation de désertification, parce que le patrimoine peut y être un levier de revitalisation essentiel. Ainsi, parmi les 15 mesures, un fonds spécifique de 15 millions d'euros sera créé dès 2018 pour la restauration du patrimoine situé dans les communes de moins de 10 000 habitants, notamment les petites communes de moins de 2 000 habitants.

Une expérimentation sur la revitalisation des centres villes anciens est en train d'être conduite dans 17 villes de France. Plusieurs ministères y participent, dont le ministère de la culture, qui y consacrera 9 millions l'an prochain.

Enfin, j'ai annoncé que le Gouvernement proposera la création d'un « loto du patrimoine » pour le patrimoine en péril dans le cadre du projet de loi de finances rectificative. Il pourrait rapporter autour de 20 millions d'euros et serait affecté à la Fondation du patrimoine. Une plateforme est en ligne depuis vendredi dernier, pour accompagner la mission de Stéphane Bern sur le patrimoine en péril en permettant aux citoyens de signaler des monuments situés près de chez eux.

Enfin, dernier relai fondamental de notre politique culturelle de proximité : les artistes et les créateurs ; j'aurais pu commencer par-là, car il n'y a pas de vie culturelle sans eux. Leur soutien sera conforté l'an prochain et la dotation portée à près de 780 millions, avec, notamment, une hausse des crédits des structures labellisées. Les moyens nouveaux dégagés, 6 millions, seront réservés aux projets qui touchent les publics et les territoires éloignés : résidences dans des zones rurales ou des quartiers ; projets hors-les-murs, itinérance...

Pour soutenir la création, nous allons aussi continuer de veiller aux conditions de vie des professionnels.

Je rappelle que nous avons identifié une solution pour compenser la hausse de la CSG pour les artistes-auteurs. Elle porterait sur la retraite de base et serait donc inscrite dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale. J'ai annoncé dès mardi dernier à l'Assemblée nationale, que nous envisagions cette solution, qui est donc en cours d'expertise ; et un amendement a été voté ici même, au Sénat, dans le cadre de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale, permettant d'aller vers une telle solution. Un autre amendement avait également été déposé qui allait dans le même sens. Je tiens à saluer cet engagement du Parlement en faveur des artistes-auteurs.

Un mot également des artistes et techniciens intermittents du spectacle : nous serons bien sûr extrêmement attentifs à l'application de l'accord de 2016.

Pour soutenir la création, toujours, nous allons aussi l'aider à gagner en visibilité. Nous investirons dans de nouveaux lieux de diffusion. La Cité du théâtre aux Ateliers Berthier en est l'exemple le plus parlant ; elle réunira l'Odéon, la Comédie française, le Conservatoire national d'art dramatique. Je souhaite que nous lancions, en 2018, l'équivalent des Journées du Patrimoine pour la création, avec des portes ouvertes pour le public dans les lieux de création partout en France.

Pour soutenir la création, enfin, nous allons aider les filières à se structurer. J'ai rendu public, la semaine dernière, le rapport que j'avais commandé en juin dernier à Roch-Olivier Maistre sur la « Maison commune de la musique ». Il confirme la pertinence d'un opérateur public au service de toutes les musiques. Roch-Olivier Maistre présentera son rapport à l'ensemble de la filière dans les jours à venir et nous mènerons les consultations avec les organisations du secteur pour annoncer, au plus tard début janvier, les décisions du Gouvernement.

Pour soutenir la création, enfin, nous allons l'accompagner plus encore à l'international. Je mobiliserai l'Institut français - le ministère a, je le rappelle, retrouvé une cotutelle l'an dernier avec le ministère de l'Europe et des affaires étrangères. Nous allons par ailleurs renforcer largement le soutien aux musiciens français : j'ai proposé la semaine dernière un amendement adopté en séance publique à l'Assemblée nationale, qui augmente à nouveau le financement du Bureau Export de 500 000 euros supplémentaires, sachant que le PLF prévoyait déjà une hausse de 800 000 euros. La contribution du ministère de la culture telle que je l'ai proposée est ainsi multipliée par quatre par rapport à son niveau de 2015.

J'ai de grandes ambitions pour la musique. Je suis prête à mobiliser toutes les administrations, et même d'autres ministères, au service de la filière.

Le droit à la vie culturelle et artistique est un droit fondamental pour tous ceux qui vivent dans notre pays, qu'ils soient nés ici ou à l'étranger. Mais il demeure, pour beaucoup, un droit théorique. Nous voulons en faire un droit réel pour tous, avec ce budget et grâce à cette politique culturelle de proximité.

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