Intervention de Didier Marie

Commission des affaires européennes — Réunion du 23 novembre 2017 à 9h05
Politique étrangère et de défense -état des négociations en vue de la réunification de chypre : communication de m. didier marie

Photo de Didier MarieDidier Marie :

Comme vous l'avez rappelé, Monsieur le Président, Chypre est le seul État de l'Union européenne qui subit une occupation militaire. Cette situation est inacceptable même si on en connaît les raisons historiques. Ma communication s'inscrit dans la continuité du rapport sur les négociations interchypriotes que j'avais présenté devant cette commission en juin 2016. Ces discussions apparaissent aujourd'hui au point mort.

Le secrétariat général des Nations unies a, en effet, annoncé le 7 juillet dernier l'arrêt des négociations organisées à Crans-Montana (Suisse) sur la réunification de Chypre. La Conférence, ouverte le 28 juin 2017, réunissait les présidents de la République de Chypre, Nikos Anastasiades, et de la « République turque de Chypre-Nord » (RTCN), Mustafa Akinci. Je rappelle que cette entité n'est reconnue en tant que République que par la seule Turquie. Des représentants du Royaume-Uni, de la Grèce et de la Turquie - soit les trois États parties au Traité de garantie de 1960 - ainsi que l'Union européenne, au titre d'observateur, étaient associés à cette conférence. Cette réunion était principalement concentrée sur les questions délicates des garanties et de la sécurité.

La Conférence de Crans-Montana était considérée comme la réunion de la dernière chance, suite aux échecs des conférences de Mont-Pèlerin en novembre 2016 et de Genève en janvier 2017. Des avancées avaient toutefois été enregistrées dans plusieurs domaines à l'image de la gouvernance avec des accords obtenus sur les pouvoirs judiciaires et législatifs, le mode de fonctionnement de l'État fédéral ou les relations entre les deux États fédérés. Rien n'avait cependant été entrepris sur la question de la rotation à la tête de l'État fédéral, ou sur la question de la police. Les divergences de vues sur l'ajustement territorial et les parties à rétrocéder, en particulier sur la ville de Morphou, sous administration chypriote-turque avaient également contribué à l'absence d'accord, comme la question des propriétés spoliées - notamment sur le mode de règlement des cas litigieux - ou le retour des réfugiés. Les Chypriotes-grecs tablaient sur un retour de 90 000 personnes au Nord (la demande initiale portait sur 100 000 personnes). Les autorités de « RTCN » souhaitaient limiter ce chiffre à 75 000. La volonté de la république de Chypre d'en référer aux autorités grecques avait, par ailleurs, contribué à gripper la dynamique de négociations.

La Conférence de Genève avait également été marquée par la demande des autorités turques de bénéficier au sein de l'île une fois réunifiée des quatre libertés de l'Union européenne (circulation des personnes, des biens, des capitaux et des services). Il s'agissait ainsi de garantir une forte présence turque sur l'île, en particulier dans le domaine économique, et d'assurer ainsi une forme de priorité aux entreprises turques. Ce souhait n'était pas partagé par la partie grecque, qui a demandé un arbitrage de la Commission européenne. Les chypriotes-turcs, qui ont repris cette demande, l'ont justifiée par le fait que la réunification ne pouvait conduire à affaiblir la position d'Ankara, qui dispose aujourd'hui d'un accès privilégié au nord de l'île. La « RTCN » jugeait que cette demande permettait d'anticiper le renforcement des relations entre l'Union européenne et la Turquie, observable, selon eux, depuis l'accord sur la gestion des migrants de 2015.

Le représentant personnel du président de la Commission européenne, Pieter van Ruffel, a repoussé l'idée d'anticiper le renforcement des liens entre l'Union européenne et la Turquie. Il a toutefois jugé qu'il était cependant possible de prévoir des dérogations et des quotas le temps pour l'économie du nord de l'île de s'adapter. Comme je l'avais indiqué dans mon rapport, les circuits commerciaux et de production sont, en effet, très dépendants de la Turquie, notamment en ce qui concerne l'eau, l'électricité ou les télécommunications. En ce qui concerne la liberté de circulation des personnes, la Commission européenne estime que des aménagements pourraient être trouvés. Aujourd'hui, les chypriotes-turcs peuvent bénéficier, sur demande, d'un passeport de la République de Chypre. La Commission européenne rappelle cependant que la directive de 2003 relative au statut des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée donne à ceux-ci la possibilité, au terme d'une période de 5 ans, de travailler dans les autres États membres. Tel serait ainsi le cas des travailleurs turcs installés à Chypre.

L'échec de ces deux conférences a été suivi d'une rupture des négociations en février 2017 suite au dépôt d'une proposition de loi au Parlement chypriote de commémorer dans les écoles le référendum de 1950 demandant le rattachement de Chypre à la Grèce. Il s'agissait d'une faute politique ou d'une provocation. Si ce texte, déposé par l'extrême droite, a été abandonné avant même toute discussion ou vote, la réaction turque, comme la nature même de l'initiative, ont toutefois souligné le rapprochement des deux communautés avec leur ancienne puissance tutélaire, à rebours donc d'une vision commune pour l'avenir.

La Conférence de Crans-Montana constituait donc une véritable reprise des discussions. Les Nations unies tablaient sur un nouveau cadre de sécurité, mettant fin au Traité de 1960 et interdisant tout droit d'intervention militaire unilatéral sur l'île. Un traité d'amitié réunissant Chypre, la Grèce et la Turquie devait dans le même temps être signé.

Le retrait des troupes turques devait débuter dès l'entrée en vigueur de l'accord. Le maintien de 750 soldats turcs - soit le nombre prévu par le Traité de 1960 - était ainsi avancé. La partie nord compte aujourd'hui près de 44 000 soldats turcs. Il était envisagé de regrouper les soldats turcs au sein d'une force internationale, ouverte aux troupes grecques. Le dernier compromis présenté par la partie chypriote-turque avait intégré certains de ces points. Il prévoyait ainsi une limitation du nombre des soldats turcs à quelques centaines d'hommes et un abandon du droit d'intervention des puissances garantes après trois mandats présidentiels consécutifs, soit au bout de 15 ans. Il s'agissait ainsi de démontrer la viabilité des nouvelles institutions. Les autorité turques se seraient montrées souples sur cette période et disposées, le cas échéant, à la réduire. La République de Chypre aurait, de son côté, opposé une fin de non-recevoir à ce délai, considérant qu'il était trop long. Elle aurait également émis des réserves sur la présidence tournante de l'île, telle qu'envisagée par la RTCN, plus particulièrement sur le rythme de la rotation.

L'arrêt de la Conférence de Crans-Montana ne signifie pas pour autant la fin de toute initiative, mais il remet en question le calendrier envisagé et une ratification d'un accord par référendum courant 2017. Le secrétariat général des Nations unies a d'ores et déjà indiqué qu'il ne reprendrait pas l'initiative de nouvelles négociations et attendrait un souhait explicite en ce sens des parties. La prochaine revue stratégique de la Force des Nations unies pour Chypre (FNUCHYP), installée sur l'île depuis 1964, sera observée. Une reformulation de la résolution 186 qui l'a créée ou une diminution sensible de ses effectifs pourraient être analysées comme une reconnaissance implicite de la division de l'île.

Il convient désormais de mesurer l'effet de démobilisation sur les négociateurs des deux côtés mais aussi les conséquences politiques dans les deux parties. Si la République de Chypre a annoncé sa volonté de poursuivre les négociations, celle-ci ne devrait pas intervenir à court terme, compte-tenu du calendrier électoral. La réélection éventuelle de M. Anastasiades à la présidence de la République de Chypre lors du scrutin de février prochain pourrait constituer un signal. Son principal concurrent est hostile au processus de réunification. Le président de la « RTCN », est, quant à lui, isolé face à un gouvernement et une assemblée nationalistes.

Des interrogations subsistent, par ailleurs, au sein de la République de Chypre sur la poursuite de l'aide européenne à la « RTCN ». Celle-ci s'élève à 30 millions d'euros par an depuis 2011. L'octroi de cette assistance financière pourrait, à l'avenir, être conditionné à la reprise effective des négociations et à un engagement en faveur de la réunification. Les autorités chypriotes-grecques ont en tout état de cause retiré leur soutien au Bureau d'appui de l'Union européenne chargé de préparer l'intégration du nord de l'île. Certains militent également pour la fin de la gratuité des soins pour les Chypriotes-turcs dans le sud de l'île et la déchéance de nationalité pour les Chypriotes disposant d'un passeport de la « RTCN ». Des touristes étrangers ayant manifesté leur intention de visiter le nord de l'île ont été, par ailleurs refoulé à l'aéroport de Larnaca.

La « RTCN » impose, de son côté, depuis le 1er octobre, des taxes sur les produits humanitaires destinés aux Chypriotes-grecs installés au nord de l'île dans les villages enclavés de la péninsule de Karpas. Quatre villages maronites sont également concernés. La communauté chypriote-turque semble, plus largement, dans l'expectative. Si elle s'oppose à une réunification par trop favorable à la communauté chypriote-grecque, elle craint également une assimilation complète par la Turquie. À cet égard, il est intéressant de noter que la Commission européenne a réagi en octobre dernier aux propos du ministre des affaires étrangères turc appelant à une « quasi annexion » de l'île. Le ministre envisageait de faire de la « RTCN » une république en partie autonome où la Turquie pourrait se charger de la défense et des affaires étrangères. Il entend ainsi se rapprocher des relations établies entre la France et Monaco ou entre le Royaume-Uni et Gibraltar. Le vice-premier ministre turc a appuyé ce projet, indiquant que la RTCN et son pays devaient trouver ensemble une solution politique. Quoi qu'il en soit, la Turquie a annoncé son souhait de relancer les négociations sans passer par les Nations unies. Un des biais pour parvenir à un accord pourrait consister, au-delà de la question européenne, en la perspective d'une coopération énergétique dans la zone économique exclusive chypriote. La république de Chypre dispose en effet d'un potentiel gazier prometteur. La question militaire pourrait, dans cette optique, passer au second plan, d'autant plus que le président turc a vu son pouvoir sur l'armée renforcé depuis l'échec du coup d'État de juillet 2016. L'institution militaire turque a longtemps joué en défaveur de la réunification.

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