Intervention de Thierry Carcenac

Réunion du 23 novembre 2017 à 15h00
Loi de finances pour 2018 — Suite de la discussion d'un projet de loi

Photo de Thierry CarcenacThierry Carcenac :

… ainsi que la suppression de tout lien fiscal entre certains contribuables, même s’il s’agit des plus modestes, et la collectivité nationale ne sont pas de bons signaux envoyés à nos concitoyens. En effet, les classes dites moyennes, inférieures ou supérieures, ont le sentiment d’être les « dindons de la farce », les oubliés du nouveau monde dont vous nous rebattez tant les oreilles.

Discriminer ce qui serait un investissement productif d’un autre désigné à la vindicte populaire comme improductif est également un mauvais signal adressé à nos concitoyens. C’est ainsi qu’il sera préférable d’alimenter un compte bancaire, totalement exonéré, plutôt que d’investir dans des biens immobiliers destinés à la location, opération économique qui participe de la chaîne productive et de son dynamisme. Dans nos territoires, l’adage « Quand le bâtiment va, tout va » retrouve tout son sens. Claude Raynal a déjà évoqué brillamment ces choix fiscaux inopportuns et injustes.

Mais revenons à mon propos, qui concerne, dans son premier moment, les collectivités locales, instances privilégiées de la cohésion nationale et du « vivre ensemble ».

Monsieur le secrétaire d’État, la problématique du financement des collectivités locales, telle qu’envisagée dans votre projet de loi de finances, vous conduit à mettre la charrue devant les bœufs. Pourquoi, alors que vous nous annoncez une réforme globale à venir de la fiscalité locale, procéder dans l’immédiat par ajustements, en ne menant ni travail de réflexion ni concertation approfondie avec les principaux intéressés, à savoir les représentants des collectivités locales ?

Nous qui étions à la tête d’un exécutif le savons bien : nous avons en mémoire la réforme de la taxe professionnelle de 2010, qui s’est traduite, pour certains départements, par un plafonnement des compensations d’équilibre, et qui est peut-être à l’origine de situations particulièrement difficiles pour ces territoires. Ce précédent inquiète à juste titre les élus ; il s’agit certes d’un dégrèvement de fiscalité, mais ce dispositif est-il appelé à évoluer dans la durée ?

S’agissant de l’exonération de taxe d’habitation, l’objectif annoncé est qu’elle doit concerner 80 % des ménages, au motif que cette taxe serait injuste, tant dans son principe qu’en raison des valeurs locatives sur lesquelles elle est assise. Cet argument de l’injustice perdurera pour les 20 % de ménages qui resteront assujettis à cet impôt, mais également pour l’assiette de la taxe foncière sur les propriétés bâties et de la taxe d’enlèvement des ordures ménagères. Ce qui est injuste ici, donc, ne le serait plus là ? Qu’en est-il du devenir de l’expérimentation de révision des valeurs locatives réalisée sur cinq départements et qui a vocation à être étendue à l’ensemble du territoire national ?

La suppression de la taxe d’habitation, si elle s’appliquait en l’état, outre qu’elle ne résoudrait pas les problèmes d’injustice, pourrait être considérée comme inconstitutionnelle – cela dépendra de ses modalités d’application. Monsieur le secrétaire d’État, vous prenez là un grand risque, cette mesure étant emblématique du programme du Président de la République et destinée à compenser la hausse de la CSG, et non simplement à accroître le pouvoir d’achat. De surcroît, cette disposition mécontente et inquiète la communauté des élus. Les maires vous en ont fait part récemment au cours de leur congrès.

S’agissant des départements, qui sont déjà en grande difficulté financière, leurs dépenses sociales, notamment les allocations individuelles de solidarité – je citerai le revenu de solidarité active, l’allocation personnalisée d’autonomie, la prestation de compensation du handicap et l’aide sociale à l’enfance pour les mineurs non accompagnés –, ne sont pas des dépenses de fonctionnement dont l’évolution serait maîtrisable. Fixer un nouveau ratio d’endettement ainsi qu’une règle d’or renforcée, qui imposerait d’affecter prioritairement les capacités d’autofinancement au désendettement, conduirait les départements à ne plus investir. Or, depuis 2010, la baisse des dépenses d’investissement est un fait établi. Il convient pourtant d’entretenir le réseau routier départemental ou de répondre aux besoins de nos collégiens en construisant des établissements scolaires. Dans la conjoncture actuelle et au vu de la situation de l’emploi, qui s’est encore dégradée, nous nous interrogeons donc sur la pertinence de ce choix.

L’option consistant à soutenir les départements les plus en difficulté, qui sont, nous dit-on, au nombre de dix-neuf, dans le cadre de la loi de finances rectificative pour 2017, par un fonds d’urgence de 100 millions d’euros prélevés sur la CNSA, n’est pas à la hauteur de l’enjeu. Le précédent gouvernement avait proposé 200 millions d’euros, et le compte n’y était pas. Je précise que certains départements ne rembourseront plus l’avance mensuelle du RSA effectuée par les caisses d’allocations familiales, décalant ainsi à l’année suivante le remboursement de cette allocation, ce qui a l’air de ne préoccuper personne, et surtout pas les préfets.

S’agissant des régions, la compensation du transfert de la compétence économique par l’attribution de 1 point de TVA, impôt dynamique, paraît satisfaisante ; mais le compte, là encore, n’y est pas : 450 millions d’euros étaient annoncés, et cet engagement n’a pas été respecté. C’est pourquoi il serait préférable d’envisager une révision générale des financements des collectivités locales, au lieu d’additionner les décisions prises en urgence, visant à sortir au coup par coup d’une impasse budgétaire ou d’une autre.

Nous entrerions dans une quatrième phase de la décentralisation ; mais cette phase ressemble plutôt à une phase I de recentralisation ! En effet, le préfet disposait déjà du pouvoir d’attribution des crédits de la DETR, dans lesquels seront intégrés cette année les contrats de ruralité ; il voit son rôle accru par la mise en œuvre de la contractualisation avec 319 collectivités territoriales, voire davantage, et par la responsabilité qui lui échoit du suivi de l’endettement – si les engagements ne sont pas respectés, ce suivi pourrait conduire à ce qui ressemblerait à une mise sous tutelle de la collectivité concernée par le préfet et par la chambre régionale des comptes, sans parler du malus sur le montant des dotations.

La règle d’or, qui interdit le financement par l’emprunt des dépenses de fonctionnement, encadre déjà efficacement les budgets des collectivités territoriales. Dans le même temps, la collectivité nationale poursuit son endettement, avec une hausse de 4, 5 % en 2018, qui vient d’être critiquée par la Commission européenne. L’État ne s’applique pas à lui-même la rigueur qu’il impose aux autres.

En outre, le Gouvernement fixe l’objectif d’évolution des dépenses réelles de fonctionnement à 1, 2 % par an ; le Sénat, beaucoup plus raisonnable, retient un chiffre de 1, 9 %.

Devant le comité des finances locales, dans le monde ancien donc, l’objectif d’évolution de la dépense locale n’avait pas de valeur contraignante pour les collectivités locales ; il était analysé en fonction de la nature des collectivités, une différenciation étant faite entre pôle communal, département et région. Qu’en sera-t-il à l’avenir ?

Plutôt que de ne retenir que les dépenses, ne pourrait-on pas, à l’avenir, envisager de définir un « panier » moyen de dépenses par collectivité, afin d’y adapter les ressources ? L’appréciation du reste à charge serait rendue plus juste pour les départements, s’agissant des allocations individuelles de solidarité, alors même que la compensation diminue d’année en année.

Que dire par ailleurs des ressources inégalement réparties ? En macroéconomie, on évoque toujours la hausse des recettes des DMTO. Mais, là encore, en dépit d’une péréquation dite horizontale, les inégalités sont flagrantes entre les territoires.

Enfin, ne sont pas évoquées les conséquences de décisions unilatérales de l’État concernant le protocole PPCR ou l’augmentation du point d’indice.

On avance vraiment à l’aveugle, ici dans l’attente du rapport de MM. Alain Richard et Dominique Bur, là au gré des décisions fluctuantes d’un préfet, lesquelles ne seraient assorties d’aucune possibilité d’appel.

Des rapports existent, comme celui de MM. Carrez et Thénault, publié en 2010, sur l’évolution des dépenses locales, tombé dans l’oubli, comme beaucoup de rapports, hélas, qui mériteraient d’être exhumés.

Monsieur le secrétaire d’État, il est à craindre que, dans les années à venir, si vous poursuivez dans cette logique strictement comptable sans prendre en compte le contexte dans lequel s’inscrit la vie des collectivités territoriales, le contrat social existant entre nos concitoyens et lesdites collectivités soit mis à mal, par renoncements successifs à certains services.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion