Intervention de Nicole Borvo Cohen-Seat

Réunion du 17 février 2010 à 14h30
Récidive criminelle — Discussion d'un projet de loi en procédure accélérée

Photo de Nicole Borvo Cohen-SeatNicole Borvo Cohen-Seat :

Ce qui est certain, c’est que, malgré l’aggravation des sanctions pénales, la société demeure violente, et le devient même de plus en plus. Tout le monde est d’accord sur ce point.

L’exemple des États-Unis est éclairant à cet égard. Alors que la répression y est particulièrement forte, ce pays compte, proportionnellement, dix fois plus de personnes incarcérées que la France. La peine de mort y est toujours pratiquée, pourtant les homicides sont trois fois plus fréquents que chez nous.

La politique d’élimination, qui réduit le délinquant à son acte, lui conteste toute capacité d’évolution, n’a absolument pas fait ses preuves. Or la rétention de sûreté pousse cette logique à l’extrême. Une telle politique criminalise la maladie mentale, amalgame folie et dangerosité, soins et sanctions pénales. De très nombreux psychiatres refusent que leur discipline devienne une gardienne de l’ordre social, en totale contradiction avec la finalité du soin, le temps et l’individualisation qui lui sont nécessaires.

M. le rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales a bien mis en évidence cette problématique, à laquelle nous devons être très attentifs. Or la circulaire du 11 janvier dernier signée conjointement par Mme Bachelot et M. Hortefeux est venue encore renforcer l’inquiétude des psychiatres. Désormais, il appartiendrait aux préfets de département et, à Paris, au préfet de police de décider des sorties d’essai d’hospitalisation d’office, selon le seul critère du risque de trouble à l’ordre public, toutes considérations sanitaires étant écartées. Que deviendra l’aménagement thérapeutique que constituent depuis 1990 les sorties d’essai ?

Cette logique est dangereuse : c’est faire croire à l’opinion publique que le risque zéro est possible et que, en quelque sorte, la relégation d’un certain nombre de personnes répondrait au principe de précaution. C’est une illusion, et il est grave de fonder une politique et la loi sur une illusion.

Que l’on me permette, à cet instant, de citer M. Lamanda : « Une société totalement délivrée du risque de la récidive criminelle, sauf à sombrer dans les dérives totalitaires, ne serait plus une société humaine. »

Entendons-nous bien : il n’y a pas, dans cet hémicycle, d’un côté ceux qui auraient le souci des victimes et de leurs proches, de l’autre ceux qui prendraient le parti des agresseurs. La souffrance des victimes est insupportable, et l’empathie à leur égard naturelle. Elle l’a toujours été. Oui, il faut répondre à leur souffrance, à leur attente d’une sanction. Mais le rôle de la justice, c’est de juger l’accusé pour ce qu’il a fait, d’apporter un apaisement aux victimes et de les indemniser s’il y a lieu ; c’est de rendre un jugement équitable, au rebours de la vengeance.

C’est pourquoi l’instrumentalisation de la souffrance à des fins politiques est inacceptable. Aussi me paraît-il nécessaire d’affirmer, même si je crains de ne pas être entendue aujourd’hui, que le législateur doit dire que cela suffit, qu’il faut cesser de légiférer dans l’urgence, sans s’interroger sur l’utilité des lois précédentes, sans avoir évalué leur application.

Je constate pourtant que, dans son rapport, M. Lamanda, sollicité pour faire des propositions après l’avis rendu par le Conseil constitutionnel sur la loi de 2008, a émis vingt-trois recommandations très intéressantes. La plupart d’entre elles concernent les moyens de l’application des lois : la recherche en criminologie, la gradation dans le suivi des mesures de surveillance judiciaire, le renforcement, en nombre et en qualité, des moyens de l’administration pénitentiaire, notamment du service de l’application des peines, le renforcement de services de psychiatrie.

Le Gouvernement ne retient pas, tant s’en faut, l’essentiel de ces recommandations ; il préfère l’affichage d’une nouvelle loi.

On l’a bien vu, la discussion de ce projet de loi à l’Assemblée nationale a donné lieu à tous les débordements. D’aucuns auraient voulu que les juges de l’application des peines informent les maires de l’installation dans leur commune de certains condamnés ! Pourquoi ne pas en publier la liste sur internet, comme cela s’est fait aux États-Unis ? Certains auraient voulu porter la durée de la garde à vue à quatre-vingt-seize heures en cas de séquestration ou d’enlèvement, rendre imprescriptibles les crimes de pédophilie !

En tout état de cause, l’Assemblée nationale, qui avait déjà, en 2008, élargi le champ d’application de la rétention de sûreté, a procédé à une extension et à une aggravation méthodiques des dispositions du projet de loi. Le nombre de ses articles, tous plus inquiétants les uns que les autres, est passé de sept à dix-neuf. Un effet d’affichage trompeur a été obtenu avec l’inscription dans le texte de la castration chimique : le mot était lâché !

Au final, le texte comprend des dispositions extrêmement graves, qui outrepassent même la logique de la rétention de sûreté, dont l’application devait être subsidiaire et exceptionnelle, réservée aux infractions les plus graves.

Les députés avaient prévu d’abaisser de quinze à dix ans le quantum de peine pour la surveillance de sûreté et donc, in fine, pour la rétention de sûreté, qui se trouverait alors banalisée. La durée des peines augmentant constamment, le placement en rétention de sûreté deviendrait quasiment la règle.

M. Lecerf, rapporteur au fond, et M. About, rapporteur pour avis, ont très légitimement écarté un certain nombre de dispositions introduites par l’Assemblée nationale. Je leur en sais gré. Leurs propositions permettent d’encadrer certains dispositifs, de supprimer des incohérences et de lever des atteintes à des principes fondamentaux.

Il n’en demeure pas moins que ce projet de loi, dans ses grands axes, s’inscrit dans une spirale répressive.

Il étend la rétention de sûreté par le biais d’une sanction de l’inobservation d’obligations.

Il vise à renforcer la surveillance sous diverses formes : surveillance judiciaire et de sûreté, création d’un nouveau fichier et extension des modalités de fichage actuelles, avec un accroissement des risques d’interconnexion – on sait ce qu’il en est, à cet égard, du casier judiciaire et du système de traitement des infractions constatées. Ces mesures seront sans doute inapplicables, mais elles témoignent d’une évolution dangereuse.

Au travers de ce texte, le traitement est considéré avant tout comme une sanction. Le fin du fin, en la matière, aurait tout de même été d’instaurer le traitement anti-libido, qui plus est prescrit par le juge, le médecin devant en outre informer ce dernier du refus ou de l’arrêt du traitement.

Pour notre part, lors de l’examen du texte par la commission des lois, nous avons demandé que soient prises en considération les recommandations du président Lamanda avant toute nouvelle législation. Nous avions même déposé des amendements en ce sens. La commission les a rejetés, pour des raisons de forme, mais a néanmoins admis que le débat était nécessaire. C’est la raison pour laquelle nous avons déposé une motion tendant à opposer la question préalable, qui sera défendue tout à l’heure. Peut-être des réponses nous seront-elles alors apportées, mais j’en doute… Nous avons déjà soulevé en vain nombre de ces questions à l’occasion d’autres débats parlementaires, notamment lors de l’élaboration de la loi pénitentiaire.

Quant à la fermeture annoncée d’antennes des services pénitentiaires d’insertion et de probation, en lien avec la suppression de tribunaux, elle me laisse tout aussi sceptique.

Avec la RGPP, le budget de la justice pour 2010 s’inscrit une nouvelle fois dans le cadre de la diminution des dépenses publiques, que le Gouvernement ne cesse de présenter comme inévitable. Une augmentation de seulement 3, 42 % ne permet pas de répondre aux besoins actuels, d’autant que les crédits connaissant la plus forte hausse sont ceux qui serviront à financer la réalisation de nouvelles places de prison.

Plutôt que des lois votées à la va-vite, il faut des moyens importants pour assurer la prise en charge des délinquants sexuels. Ainsi, au Canada, grâce à une telle mobilisation, il semble qu’au moins un délinquant sexuel sur deux puisse être considéré comme guéri. Or combien de fois faudra-t-il souligner le niveau calamiteux de l’offre de psychiatrie en prison dans notre pays et, plus généralement, l’état catastrophique de la psychiatrie publique ?

C’est une évidence, il faut protéger la société, mais les solutions proposées – aggraver les peines, mettre à l’écart, enfermer – ne sont pas pertinentes. Pourtant, vous persévérez dans cette logique, comme en témoigne ce nouveau projet de loi. Après la rétention de sûreté renforcée, qu’allez vous inventer quand un nouveau drame se produira ?

En démocratie, la fin ne justifie pas les moyens. Nous ne voterons pas ce texte : comme je l’ai déjà dit, cela suffit ! §

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion