Monsieur le président, madame le ministre d’État, mes chers collègues, le projet de loi tendant à amoindrir le risque de récidive criminelle et portant diverses dispositions de procédure pénale que l’Assemblée nationale a adopté le 24 novembre dernier, après engagement de la procédure accélérée, et sur lequel le Sénat est aujourd’hui appelé à se prononcer, nous impose un bref rappel historique.
Il puise sa raison d’être initiale dans la décision du Conseil constitutionnel du 21 février 2008 sur le projet de loi relatif à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, devenu la loi du 25 février 2008.
Outre quelques importantes réserves d’interprétation, le Conseil constitutionnel a considéré que la rétention de sûreté, bien que n’étant « ni une peine ni une sanction ayant le caractère d’une punition », ne saurait « eu égard à sa nature privative de liberté, à la durée de cette privation, à son caractère renouvelable sans limite et au fait qu’elle est prononcée après une condamnation par une juridiction » être appliquée de manière rétroactive.
Ainsi, les personnes condamnées avant la publication de la loi ou après cette date mais pour des faits commis antérieurement ne pourront pas faire l’objet d’un placement direct en rétention de sûreté à l’issue de leur période de réclusion. Cette hypothèse se trouvait donc reportée à un avenir lointain puisque le champ d’application de la rétention de sûreté, vise, je vous le rappelle, les personnes condamnées à une peine égale ou supérieure à quinze ans de réclusion criminelle pour assassinat, meurtre, tortures, actes de barbarie, viol, enlèvement, séquestration commis sur un mineur ou pour les mêmes infractions, avec circonstance aggravante, sur une victime majeure.
Cette jurisprudence constitutionnelle n’avait pas surpris la commission des lois du Sénat, puisque le rapporteur que j’étais déjà à l’époque avait tenu la même analyse et défendu la même position devant la Haute Assemblée au nom du principe de non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère.
En revanche, le Conseil constitutionnel a admis l’application immédiate de la surveillance de sûreté qui, elle-même, peut pourtant conduire à la rétention de sûreté.
Le jour même de la promulgation de la loi relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, le Président de la République, Mme le garde des sceaux l’a rappelé il y a quelques instants, invitait le Premier président de la Cour de cassation, M. Vincent Lamanda, à présenter « toutes propositions utiles d’adaptation de notre droit pour que les condamnés exécutant actuellement leur peine et présentant les risques les plus grands de récidive puissent se voir appliquer un dispositif tendant à l’amoindrissement de la récidive ».
M. Vincent Lamanda, dans le rapport remis le 30 mai 2008, suggère de modifier sur certains points la loi du 25 février 2008 afin d’en combler les lacunes ou d’en corriger les insuffisances. Il comporte également de nombreuses propositions concrètes qui n’emportent pas de traduction législative, mais qui touchent, notamment, à l’adaptation des conditions de prise en charge des délinquants sexuels.
Nous souhaiterions, madame le ministre d’État, recueillir votre sentiment sur les aspects non législatifs du rapport Lamanda, document dont l’intérêt est très largement reconnu.
Prenant acte à la fois des conséquences nécessaires de la décision du Conseil constitutionnel et des propositions de nature législative du Premier président de la Cour de cassation, le projet de loi initial déposé par le Gouvernement devant l’Assemblée nationale ne comportait que sept articles dont les principaux pouvaient aisément rencontrer l’assentiment général.
Ainsi, l’article 1er consacre dans la loi la réserve d’interprétation du Conseil constitutionnel posant pour la juridiction régionale de la rétention de sûreté l’obligation de vérifier que la personne condamnée a été en mesure de bénéficier, pendant l’exécution de sa peine, d’une prise en charge et de soins adaptés au trouble de la personnalité dont elle souffre.
L’article 2 prévoit que le placement en rétention de sûreté, qui doit demeurer l’ultime recours, n’est possible que si un renforcement des obligations dans le cadre de la surveillance de sûreté se révèle insuffisant pour prévenir la récidive criminelle.
L’article 4 permet d’ordonner une surveillance de sûreté dès la libération d’une personne qui avait été incarcérée en raison d’un manquement aux obligations fixées dans le cadre d’une surveillance judiciaire et à laquelle toutes les réductions de peine ont été retirées.
L’article 5 prévoit la rétribution de l’avocat assistant une personne retenue dans un centre socio-médico-judiciaire de sûreté, s’agissant de décisions prises à l’encontre de celle-ci pour assurer le bon ordre du centre.
L’ensemble de ces dispositions ne nous aurait pas retenus très longtemps, mais l’Assemblée nationale a adopté un texte largement étoffé, qui met en œuvre de nouvelles orientations, s’articulant autour de quatre thématiques principales.
Premièrement, les députés ont étendu le champ d’application de la surveillance judiciaire et de la surveillance de sûreté : la durée de surveillance de sûreté est portée de un à deux ans ; le quantum de peine permettant le placement sous surveillance de sûreté à l’issue de la surveillance judiciaire ou du suivi socio-judiciaire est abaissé de quinze à dix ans ; le seuil de peine prononcée permettant de placer une personne condamnée sous surveillance judiciaire est abaissé de dix à sept ans.
Parallèlement, la loi du 25 février 2008 avait prévu l’application de la rétention et de la surveillance de sûreté aux crimes les plus graves commis sur majeur, dès lors qu’ils l’ont été avec une circonstance aggravante, sans avoir cependant pris en compte ces crimes lorsqu’ils sont commis en état de récidive légale, qui est pourtant une circonstance aggravante générale. L’Assemblée nationale a remédié à cette incohérence.
Deuxièmement, l’Assemblée nationale a renforcé les dispositions concernant la prescription de traitements antihormonaux pour les délinquants sexuels.
Ainsi, la personne qui refusera soit de commencer, soit de poursuivre le traitement inhibiteur de libido proposé dans le cadre de l’injonction de soins s’exposera au retrait de son crédit de réduction de peine si elle est détenue, à une incarcération si elle exécute sa peine en milieu ouvert, à une réincarcération si elle est placée en surveillance judiciaire, à une rétention de sûreté si elle est placée en surveillance de sûreté.
Afin de permettre d’améliorer l’évaluation de la dangerosité, la situation des personnes susceptibles d’être placées sous surveillance judiciaire devra être examinée par le juge de l’application des peines et pourra donner lieu à un examen par le centre national d’observation, le CNO.
Par ailleurs, le code de la santé publique est modifié afin de rendre obligatoire le signalement par le médecin traitant du refus ou de l’interruption d’un traitement inhibiteur de libido.
Troisièmement, l’Assemblée nationale a mis en place un nouveau répertoire relatif aux expertises psychiatriques des personnes poursuivies ou condamnées et introduit de nouvelles obligations concernant les fichiers existants, tels le fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions sexuelles, le FIJAIS, ou le fichier national automatisé des empreintes génétiques, le FNAEG.
Quatrièmement, les députés ont adopté une définition plus précise des interdictions de paraître en certains lieux et instauré un dispositif visant à prévenir leur violation. Pour les auteurs de crimes sexuels ou violents, le prononcé de l’interdiction de rencontrer la victime serait obligatoire. Dans l’hypothèse où une personne soumise à une interdiction de paraître violerait ses obligations, elle pourrait être appréhendée d’office par les services de police ou de gendarmerie et retenue pour une durée de vingt-quatre heures, afin de permettre sa présentation devant le juge, qui pourrait procéder à sa réincarcération.
Signalons encore l’adoption de deux amendements par l’Assemblée nationale, visant à ce que l’identité et l’adresse des personnes condamnées pour une infraction pour laquelle le suivi socio-judiciaire est encouru soient communiquées aux services de police ou aux unités de gendarmerie lorsque leur incarcération prend fin, d’une part, et à ce que l’observatoire indépendant chargé de collecter et d’analyser les données relatives aux infractions créé par la récente loi pénitentiaire publie aussi, dans son rapport annuel, des données statistiques relatives à l’exécution réelle des peines en fonction des peines prononcées.
Si la commission des lois partage bien évidemment le souhait manifesté par l’Assemblée nationale de renforcer la lutte contre la récidive, elle estime cependant indispensable d’apporter ou de rétablir certaines garanties pour mieux encadrer plusieurs des dispositions votées par les députés.
Ainsi, l’abaissement de quinze à dix ans de la durée de la peine de réclusion criminelle permettant l’application de la surveillance de sûreté soulève, selon la commission, des objections sérieuses, voire dirimantes, de caractère constitutionnel. En effet, la méconnaissance d’une obligation de la surveillance de sûreté peut entraîner un placement en centre socio-médico-judiciaire de sûreté. Or, dans sa décision du 21 février 2008, le Conseil constitutionnel a admis la constitutionnalité de la rétention de sûreté dans la mesure où, « eu égard à l’extrême gravité des crimes visés et à l’importance de la peine prononcée par la cour d’assises, le champ d’application de la rétention de sûreté apparaît en adéquation avec sa finalité ».
Par le biais de la modification du quantum de peine retenu pour la mise en œuvre de la surveillance de sûreté, dont il constitue en quelque sorte le sas, le champ d’application de la rétention de sûreté se trouverait ainsi nécessairement étendu, en contradiction avec les exigences de la jurisprudence du Conseil constitutionnel…