Nous venons de voir que la science-fiction est devenue réalité, avec une séquence digne de l'homme invisible...
Face au défi technologique lancé aujourd'hui, qu'a fait l'Union européenne pour établir son leadership ? Elle a commencé par une cacophonie incompatible avec des prises de position homogènes dans l'espace européen.
Un point de droit s'impose immédiatement, car ni le code de la route, ni même les équipements susceptibles de modifier le comportement d'un véhicule ne relèvent directement du droit de l'Union. Selon les cas, les États membres sont tenus soit par la convention de Genève signée le 19 septembre 1949, soit par la convention établie à Vienne le 8 novembre 1968 et modifié depuis. La principale différence pour ce qui nous réunit aujourd'hui tient au fait que la convention de Genève ne concerne que le trafic international, contrairement à la convention de Vienne, qui régit aussi le trafic intérieur des États signataires.
L'évolution de cette seconde convention, ratifiée par la France et l'Allemagne, est gérée par la Commission économique pour l'Europe des Nations unies, où un groupe de travail est consacré à la sécurité routière. La lenteur avec laquelle des amendements modifient la convention de Vienne est illustrée par le dernier changement apporté à deux articles de cette convention, entré en vigueur le 23 mars 2016, deux ans après le vote intervenu le 26 mars 2014 ! Aucune loi nationale n'exige un tel délai pour sa simple promulgation. Cette situation purement juridique débouche sur l'impossibilité pour l'Union européenne de légiférer en contredisant la convention de Vienne. Elle entrave les essais entrepris sur le territoire des États signataires de ce texte. D'où une distorsion de concurrence au détriment de la France et de l'Allemagne, favorable en revanche principalement au Royaume-Uni, aux États-Unis, à la Chine et au Japon.
Je ne développerai pas aujourd'hui les autres points juridiques abordés dans le rapport, car ils n'ont pas de conséquence industrielle aussi marquée. Il en est toutefois un que je ne peux totalement passer sous silence : la protection des données individuelles. Il s'agit d'un sujet politique au sens le plus noble du terme, avec des conséquences majeures sur le plan économique. René Danesi vient d'appeler à l'éclosion d'un nouveau modèle économique pour les applications qui rendent service en échange de renseignements sur les usagers. Avec le véhicule autonome, le niveau d'intrusion sera très supérieur. L'éviter est un objectif majeur à nos yeux, mais les opérateurs britanniques par exemple ont déjà demandé l'accès aux données personnelles des utilisateurs de véhicules autonomes. Et le gouvernement de sa gracieuse majesté - qui fête aujourd'hui ses noces de platine - n'a pas réagi avec une forte véhémence, c'est le moins que l'on puisse dire pour sacrifier à la tradition anglaise de la litote.
J'en viens à ce que peut faire l'Union européenne dans un contexte aussi particulier, où les industriels et les États membres privilégient spontanément la concurrence, non la coopération. Concrètement, l'Union européenne agit dans deux directions : elle incite à la création de corridors d'expérimentation traversant plusieurs États membres et favorise la constitution de consortiums associant des acteurs complémentaires.
Les corridors transnationaux d'expérimentation présentent deux avantages considérables pour les États membres et leurs industriels. Ainsi, les routes empruntées pour les essais de véhicules autonomes présentent une plus grande variété pour le relief, les conditions météorologiques, et bien sûr pour les pratiques de la conduite réelle. Ce dernier point est sans doute le plus important. La stratégie consistant à rapprocher des politiques initialement distinctes commence à porter ses fruits.
Le deuxième axe de la stratégie européenne consiste à favoriser financièrement la création de consortiums associant chacun des dizaines de parties prenantes, issues de la construction automobile, des équipementiers, des opérateurs du numérique ou de la communication, enfin des chercheurs et des universitaires, le tout aux côtés d'institutions publiques d'États membres. Brièvement présentés dans le rapport, les consortiums associent des opérateurs de plusieurs États membres.