Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, l’Europe a été « trop faible, trop bureaucrate, incapable de répondre aux enjeux qui se présentaient à elle ». Combien de fois avons-nous entendu ces critiques souvent fondées ? Aujourd’hui, pourtant, j’ai le sentiment que les discours évoluent. Malgré, ou peut-être grâce, au Brexit, l’Europe redevient porteuse d’espoir. « L’avenir de l’Europe est bien plus important que le Brexit », disait voilà quelques jours Angela Merkel.
Confrontés au risque de voir exploser ce modèle de société construit depuis quarante ans, nous mesurons les choix qui se présentent désormais à nous. Voulons-nous moins d’Europe, comme le Royaume-Uni – et, si oui, pour évoluer vers quel modèle de société ? –, ou voulons-nous une Europe solidaire et renouvelée dans son organisation, dans sa méthode, dans ses missions, une Europe apte à relever les défis ?
Nombreux sont ceux qui partagent la vision ambitieuse du Président de la République, prônant une Europe de la confiance, de la convergence, qui s’empare des sujets stratégiques et, comme le disait Jean-Claude Juncker, « s’occupe davantage des grands sujets et moins des petites choses ». Cette recherche d’efficacité oblige à de grands pas en avant en matière de création d’un budget propre à la zone euro, d’un ministère des finances, d’une Europe de la défense, de lutte contre le terrorisme avec un parquet européen, de politique migratoire avec un office européen de l’asile pour harmoniser les procédures, de police aux frontières, de lutte contre le dumping social, de taxation des géants du net, de transition écologique ou encore d’aide au développement.
L’Europe doit devenir audacieuse, oser « avancer » plus vite et plus loin, quitte à organiser plusieurs niveaux d’intégration, favorisant les « avant-gardistes » sans pour autant exclure les moins intrépides ; une Europe unie – mais pas uniforme –, démocratique et souveraine, qui se numérise et innove dans le cadre d’un marché unique alliant protection, exigences sociales, environnementales et stratégie commerciale.
La France et l’Allemagne ont un rôle moteur à jouer pour fonder cette nouvelle Europe.
Le rapport des commissions des affaires européennes et des affaires étrangères du Sénat sur la relance de l’Europe propose une série de mesures propices à renforcer la légitimité démocratique dont a tant besoin l’Union européenne pour renouer la confiance nécessaire. Il préconise l’association et la reconnaissance des parlements nationaux, voire des citoyens, pour lancer des initiatives, interpeller les représentants et engager des débats. La reconstruction doit partir des peuples pour insuffler l’envie d’Europe.
Aujourd’hui simples gardiens du principe de subsidiarité, les parlements nationaux pourraient, demain, déléguer à une convention restreinte, chargée de statuer souverainement à la majorité qualifiée sur les mesures économiques et financières, notamment lorsqu’elles impliquent une modification du traité fondateur.
Quant à la Commission, elle doit devenir le véritable gouvernement européen, responsable devant son parlement.
Ainsi, les citoyens européens pourraient identifier clairement et, s’ils le jugent opportun, renverser ceux qui détiennent les responsabilités.
Il est inacceptable pour les salariés, les entreprises et les gouvernants que des conditions de travail et de protection sociale déséquilibrées puissent subsister, comme cela a été le cas avec la directive dite « Travailleurs détachés ». L’initiative de la France de la réviser est déterminante pour la cohésion à venir de l’Europe.
La convergence fiscale doit s’imposer, pour limiter le dumping entre les différents États membres. Elle nous permettra également de nous protéger des stratégies d’optimisation de certaines multinationales, dont les GAFA sont les exemples les plus frappants. Une Europe qui adopte des règles justes et équilibrées, qui ne s’imposent pas au détriment des citoyens ou des acteurs économiques, que ce soit à l’échelle du marché unique, mais aussi dans le cadre des traités internationaux, c’est le préalable d’une Europe puissante et convergente.
Cette Europe sera propice aux initiatives, au développement économique, à l’innovation technologique, à une véritable politique économique commune servie par l’intégration budgétaire et une fiscalité propre.
Le gouvernement économique de la zone euro, doté d’une légitimité politique, sera l’interlocuteur de la Banque centrale européenne en matière de stratégie monétaire. Il sera compétent pour adopter des politiques industrielles communes, dans des domaines clés et stratégiques, tels que le numérique, l’intelligence artificielle, les nanotechnologies, la transition énergétique, l’aérospatiale, afin d’additionner les atouts de nos secteurs d’activité les plus performants, d’assurer les nécessaires transitions tout en réduisant les coûts, et aussi de garantir nos approvisionnements et notre indépendance technologique.
Dans cette nouvelle donne stratégique, une nouvelle politique agricole commune a toute son importance, même si, avec le temps, l’actuelle PAC s’est diluée dans autant de politiques nationales, perdant ainsi sa capacité à incarner un dessein européen.
La PAC mobilise aujourd’hui 43 % du budget européen, dont 17 % reviennent à la France. Face aux perspectives, il y a lieu de s’interroger sur les conditions de sa subsistance. Pourtant, l’enjeu alimentaire du XXIe siècle est incontournable, mais pas seulement. Nous avons plus que jamais besoin d’une politique agricole commune à l’échelle européenne pour assurer à nos concitoyens une alimentation de qualité et en quantité, dans une logique de développement durable, et pour relever le défi de l’évolution climatique, de la préservation des ressources naturelles et des énergies renouvelables. En ce sens, les agriculteurs européens doivent s’approprier ces enjeux et développer des outils technologiques innovants au service d’une agriculture alliant performances économiques et environnementales.
Pour atteindre ces objectifs, la question du montant du budget européen, pilier d’une relance de l’Union européenne, est donc centrale. Pour nous, centristes, la participation de la France, à hauteur de 20, 2 milliards d’euros en 2018, s’impose. Nous sommes tous conscients que le budget européen, de 158 milliards, sera insuffisant pour répondre aux enjeux d’une Europe audacieuse, tels qu’ils ont été identifiés.
Comme le soulignait il y a quelques jours Michel Barnier lors d’une audition au Sénat, le groupe centriste est convaincu que seule l’Europe a cette masse critique et dispose d’une autorité légitime pour porter les valeurs de la France et ses intérêts dans le monde. Aussi voterons-nous ce budget.
Mais, avant toute chose, il s’agit de bien négocier le deal du Brexit. À ce jour, les Vingt-Sept ont réussi à dépasser les flottements qui ont suivi l’annonce du Brexit et à échapper à une vague de populisme qui aurait pu balayer l’Europe, prouvant ainsi la solidité et même le regain de l’idéal européen. Ils sont aujourd’hui « unis » pour négocier et « solder les comptes du Royaume-Uni », dans le cadre d’un retrait ordonné qui doit s’achever en mars 2019.